Des réformes bien réfléchies et partagées ! (Journal 4/2006) Monique Adam , Guy Foetz

28.08.2006


La Ministre de l'Education nationale est en train d'ouvrir chantier sur chantier pour réformer l'école luxembourgeoise: cycles d'apprentissage, socles de compétences, nouveaux diplômes, écoles alternatives, redéfinition de la tâche des enseignants, etc.
On peut comprendre cette hâte car une période législative est courte et le besoin d'offrir de meilleures qualifications aux jeunes est pressant. Et pourtant la précipitation actuelle risque de mener une nouvelle fois à des mesures contradictoires et superficielles et d'allonger la liste des épisodes récents « nouvelle ministre-nouvelle politique scolaire », sans que les résultats obtenus ne s'en trouvent s'améliorés, bien au contraire.
Le but déclaré d'un référentiel basé sur des compétences est de privilégier les performances des élèves et d'adapter l'enseignement à l'évolution de celles-ci. Les élèves sont amenés à mobiliser un ensemble de ressources (savoir, savoir-faire, savoir être) face à la vie en société ou à la vie professionnelle. Les corollaires en seraient une focalisation sur l'élève, un travail plus différencié et plus ciblé - à condition d'en avoir les moyens infrastructurels et surtout personnels - et une meilleure motivation des élèves.
Encore doit-on se mettre d'accord sur une traduction opérationnelle des compétences à atteindre. Si les branches professionnelles sont un terrain de prédilection pour la définition de compétences - notons l'introduction, depuis une dizaine d'années, de référentiels de ce genre pour les formations du CATP et du Technicien - les choses se compliquent au niveau des branches générales et cela surtout au début de la scolarité. Des socles de compétences qui ressemblent à quelques exceptions près aux tables des matières de nos manuels actuels ne peuvent pas nous faire avancer, ni d'ailleurs des formulations trop vagues.
Alors que quelques réflexions fondamentales ont été engagées dans l'enseignement primaire et postprimaire, on est bien loin du compte; si la Ministre de l'Education Nationale avance l'année 2008 comme date butoir pour « le démarrage avec les compétences », elle prend ses désirs pour la réalité.
Quant à l'évaluation du niveau de compétence atteint, il s'agit d'un terrain difficile mettant en jeu des critères et des méthodes d'évaluation très diversifiées, dont le caractère subjectif n'est nullement absent. Il ne faut pas penser non plus que le passage vers un système d'évaluation par compétences rende superflue l'application de critères de promotion, comme l'a suggéré la Ministre lors d'une récente interview.
De même que les socles de compétences, les cycles d'apprentissage sont en principe destinés à rendre le travail pédagogique plus souple et plus réfléchi. Si l'on va au bout de ces pensées, on abolit les classes regroupant les élèves d'une seule classe d'âge, mais on abolit en même temps les manuels scolaires qui déterminent une progression linéaire d'année d'études en année d'études. Inviter les écoles à regrouper les élèves de deux années d'études consécutives en imposant l'utilisation des manuels actuels comme suggéré dans les Informations à Mesdames et Messieurs les enseignants à l'occasion de la rentrée des classes 2006/2007 est un non-sens. Il faut donc réfléchir à deux fois sur toutes les implications d'une réforme et ne mettre en route qu'au moment où l'on s'est assuré que le chemin est praticable.
Le projet d'un « nouveau cadre pour le cycle inférieur et moyen de l'EST » tend à s'insérer dans l'organisation par cycles d'apprentissage. Or, le projet PROCI dont il s'inspire et qui vient à échéance, demande à être évalué sérieusement avant de se lancer. Il ne nous semble pas plausible non plus de faire disparaître les filières dans le cycle inférieur de l'EST, alors que de très nombreux élèves ont accumulé les déficits dans l'enseignement primaire à un point tel que les classes communes du cycle inférieur de l'EST ne seraient plus gérables. Nous demandons de commencer à aider massivement les enfants dès les premières années de la scolarité afin d'éviter qu'ils n'y perdent pied. En 7e, il est bien trop tard pour corriger le tir !
Au lieu de mettre la charrue avant les b?ufs, la réorganisation de l'enseignement secondaire technique (et pourquoi pas également de l'enseignement secondaire ?) devrait pouvoir compter sur les premières expériences du préscolaire et du primaire afin d'en assurer la continuité. L'alternative préconisée par le « nouveau cadre », celle de sanctionner un retard scolaire de plus de deux ans au niveau du cycle d'observation (actuellement 7e et 8e) par une orientation vers une classe d'orientation et d'initiation professionnelle (COIP), appelée à donner un survival package pour la vie active, risque d'augmenter le nombre de jeunes qui quitteront l'école sans qualification.
Pour changer l'école il faut des réformes bien réfléchies, qui profitent à tous les élèves et qui se préoccupent plus particulièrement de ceux qui ont le plus de difficultés de réussir.
Cela exige des moyens. Ce n'est pas en réduisant le temps de préparation et la qualification du 2e intervenant dans l'équipe pédagogique des groupes d'éducation précoce - pour ne citer que cet exemple - que l'on en améliorera la qualité. Si l'école veut jouer pleinement son rôle, elle ne peut se limiter à animer et à surveiller. L'enseignant a besoin d'un temps de réflexion et de préparation. Ce temps s'ajoute au temps d'enseignement, au temps d'observation et d'évaluation des élèves, au temps de discussion et de consultation avec les élèves et leurs parents, au temps de concertation dans l'équipe pédagogique et pluridisciplinaire, au temps pour les travaux administratifs et la formation continue. Malheureusement c'est ce temps de réflexion et de préparation qui nous vient de plus en plus à manquer, alors qu'il constitue un élément indispensable pour la profession de l'enseignant.
Actuellement, on perçoit une tendance à vouloir alourdir la tâche de l'enseignant due d'une part aux nouvelles missions découlant des réformes scolaires et d'autre part à la pénurie en personnel enseignant. La plupart des enseignants sont prêts à assurer la réussite de réformes scolaires bien préparées et d'assumer de nouvelles missions au sein de l'école, mais ils ne sont pas prêts à sacrifier leur temps pour des réformes qui ne tiennent pas la route parce qu'elles n'ont pas été examinées à fond avec les personnes du terrain tout en tenant compte des expériences passées et qu'elles manquent de ressources matérielles et personnelles.
La Ministre de l'Education nationale doit donc trouver les moyens pour une réforme honnête de l'école luxembourgeoise; cela passe par un débat pédagogique approfondi, par l'établissement d'un calendrier réaliste et par un recrutement massif d'enseignants, mais aussi d'autres professionnels pour intervenir dans les équipes pluridisciplinaires.

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Monique Adam
Présidente du SEW
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Guy Foetz
Vice-président du SEW