Responsabilité civile et pénale: qu’est-ce qu’un bon pédagogue normalement diligent et attentif ?
Le jugement dans l’affaire de la maison relais à Steinsel a provoqué de fortes incertitudes parmi les enseignants quant à leur responsabilité. La lettre circulaire émise par le MEN qui ne cesse de répéter vouloir rassurer et protéger les enseignants, a au contraire confirmé les enseignants dans leur sentiment de se retrouver tout seul en cas d’incident.
En effet, le MEN repousse toute la responsabilité sur les acteurs du terrain y compris pour les situations provoquées par les dysfonctionnements dus à sa propre désorganisation, comme par exemple l’organisation de l’encadrement des classes en cas d’absence du titulaire sans remplacement.
Le SEW/OGBL ne tolérera pas cette situation. Dans les semaines à venir, la circulaire sera passée au crible fin ensemble avec un juriste dans le but de clarifier cette situation plus que malsaine.
Voici la circulaire du MEN avec les questions qu’elle soulève:
En effet, le MEN repousse toute la responsabilité sur les acteurs du terrain y compris pour les situations provoquées par les dysfonctionnements dus à sa propre désorganisation, comme par exemple l’organisation de l’encadrement des classes en cas d’absence du titulaire sans remplacement.
Le SEW/OGBL ne tolérera pas cette situation. Dans les semaines à venir, la circulaire sera passée au crible fin ensemble avec un juriste dans le but de clarifier cette situation plus que malsaine.
Voici la circulaire du MEN avec les questions qu’elle soulève:
Lettre circulaire relative à la responsabilité du personnel des écoles de l’enseignement fondamental
II ressort de cette description qu’il ne peut pas exister de définition précise de la faute qui sera toujours appréciée par les magistrats en tenant compte des circonstances de l’espèce.
Au début des années 1990, le problème de la responsabilité de l’enseignant avait été soulevé devant les tribunaux. Afin de répondre aux inquiétudes provoquées par ces procédures dans les milieux enseignants, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque avait adresse, en date du 15 avril 1992, une lettre circulaire aux enseignants dans les lycées. Au cours des derniers mois, le problème de la responsabilité de l’enseignant et de l’éducateur est revenu dans l’actualité. Pour cette raison et également eu égard au fait que les enseignants et éducateurs ou éducateurs gradues dans l’école fondamentale sont désormais pour la plupart soit des fonctionnaires de l’État, soit des employés de l’État, nous leur adressons la présente circulaire. Les considérations de 1992 restent valables puisque le problème de la responsabilité se pose toujours dans les mêmes termes et que les réponses aux problèmes qui peuvent se poser restent aussi les mêmes. Le facteur humain joue un rôle primordial dans la prévention des accidents scolaires et c’est pourquoi nous faisons appel à la conscience professionnelle et à la vigilance de tous les membres du corps enseignant et éducatif afin de créer une atmosphère propice à la sécurité dans les bâtiments scolaires. La présente note a pour objectif de décrire brièvement dans quelles conditions la responsabilité civile et la responsabilité pénale de l’enseignant et de l’éducateur du secteur public peuvent être engagées et d’énoncer les garanties apportées par l’État et les communes pour couvrir la responsabilité civile de leurs enseignants. II importe de signaler qu’il n’existe pas de responsabilité civile ou pénale spécifique à l’enseignant et à l’éducateur, désignés ci-après «intervenants»: les dispositions du Code civil et du Code pénal relatives à la responsabilité civile et à la responsabilité pénale s’appliquent à tous les citoyens et résidents de notre pays et donc également aux intervenants dans l’enseignement fondamental. A) La responsabilité civileLa responsabilité civile délictuelle est réglée par les articles 1382 et 1383 du Code civil. Ces articles énoncent le principe que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence et qu’il doit réparer le dommage causé à autrui. Les tribunaux civils sont évidemment souverains pour apprécier la faute et la responsabilité civile d’une personne assignée en justice par la victime d’un accident. Les juges apprécient la faute par référence au comportement en bon père de famille qu’on est en droit d’attendre. Chaque affaire portée en justice étant évidemment distincte, on peut cependant retenir que la faute civile de l’intervenant sera analysée par le juge par rapport au comportement qu’on est en droit d’attendre du bon pédagogue normalement diligent et attentif. Sera considéré comme fautif le comportement de l’intervenant ayant fait preuve de moins de diligence et de moins d’attention que le bon pédagogue pris comme référence. |
