Développement de la qualité des écoles et épreuves standardisées

Ces dernières semaines les enseignants et les élèves des 3e années d'études et des Ve respectivement 9e de l'enseignement secondaire ont été confrontés à des épreuves standardisées qui d'après les dires du MENFP devraient servir à développer la qualité dans nos écoles. Ces démarches se retrouvent dans le projet de loi sur l'enseignement fondamental comme dans le projet de loi portant modification du SCRIPT et créant une agence qualité déposé à la Chambre depuis mars 2008. L'exposé des motifs de ce dernier projet est particulièrement éloquent sur l'utilisation de la notion de qualité pour faire évoluer le système éducatif: «L'expérience montre que les temps sont finis où une directive édictée par l'Etat ou des ressources mises à disposition par l'Etat suffisent pour garantir la qualité de l'action. Aujourd'hui cette condition toujours nécessaire est complétée par une démarche de développement scolaire en continu de l'école à travers les acteurs qui interviennent. L'évaluation de ce développement scolaire enclenchera ensuite un processus de rétroaction en continu pour être au service des écoles.»
Avec les épreuves standardisées il s'agit donc bel et bien d'évaluer les différentes écoles afin de pouvoir leur communiquer leurs résultats qui par la suite devraient les motiver à mieux faire la prochaine fois. Encore faut-il se demander si ces résultats seront vraiment de nature à fournir une indication fiable sur la qualité de l'école.
Il est clair tout d'abord que les réponses des élèves aux questions qui leur ont été posées dans les épreuves standardisées fourniront des indications sur les compétences qu'ils ont acquises jusque là. Mais est-ce que ces questions correspondent effectivement à nos programmes scolaires ou aux socles de compétences mis à l'épreuve ? Il n'y a pas eu de discussion sur le genre et le contenu des épreuves. Les enseignants ont même reçu la consigne de ne pas faire de photocopie des épreuves. Pourquoi? S'il est compréhensible que le contenu des épreuves doit être gardé secret jusqu'à leur passation, pourquoi ne pourrait-il pas être analysé par la suite? Une analyse superficielle nous révèle qu'il ne s'agit nullement de tester si les élèves ont atteint le socle des compétences du 2e cycle par exemple, mais il s'agit plutôt de les départager le plus possible selon leurs compétences individuelles, d'où des questions assez difficiles susceptibles de décourager même les élèves moyens pour filtrer les performances des meilleurs. Certains contenus privilégient d'emblée des élèves habitués à un certain type de travail, comme par exemple l'enseignement par projets. Ceci pour dire que ces tests ne sont pas neutres et qu'ils auront évidemment une influence sur ce qui se fera dorénavant dans nos écoles.
Même si le ministère veut se démarquer d'une approche de «ranking» comme celle prônée par la législation américaine, il est certain que le feedback donné aux écoles éveillera la curiosité des autorités scolaires et des parents d'élèves. Il nous semble donc est tout à fait hypocrite d'affirmer que chaque école aura la responsabilité d'utiliser ses résultats comme bon lui semble, car nous savons à quelles pressions ces dernières sont soumises. Il ne faudra pas attendre un palmarès établi par le ministère pour que les parents des élèves commencent à vouloir retirer leurs enfants des écoles qui auront des résultats inférieurs à la moyenne nationale.
Les enseignants auront donc intérêt à s'assurer que leurs élèves soient bien préparés pour réussir ces épreuves. Ils en arriveront à moyen terme à s'adapter à ces tests ou à faire un «teaching to the test». Voilà leur nouvelle autonomie. On aboutira en fin de compte à une prolétarisation de la profession enseignante, qui sera de plus en plus télécommandée par des dispositifs de contrôle et de manipulation.
Par ailleurs, les enseignants comprendront également que pour relever les performances de l'école, il sera tout à fait rentable de s'investir un peu plus auprès des élèves déjà performants, car ceux-ci pourront relever significativement le classement général. Je suis tout à fait sûre que cette affirmation va soulever une vague de protestations, comme quoi ceci n'est pas dans l'intention des concepteurs des tests et qu'on va élaborer toute une panoplie de correctifs pour éviter cela.
Pour toutes ces raisons il faut une discussion ouverte et approfondie sur le changement de paradigme prévu par une plus grande responsabilisation des écoles. Si Le SEW/OGBL comprend parfaitement qu'on peut demander aux écoles d'évaluer les apprentissages réalisés par leurs élèves. Certains de ces apprentissages peuvent même être mesurés à travers des épreuves standardisées, d'autres non. Mais en contrepartie des responsabilités accrues, les équipes enseignantes devront aussi disposer des moyens pour faire face aux problèmes découverts lors de l'évaluation.
Actuellement on a l'impression que les moyens supplémentaires sont surtout investis dans les instruments de l'évaluation. L'école est sommée de se plier à cette évaluation en faisant passer les épreuves aux élèves et en encodant les résultats, elle n'est pas invitée à rendre un feedback sur la qualité ou la pertinence des épreuves. Est-ce qu'elle aura les moyens nécessaires pour mener une réflexion approfondie sur les résultats de cette enquête, rien n'est moins sûr.
À une époque où le sens des savoirs est questionné de toutes parts et où l'on ne s'accorde pas facilement sur les compétences indispensables à une vie adulte, on a l'impression que le ministère de l'Education nationale essaie d'organiser une sorte de concurrence entre les écoles en espérant que ce nouveau marché trouvera le modèle pédagogique qui fera recette. C'est sur ce point que le SEW/OGBL marque son désaccord. Une société qui ne s'interroge plus sur la culture qu'elle veut transmettre aux générations futures est une société qui va à sa perdition. Nous exigeons un débat approfondi sur le pilotage du système scolaire et la responsabilité et les moyens de tous les acteurs concernés.
Monique Adam,
Présidente du SEW