Propositions de réforme du cycle supérieur de l'ES et de l'EST présentées par le MENFP:

05.05.2010

Propositions de réforme du cycle supérieur de l'ES et de l'EST présentées par le MENFP



Position du SEW-OGBL (05-05-2010)




Remarques préliminaires


  1. Le document d'orientation du MENFP met en avant le principe d'une démarche participative.
    Il est vrai que les lycées et lycées techniques ont pu s'exprimer et tous les avis en relation avec cette consultation se trouvent sur le site internet du Ministère. En relisant ces avis, on note néanmoins que nombre de propositions faites à tout bout de champ dans ces avis ne sont pas reprises dans le document d'orientation. Les voici:
    • adapter les critères de promotion dans le cycle inférieur et améliorer l'orientation en 9e/5e
    • réduire les effectifs de classes et favoriser le travail en petits groupes afin de permettre une prise de parole régulière par les élèves
    • tenir compte des besoins réels lors du recrutement des enseignants
    • garantir l'usage des trois langues actuelles tout en privilégiant le français en raison de son importance capitale
    • continuer d'évaluer sur 60 points.

    Notons aussi que l'Union des Etudiants Luxembourgeois (UNEL) n'a pas été consultée.
  2. Le document d'orientation fait comme si la méthodologie pédagogique de l'enseignement luxembourgeois était figée depuis un siècle. Or, cela n'est nullement le cas, et tout projet de réforme sérieux devrait d’abord prendre en compte les expériences et acquis de didactique différenciée, tant dans l’enseignement secondaire que dans l'enseignement secondaire technique.
  3. L'approche du document d'orientation est extrêmement utilitariste et orientée vers les besoins de l'économie et l'exercice d'une profession. Ne citons ici que l'expression "métier d'étudiant" pour souligner cette approche.


Oui aux propositions suivantes, sous réserve de préconditions à remplir


  1. L'amélioration de la transversalité/interdisciplinarité, de l'initiative personnelle et de l'autonomie des élèves sont des objectifs auxquels le SEW souscrit, mais il faut être conscient que cette amélioration suscite deux questions essentielles et soumises à conditions:
    • comment les élèves seront-ils encadrés ?
    • comment les élèves seront-ils évalués ?

    Tout dépend de la réponse à ces deux questions:
    • à défaut d'un encadrement suffisant, ces objectifs ne valent pas le papier sur lequel ils sont écrits
    • il faudra s'abstenir d'évaluer des compétences transversales comme par exemple l'autonomie en raison de leur caractère subjectif.

    Avant d'entamer la réforme, les commissions nationales de programmes devront être sollicitées pour présenter des solutions viables ! (1)
  2. Nous pensons que la méthodologie pédagogique devra être diversifiée: un bon enseignant se distingue par l'utilisation de méthodes différenciées suivant le contenu et les objectifs à transmettre. Cela implique que le cours théorique structuré magistral a droit de cité tout autant que des méthodes participatives comme la formation-action. Ce qui importe est le bon mix en fonction du but visé.
  3. Le "travail d'envergure transdisciplinaire", déjà en place dans l'EST peut constituer un avantage pour les élèves, mais il faut pour cela mettre en place un encadrement correct. Les enseignants doivent en effet accompagner et évaluer à la fois un processus et un produit tout en faisant face à un risque de fraude élevé (pièce produite par quelqu'un d'autre; copié-collé à partir de l'internet).
    Le SEW estime que ce “travail” devrait se limiter à un volume raisonnable, les élèves n’étant pas des étudiants en fin de cycle universitaire: L’essentiel sera de les guider dans leur démarche de recherche et de les amener à justifier oralement leur travail. Les aptitudes de recherche autonome et d'expression orale en gagneront sans doute.
    Il faudra tenir compte de ce travail supplémentaire lors de l'établissement du contingent en personnel enseignant et prévoir un espace dans l'horaire des élèves. Notons enfin que l'expérience faite en France avec ce genre d'activité montre qu'on vient à court de sujets à moyen terme.
    Quant au "portfolio", il relève - au niveau du risque de fraude- d'une problématique comparable à celle du travail d'envergure. Il peut néanmoins constituer un point positif dans la mesure où un élève engagé sur le plan social, culturel ou sportif pourra documenter cet engagement et qu'un apprentissage social est loin d’être inutile dans la vie.
  4. La présence de moins de branches à l'examen est une revendication de longue date du SEW.
  5. L'accentuation de l'expression orale reste évidemment un voeu pieux face à des effectifs de classes trop élevés surtout dans l'ES. Le recrutement insuffisant d'enseignants qualifiés élargit d'année en année le fossé entre les actes du MENFP et ses prétentions.


Une discussion controverse devra être menée sur les points suivants !


