Autonomie et cogestion : les deux faces de la médaille
La nouvelle version de l'avant-projet de loi portant organisation des lycées et lycées techniques vient d'être transmise à toutes celles et tous ceux qui ont avisé la première mouture du texte, dont les enseignant-e-s de l'enseignement secondaire et secondaire technique et leurs syndicats. Ayant d'abord apprécié ce geste, qui est sans doute à mettre en relation avec la politique de relations publiques du MENFPS, j'ai vite déchanté en parcourant la lettre d'accompagnement signée par la ministre de l'éducation nationale pour me sentir carrément abusé à la lecture du nouveau texte.
Ayant participé dès avril 2001 comme représentant du SEW/OGB-L aux discussions sur le projet de loi en question, et ayant assisté à la conférence des professeurs de mon lycée consultée à ce sujet fin juin 2002, je connais bien le cheminement du débat et les critiques et propositions qui ont été faites de la part des syndicats et des collègues enseignant-e-s.
L'avant-projet a évolué à partir d'un texte visant à « donner aux différentes dispositions qui régissent les lycées et lycées techniques une plus grande cohérence et une meilleure lisibilité » vers un avant-projet de loi sur l'autonomie des lycées et lycées techniques; la version actuelle s'y engage d'un pas plus décidé encore; elle en dessine concrètement les contours financiers et ouvre la voie vers l'organisation d'une évaluation des enseignements.
Les auteurs, protagonistes de l'autonomie, mettent en avant la responsabilisation et l'engagement des « partenaires scolaires ». Logiquement, ils devraient donc leur conférer un pouvoir de décision réel et leur assurer dans la nouvelle loi les moyens matériels et d'information permettant à leurs structures de représentation de fonctionner et de contribuer à réaliser le projet scolaire commun.
Or, il n'en est rien :
- Bien que le terme « partenariat » apparaisse souvent dans le texte et que la création de comités des professeurs, des élèves et des parents d'élèves ainsi que d'un conseil d'éducation y soit prévue, tous les pouvoirs reviennent au directeur du lycée, qui est nommé à vie sans consultation préalable du personnel. En dehors de la charte scolaire, que le conseil d'éducation « adopte » et de l'horaire hebdomadaire auquel il « donne son accord », cet organe, tout comme les comités des professeurs, des élèves et des parents d'élèves n'est habilité qu'à émettre des avis et des propositions. Le projet de budget constitue la seule information inscrite dans le texte que le directeur devra transmettre au conseil d'éducation.
- Aucun moyen matériel susceptible de garantir la mise en œuvre des structures de représentation ne figure dans le texte. Bien au contraire les auteurs de l'avant-projet jugent-ils dans le commentaire des articles: « Il est un fait qu'à l'école comme dans les autres secteurs de notre société, le volontariat et l'engagement honorifique s'essoufflent. Les auteurs du présent projet de loi n'ont cependant pas cru devoir céder à cette tendance; une indemnisation pour la participation aux différents comités n'est donc pas prévue ».
De qui se moque-t-on ? Les auteurs du texte et en premier lieu Madame le Ministre croient-ils que les structures de représentation des lycées et lycées techniques puissent fonctionner à l'image d'équipes de boy-scouts ?
Veulent-ils tuer dans l'œuf la cogestion dans le cadre de l'autonomie des établissements et remplacer la structure de commandement centralisée actuelle - où le MEN décide tout - par son pendant décentralisé - où la direction du lycée ou lycée technique déciderait tout ? C'est bien la question qui doit être posée car
- en s'abstenant d'inscrire dans la loi les moyens de fonctionnement et d'information indispensables à l'expression démocratique au sein des établissements, les auteurs du projet font dépendre l'incorporation des « partenaires scolaires » dans la gestion administrative, financière et pédagogique du bon vouloir du directeur respectif;
- en réduisant le rôle des « partenaires » à la formulation d'avis et de propositions, ils tiennent ceux-ci à l'écart de la prise de décisions dans le cadre de l'établissement et ne les motivent nullement à s'engager à moyen et à long terme.
Je pense que le SEW a visé juste en faisant de la création de véritables structures de représentation et de la description précise des droits et devoirs des directeurs d'établissement ses revendications primordiales dans le cadre de l'avant-projet de loi en question. C'est bien ici que se situent les véritables enjeux d'une loi sur l'autonomie scolaire et qu'une dynamique vers une école du changement pourra trouver sa source.
Qui n'aurait entendu parler de manœuvres autocratiques de certaines directions ?
Qui ne se rappellerait pas les expériences pilotes d'autonomie budgétaire réalisées dans certains lycées et lycées techniques et dont les résultats n'ont jamais été publiés ?
Qui ne se souviendrait pas des tentatives de sponsoring privé tramées en secret par certains directeurs dont quelques-unes ont pu être déjouées par des collègues avertis ? Qui n'aurait pas fait l'expérience de projets d'établissement qui se limitaient à un petit cercle d'initiés ?
Il s'agira à l'avenir d'éviter de telles bavures et de pousser les directions à mener une politique d'information et de participation véritable à travers l'inscription dans la loi des droits et devoirs de tout un chacun. Loin d'aller à l'encontre des prérogatives justifiées des directions d'établissement ou de « sur-réglementer », un tel cadrage des droits et devoirs permettra de protéger aussi bien les enseignant-e-s que les élèves et de les mobiliser pour le développement et la mise en œuvre de nouvelles idées et d'une école adaptée au XXIe siècle.
On comprend facilement que le refus de la part du MEN d'introduire une véritable structure de cogestion dans le sens décrit ne pourra entraîner de la part du SEW que le rejet du texte de l'avant-projet de loi dans son ensemble !
Au-delà du problème de la représentation des partenaires scolaires, de nombreux autres éléments comme les notions de contrat scolaire ou d'inscription prioritaire dans un lycée de proximité; l'organisation du service de psychologie et d'orientation scolaire; ou encore le nouveau conseil de discipline,- pour ne citer que ceux-là - avaient donné lieu à des critiques et des contre-propositions dans le dernier avis du SEW datant du mois de juin. Or, parmi la quarantaine d'amendements que nous avions formulés, uniquement trois ont été introduits dans le nouveau texte. Cela ne nous encourage certainement pas à aviser le texte une nouvelle fois, d'autant plus que dans l'ensemble, la version actuelle de l'avant-projet paraît plus éloignée encore d'un texte acceptable que la version précédente.
Les responsables du MENFPS feraient bien d'ajourner cette nouvelle version de l'avant-projet et de se mettre réellement à l'écoute des « partenaires scolaires » qu'ils prétendent servir !
Guy Foetz