Quel est ce comportement de pédagogue «normalement diligent et attentif»? Où est-il défini? |
Quelle définition sera donnée à la «faute»? |
II importe cependant de souligner qu’à l’heure actuelle toute une série de dispositions législatives et réglementaires font que la responsabilité civile de l’intervenant, même si elle peut être engagée en cas de comportement fautif, n’entraînera pas de conséquences pécuniaires au détriment de ce dernier, sauf faute vraiment grave. |
Et qu’est-ce qu’une faute grave? Qui en décide? Le juge? |
a) II convient de citer en premier lieu le règlement grand-ducal du 17 décembre 2010 concernant l’assurance-accidents dans le cadre de l’enseignement précoce, préscolaire, scolaire et universitaire. En vertu de ce règlement, les accidents scolaires sont assimilés aux accidents de travail et l’Association d’assurance contre les accidents indemnise automatiquement les élèves et les intervenants victimes d’accidents scolaires. L’indemnisation porte à la fois sur le dommage corporel et sur le dommage matériel (pour lequel il existe une franchise) auquel peut avoir donné lieu l’accident. II faut encore souligner que l’assurance-accidents ne couvre que les activités scolaires et périscolaires proprement dites. Par activités périscolaires, il faut entendre des activités surveillées par des intervenants se déroulant en dehors de l’horaire normal de l’école, autorisées par les autorités communales et ayant un lien direct avec l’enseignement dispensé. Les voyages d’études et visites guidées à l’étranger organisés par les écoles sont couverts par l’assurance-accidents. Les élèves sont donc parfaitement assurés contre tout préjudice corporel lors d’activités scolaires et périscolaires et, dans la plupart des cas, les intervenants ne risquent pas d’être assignés en justice devant un tribunal civil par la victime réclamant indemnisation de son préjudice, d’autant plus que l’article 115 du Code de la Sécurité sociale empêche la victime d’un accident scolaire indemnisée par l’assurance-accidents d’agir judiciairement en dommages-intérêts contre les préposés de l’État (ou des communes),c’est-a-dire les intervenants, sauf si un jugement pénal a déclaré les préposés coupables d’avoir intentionnellement provoqué l’accident. |
Que veut dire «dans la plupart des cas»? Existe-t-il alors des cas où les intervenants risquent d’être assignés en justice? Que faire s’il y a du chahut dans les vestiaires des élèves du cycle 3 ou 4? L’intervenant peut-il à tout moment y entrer comme au cycle 2? Ou reste-t-il dehors? Qu’en est-il alors de la surveillance des élèves? Que faire lors d’un voyage d’étude? Combien d’accompagnateurs doivent encadrer les enfants? Qui fixe ce nombre? Que se passet-il, s’il y a un accident alors que les intervenants ne surveillent pas les élèves parce qu’ils répondent à des besoins primaires (sommeil, toilettes, repas)? Peut-on surveiller ses élèves à tout moment? Même en dormant? Ou faut-il «garder» à tour de rôle les élèves si on est à plusieurs ? Et si on est tout seul? Que faire à l’école? Peut-on toujours surveiller ses élèves dans l’enceinte du bâtiment? Que faire alors si le téléphone sonne et que l’intervenant doit quitter la salle pour répondre? Que faire si l’intervenant doit accueillir des personnes dans le couloir (parents, livreur des fruits Fruit4school, technicien pour la photocopieuse,…)? Que faire quand l’intervenant doit aller aux toilettes? Serait-ce une faute grave s’il arrivait quelque chose à ce moment? Et surtout, que faire si l’intervenant, ici le président en l’occurrence, doit s’occuper du remplacement, ou plutôt, de la répartition des élèves sur d’autres classes? Ne laisse-t-il pas sa classe sans surveillance à ce moment? Faute grave? |
