Attention au ras le bol généralisé!

En cette fin d’année 1 de la nouvelle loi scolaire, le moral dans les écoles est au plus bas. Entre le casse-tête de l’élaboration d’une organisation scolaire qui rentre dans les chiffres du contingent, les concertations, les évaluations et les troisièmes rencontres avec les parents d’élèves pour l’explication des bilans, les calendriers des enseignants sont archi pleins et les élèves qui se voient confrontés à des enseignants stressés en profitent pour imposer leurs caprices.
Alors la tentation est grande de tomber dans une certaine nostalgie et de se dire que tout était mieux avant. Il y avait moins de paperasses, plus de liberté, les élèves étudiaient mieux, l’école avait plus de moyens, les collègues étaient plus sympas, les parents d’élèves plus collaboratifs et bien d’autres choses encore étaient différentes. Pourquoi ne pas faire marche arrière en abolissant rapidement une loi qui nous fait déprimer?
Pourtant avec un peu de recul, nous savons tous qu’une réforme était nécessaire et que nous avions nous-mêmes dénoncé les inégalités des chances, l’augmentation du nombre d’élèves avec des problèmes de comportement, la surcharge des programmes et l’insuffisance des moyens de l’école pour répondre à tous ces défis. Un certain nombre de ces difficultés sont dues à des changements de société, elles apparaissent un peu partout et jusqu’à présent on n’a pas encore trouvé la solution idéale pour y faire face.
C’est que de nos jours de plus en plus d’enfants se sentent déboussolés, happés par les médias et la société de consommation qui provoquent des addictions et créent des besoins artificiels. Ils ont besoin d’interlocuteurs fiables parmi les adultes. Dans ce sens l’école doit chercher le dialogue avec les parents. Il serait cependant illusoire de penser que les rencontres institutionnalisées autour des bilans de compétences permettent à tous les parents d’accompagner le développement des apprentissages de leurs enfants de façon à compléter le rôle de l’école. La participation des parents peut être décisive pour la réussite de leurs enfants, mais si l’école mise trop sur cette participation elle accroîtra les inégalités au lieu de les réduire. L’école doit justement essayer de compenser les différences qui existent entre les enfants provenant de milieux très divers avec des parents n’ayant pas les mêmes moyens pour les aider.
Et pour cela l’école a besoin de moyens et en tout premier lieu d’enseignants et d’éducateurs en nombre suffisant afin de prendre le relais des familles dans l’éducation et l’instruction des enfants. Ces moyens sont d’autant plus nécessaires que les programmes sont exigeants. Si le Luxembourg a besoin de citoyens hautement qualifiés, maîtrisant plusieurs langues, il est tout à fait normal que le coût des carrières scolaires soit plus élevé. Certes, il ne suffit pas d’investir dans l’école pour obtenir automatiquement de bons résultats, mais on n’atteindra certainement pas de meilleurs résultats en réduisant l’encadrement des élèves comme cela se fait actuellement avec le contingent. Contre quelques rares communes qui auront plus de moyens pour encadrer leurs élèves, beaucoup d’autres disposeront de moins de leçons d’enseignement. Certaines d’entre elles ont déjà compris que cela ira au détriment des élèves et en premier lieu de ceux issus des milieux moins favorisés.
Le MEN se défend farouchement de vouloir faire des économies en matière d’éducation et il se dit prêt à réinvestir les moyens épargnés à travers le contingent dans les équipes multidisciplinaires et dans les instituteurs ressources. Or, c’est justement sur le terrain où les moyens font le plus cruellement défaut et il est tout à fait contradictoire de responsabiliser les écoles, de leur demander de trouver les solutions appropriées aux situations locales et de réduire leurs moyens pour les réinvestir ailleurs.
La loi du 6 février 2009 confère des responsabilités élargies aux équipes pédagogiques et aux comités d’école, d’un autre côté elle crée un tas de services pour encadrer les écoles. Actuellement ces services ont tendance à accaparer les moyens au détriment des moyens mis à disposition des équipes pédagogiques tout en accablant ces dernières d’un tas de procédures bureaucratiques. C’est cela qui rend le terrain invivable et provoque le ras le bol des enseignants.
Or, le succès de la reforme devra se faire sentir sur le terrain dans les apprentissages des élèves, dans la motivation des équipes pédagogiques et dans le bon fonctionnement des écoles. Actuellement beaucoup d’enseignants ont l’impression que les nouvelles dispositions ne leur permettent pas de mieux faire progresser leurs élèves. Pour changer cela, il faudra faire davantage confiance aux équipes pédagogiques et ne pas réduire leurs moyens.

Monique Adam,
Présidente du SEW