  1. L'abandon du français au profit de l'anglais


    Le SEW est opposé au statut privilégié de langue obligatoire réservé à la langue anglaise en classe terminale (et cela même dans la dominante "langues").
    L'anglais est certainement la langue de communication économique et scientifique mondiale par excellence, mais elle n'a pas l'importance économique, juridique, sociale et culturelle du français dans le contexte luxembourgeois.
    L'anglais n'est pas une langue officielle dans notre pays, contrairement au français, qui est la langue administrative et de communication par excellence, et au maniement de laquelle il faudra préparer au mieux nos bacheliers. Ajoutons que du point de vue de l'insertion dans le marché de l'emploi, l'abandon du français constituerait de toute façon un mauvais choix pour les élèves luxembourgeois, étant donné que le marché de l'emploi régionalisé les met en concurrence avec des milliers de frontaliers francophones.
    Il faudra sans doute préparer tous les élèves à mieux se servir de l'anglais "technique", par exemple en les initiant à la lecture de publications scientifiques ou en leur apprenant les termes corrects pour interpréter une représentation scientifique, par exemple un graphique. Pour le reste, nous pensons qu'il est dangereux de céder à la pression du lobby économique et financier anglo-saxon et de diminuer l'importance du français dans l'enseignement luxembourgeois au profit de l'anglais.
    Pour le SEW, les lycéens des classes terminales à orientation maths/sciences naturelles devraient donc pouvoir choisir librement entre les trois langues fondamentales, à savoir le français, l’allemand et l’anglais, les lycéens des classes à orientation lettres/sciences humaines devraient obligatoirement parfaire leur maîtrise des trois langues de référence susmentionnées.
  2. L'augmentation de la flexibilité versus l'abandon du groupe classe


    Le groupe classe fera les frais de l'augmentation des options et de la modularisation.
    S'il est d'une part positif que les élèves puissent davantage composer leur cursus, il faut voir d'autre part que
    • l'individualisation à outrance aboutit à la disparition du groupe "classe" et risque de laisser l'école exsangue au niveau des relations sociales, qui sont pourtant essentielles pour les adolescents
    • des problèmes d'organisation importants peuvent en résulter pour les établissements et qu'il faut soulever la question de la collaboration au sein de complexes scolaires
    • l'inflation d'options aboutit à des formations décousues
    • qu'avec un nombre élevé d'options, la question de la valeur du bac au niveau national se pose.

    Il apparaît donc pour le SEW qu'en relation avec la question des options se pose la question essentielle du volume et du type de choix:
    • il faut considérer la faisabilité par rapport au fonctionnement du système
    • il faut voir ce qui est indispensable; ce qui appartient nécessairement à toute formation (et qui ne doit donc pas faire l'objet d'un choix!).

    Par conséquent, à notre avis,
    • il faut éviter un poids des options trop important et viser 1/3 au maximum par rapport au total des leçons)
    • il faut permettre un choix non pas entre matières (= dénominateur commun),
      mais prévoir des options en direction d'un approfondissement de certaines matières
    • il faut renforcer le service d’orientation et de conseil des élèves dans les établissements scolaires, afin que les élèves puissent mieux maîtriser leur cursus scolaire et opérer des choix judicieux en vue des études supérieures envisagées.
  3. Une plus grande flexibilité via la construction de passerelles a pour contrepartie l'augmentation du "tourisme" à travers les formations. Il faudra voir en détail ce qui est admissible.
  4. Dans le cycle supérieur de EST, la réforme proposée prend le contrepied de ce qui est prévu dans l'ES. En effet, alors que dans l'ES, les sections sont vouées à disparaître, les divisions (appelées "dominantes") sont maintenues dans l'EST. A noter qu'aux trois divisions traditionnelles administrative et commerciale, paramédicale et sociale et technique générale a été ajoutée dès septembre 2009 une une division artistique. Celle-ci semble vouée à prendre en charge les élèves qui jusqu'à présent ont choisi les sections E et F de l'ES. Quant à la division paramédicale et sociale, le document d'orientation prévoit de l'intégrer dans la dominante "sciences et technologie".
    Nous voudrions faire part de notre scepticisme vis-à-vis de ces choix:
    • au sujet de la dominante artistique
      • nous pensons que l'enseignement secondaire devra continuer à prendre en charge ces élèves et que l’éducation artistique figure tant parmi les branches générales que parmi les spécialités
      • que la "dominante" artistique dans l'EST risque d'attirer nombre d'élèves qui ne savent pas quoi faire; il faudra donc continuer de décider de leur admission sur base d'un dossier contenant des travaux personnels
    • au sujet de l'intégration des élèves de la division paramédicale et sociale dans la dominante "sciences et technologie"
      • nous ne voyons pas pourquoi la division/dominante paramédicale et sociale ne serait pas maintenue
      • nous savons par expérience qu'un très grand nombre d'élèves qui choisissent actuellement la division des professions de santé et des professions sociales pâtissent des maths; pourquoi alors intégrer ces élèves dans la dominante "sciences et technologie" (ancienne division "Technique générale"), qui privilégie les maths. Cette question se pose d'autant plus que des éducateurs ou des infirmiers n'ont pas besoin de mathématiques fortes pour exercer leur profession !