b) On doit citer ensuite la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’État et des collectivités publiques qui dispose que l’établissement d’enseignement, en l’occurrence l’État ou la commune selon le statut de l’intervenant, répond du dommage causé par les élèves pendant le temps qu’ils sont sous la surveillance des intervenants, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement. Même si cette disposition législative ne supprime pas la responsabilité civile personnelle de l’intervenant découlant des articles 1382 et 1383 du Code civil (responsabilité pour faute), il est cependant certain qu’en pratique elle va, en conjugaison avec les dispositions relatives à l’assurance-accidents précédemment citées, encore réduire très fortement le nombre de cas où un intervenant risque d’être assigné devant un tribunal civil par la victime d’un accident scolaire. Si l’élève blessé lors d’un accident scolaire va être indemnisé de son préjudice corporel par l’assurance-accidents, la victime ayant subi un dommage purement matériel ainsi que la victime tierce étrangère à l’activité scolaire et non couverte par l’assurance-accidents (p.ex. un passant) pourront réclamer réparation de leur préjudice devant un tribunal civil directement à l’État ou à la commune (à condition bien sûr que le dommage ait été cause par un élève sous la surveillance d’un intervenant) sur base de la loi du 01.09.1988. II est par ailleurs plus que probable que la victime d’un accident scolaire cherchant à être indemnisée assignera directement l’État ou la commune en tant que commettant sur base de la loi précitée de 1988 ou de l’article 1384 du Code civil, plutôt que l’intervenant en cause. c) S’il arrivait néanmoins à un intervenant de l’enseignement public d’être condamné par une juridiction à verser des dommages-intérêts à une victime d’un accident scolaire, cet intervenant pourra toujours invoquer l’article 32, alinéa 5 du statut général des fonctionnaires de l’État (ou l’article 36, alinéa 5 du statut des fonctionnaires communaux) qui prévoit que si le fonctionnaire subit un dommage en raison de sa qualité ou de ses fonctions il peut en être indemnisé par l’État (ou la commune), pour autant qu’il ne se trouve pas, intentionnellement ou par faute ou négligence graves, à l’origine de ce dommage. Cette disposition du statut général a surtout son importance en pratique dans l’hypothèse où un intervenant se trouve condamné à des dommages-intérêts par une juridiction pénale, hypothèse qui va être examinée dans la seconde partie de cette note. À titre d’exemple, un passant est blessé lors d’une activité scolaire ou périscolaire suite à une faute de l’intervenant. Ce tiers peut présenter une partie civile directement contre l’intervenant devant le tribunal pénal. |
«Suite à une faute…» Comment est définie cette faute? Peut-on à tout moment avoir un oeil sur tous ses élèves? Est-ce possible? |
B) La responsabilité pénaleII peut toujours arriver qu’un élève soit blessé ou même tué lors d’un accident scolaire et il est possible qu’en de pareilles circonstances le Ministère public décide de poursuivre pénalement l’intervenant chargé de la surveillance de l’activité scolaire, auquel peut éventuellement être reproché un défaut de prévoyance ou de précaution ayant causé la mort ou des blessures (homicide involontaire ou lésions involontaires). Le fait de laisser la classe sans surveillance ou encore le fait de ne pas signaler aux autorités la présence d’un danger évident pour la sécurité des élèves dans la salle de classe est susceptible de constituer une faute entraînant la responsabilité pénale de l’intervenant. Le tribunal répressif saisi de la poursuite pénale devra apprécier le comportement du prévenu et s’il estime qu’il y a eu faute en relation causale avec le préjudice subi par la victime, il pourra prononcer une condamnation pour homicide involontaire ou lésions involontaires. II est évident que la responsabilité pénale, qui est une notion d’ordre public, ne peut être couverte par aucune assurance, contrairement à la responsabilité civile. Les tribunaux répressifs sont souverains pour apprécier si une infraction pénale est établie ou non et pour prononcer des condamnations. II est important de noter que la victime d’une infraction pénale peut se constituer partie civile contre le prévenu devant le tribunal pénal, c’est-à-dire qu’elle peut réclamer l’indemnisation de son préjudice à l’auteur directement devant le tribunal pénal sans devoir s’adresser à une juridiction civile. Dans l’hypothèse où le tribunal pénal acquitte le prévenu, c’est-à-dire elle le déclare non responsable de l’accident, la partie civile est automatiquement déclarée irrecevable car en l’espèce on considère que la faute pénale se confond avec la faute civile et si le tribunal conclut qu’il n’y a pas eu de faute pénale, il n’y a pas non plus eu de faute civile. Dans l’hypothèse contraire où le prévenu est condamné pénalement, la partie civile est considérée comme recevable car l’existence d’une faute pénale implique qu’il y ait également faute civile. S’il est impossible de couvrir sa responsabilité pénale, il est cependant clair que pour la responsabilité civile de l’intervenant qui doit se défendre au pénal, les dispositions énumérées dans la première partie de la présente note trouveront application. (La loi du 01 .09.1988 relative à la responsabilité civile de l’État et des collectivités publiques ne pourra cependant pas être invoquée par la victime devant un tribunal répressif, car il est exclu de se constituer partie civile contre l’État ou la commune qui ne peuvent être prévenus au pénal). Ainsi la victime d’un accident scolaire qui a été indemnisée par l’Association d’assurance contre les accidents ne pourra pas constituer partie civile contre l’intervenant prévenu en vertu de l’article 115 du Code de la Sécurité sociale, sauf s’il s’agit d’une infraction intentionnelle. L’intervenant condamné pourra en dernier ressort demander à l’État ou à la commune de le tenir quitte et indemne des conséquences pécuniaires encourues suite à une condamnation à des dommages-intérêts, ceci sur base de l’article 32, alinéa 5 du statut général des fonctionnaires de l’État (ou de l’article 36, alinéa 5 du statut des fonctionnaires communaux), à condition bien sûr que les dommages-intérêts aient été prononcés à l’encontre du fonctionnaire (ou de l’employé) intéressé dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et qu’il n’y ait pas eu faute grave ou intentionnelle de sa part, et en ayant formulé une demande préalable. C) Délégation à la sécuritéDans un souci de prévention des risques d’accident, l’enseignant bénéficiant d’une décharge relative à la délégation à la sécurité, conformément au règlement grand-ducal du 23 mars 2009 fixant la tâche des instituteurs de l’enseignement fondamental, est tenu de contribuer notamment à la sensibilisation du personnel des écoles et des élèves pour les questions ayant trait à la sécurité. Sa mission comporte également les activités suivantes:
ConclusionsSi l’intervenant est comme tout citoyen pénalement responsable de ses actes et qu’il doit donc exercer ses fonctions avec la plus grande prudence et la plus grande diligence requises, sa responsabilité civile se trouve cependant couverte par un grand nombre de mesures et ce n’est que dans des cas exceptionnels où une faute intentionnelle ou lourde dans l’exercice de ses fonctions pourra lui être reprochée qu’il devra endosser les conséquences pécuniaires de manquements éventuels. Nous sommes bien conscients que la profession d’enseignant et d’éducateur ou éducateur gradué, qui comporte la surveillance de jeunes gens souvent imprudents qu’il convient de sensibiliser aux aspects de la sécurité, entraîne des risques particuliers. Les dispositions ci-devant énumérées doivent cependant couvrir ces risques du point de vue financier, étant entendu qu’il n’est pas possible de couvrir les risques du point de vue du droit pénal. |
Que se passera-t-il? N’y aura-t-il plus de nuits de lecture, de voyages d’études, d’excursions, …, par peur de devoir, dans le pire des cas, répondre en justice, car on doit à tout moment agir en «bon pédagogue normalement diligent et attentif»? Qu’est-ce que cela veut dire ? Que les intervenants doivent à tout moment surveiller tous les élèves? Une surveillance de 24 heures sur 24 n’étant pas possible, il y aura sûrement des intervenants qui n’organiseront plus rien. A l’école également une surveillance à tout moment n’est pas garantie. Donc il y aura des enseignants qui vont minimiser les risques en réduisant ou en supprimant des activités scolaires extraordinaires ou des activités périscolaires. Ce qui sera dommage: pour les élèves et les enseignants. Le triste fin mot de toute cette histoire: tant qu’il n’y a pas d’incident ou d’accident, tout se passera bien. Dans cette note, on nous donne des «garanties» en cas d’accident ou autre, mais, seulement si nous ne sommes pas fautif. Mais comment ce comportement fautif est-il défini? Qui en juge? Sur base de quoi? Il existe trop de flou dans cette circulaire. Alors, si, par grand malheur, il devait quand même arriver quelque chose, l’enseignant se retrouverait finalement tout seul... |