    Nous insistons enfin que malgré une plus grande spécialisation dans l'ES que dans l'EST - qui semble acquise pour le MENFP - les sciences naturelles et la littérature soient présentes dans toutes les dominantes du cycle supérieur de l'EST.


Position très critique, voire négative vis-à vis de l'approche par compétences


Le document d'orientation pèche à notre avis par la fixation de ses auteurs sur l'approche par compétences aux dépens de la transmission de savoirs. Ainsi, en mentionnant 8 fois le terme "savoir" - dont trois fois négativement - et 66 fois le terme "compétence" le texte sous revue reflète parfaitement la logique réductrice des savoirs et de leur structuration au profit de la réalisation de tâches, qui est propre à l'approche par compétences.
Or, nous pensons qu'avant d'avoir évalué les projets d'approche par compétences en cours dans le cycle inférieur, il faudra s'abstenir de généraliser cette approche dans le cycle supérieur de l'ES et de l'EST. En effet cette approche est à présent de plus en plus contestée tant au niveau des objectifs et des contenus de l'enseignement, qu'au niveau d'une évaluation objective et juste des élèves.
Ainsi, Marcel Crahay, professeur à l'Université de Liège et ancien protagoniste de l'approche par compétences écrit, dans un article publié en 2006(2) :"La logique de la compétence est, au départ, un costume taillé sur mesure pour le monde de l’entreprise. Dès lors qu’on s’obstine à en revêtir l’école, celle-ci est engoncée dans un habit trop étriqué eu égard à sa dimension nécessairement humaniste. Il est urgent que l’école se dégage de l’emprise de l’économisme qui s’insinue dans tous ses rouages, intellectuels et organisationnels."
Quant à l'évaluation des compétences dites transversales, comme l'autonomie, la communicativité, la créativité ou encore la capacité à résoudre des problèmes,
  • elle demande de placer les élèves sous observation permanente au moyen de grilles d'indicateurs comportementaux subjectifs, ce qui exige une paparasserie administrative énorme et une surveillance peu constructive voire inhumaine de la part des enseignants; cela ira aux dépens tant de la disponibilité des enseignants à soutenir les élèves dans leur développement scolaire que de la créativité et de la spontanéité de ceux-ci
  • elle se nourrit de l’illusion qu'on pourrait évaluer des compétences générales en faisant abstraction des contenus d'une discipline précise. Il est évident qu'on ne peut pas faire une recherche autonome et "compétente" sur un sujet économique sans connaître les fondements essentiels en économie; qu'on ne peut pas communiquer sans savoir manier la langue de comunication; qu'on ne peut pas être créatif en musique sans connaître des techniques musicales; qu'on ne peut pas résoudre des problèmes en mathématiques sans en connaître les bases essentielles. Or l'évaluation de compétences transversales prétend précisément cela.

Nico Hirtt, professeur agrégé en physique et en mathématique que le SEW avait invité récemment comme conférencier, écrit dans un article publié sur le site internet de l'Association pour une école démocratique: "Il y a, dans tout jugement scolaire, une part importante de subjectif. Il vaut mieux assumer cette part d’incertitude et en rester conscient que de prétendre l’éliminer en la camouflant derrière des cotes à trois décimales. Aujourd’hui, le projet qui nous est soumis semble abandonner les chiffres pour les « + » et les « - ». Signe des temps ! A l’ère du benchmarking et de la mondialisation, les illusions scientistes n’ont plus la forme de la rationalité chiffrée, mais celle des grilles et des formulaires préformatés, chers aux psychologues d’entreprises.(3)".

Réflexions finales


Nous doutons qu'une nouvelle réforme structurelle qui de surcroît se base sur une approche idéologique contestée, ne puisse résoudre les problèmes de qualification actuels dans le cycle supérieur de l'ES et de l'EST.
A notre avis, c'est plutôt une réflexion sur les objectifs de l'enseignement public et une révision fondamentale des contenus et des méthodes et un changement de l'attitude des élèves qui s'imposent.
Face à la volonté de l'actuelle ministre de l'Education nationale à réformer tous les pans du système éducatif luxembourgeois, nous déconseillons fortement une nouvelle réforme précipitée. Un débat en profondeur notamment sur l'enseignement des langues fait toujours défaut.

SEW-OGBL   Luxembourg, le 5 mai 2010



1A noter que le MEN a consulté les C.N.P.

2Marcel Crahay: Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation, Revue française de pédagogie, 2006


3Nico Hirtt: L’évaluation par « grilles de compétences", 25.07.2008, www.skolo.org