Journal 4/2012: commentaire du président: Un style politique nouveau: créer l’inévitable

25.09.2012

Un style politique nouveau: créer l’inévitable



Dans son récent communiqué du 26 juin 2012, le MENFP déplore l’attitude des syndicats SEW/OGBL et APESS qui avaient demandé une remise de la séance du 26 juin de la Commission de Conciliation au mois de septembre. Ceci pour avoir le temps nécessaire de prendre des avis juridiques au sujet des décisions prises au sein de cette commission. Le MENFP déplore que les deux syndicats continuent résolument à refuser un dialogue visant l’application concrète et appropriée des principes généraux dans le secteur de l’enseignement. Le communiqué se termine par cette jolie phrase que le gouvernement ne peut pas comprendre non plus que ce dialogue doive être reporté à 3 mois de la date d’aujourd’hui.

Ce communiqué résume assez bien la politique et la stratégie menées depuis quelques années par le ministère de l’Education nationale. D’abord il cherche à discréditer au maximum les syndicats pour essayer de les éloigner de leur base, ensuite il continue à influencer l’opinion publique en faisant appel à une démagogie du plus bas niveau.

Si les syndicats doivent mener une bataille juridique, c’est précisément parce que le ministre de la Fonction publique refuse tout dialogue avec les syndicats de l’Enseignement sur les principes de sa réforme. Il essaie même de leur dénier le droit de grève contre cette réforme en voulant qualifier leur désaccord de litige généralisé pour lequel les deux syndicats ne sont pas représentatifs. De son point de vue, les enseignants n’auraient pas le droit de protester contre les principes de la réforme dans la Fonction publique puisque ceux-ci feraient l’objet d’un accord avec la CGFP. Il ne leur resterait qu’à trouver des aménagements avec la ministre de l’Education nationale. Or, en acceptant les principes, il n’y aurait plus grand chose à négocier: c’est en effet une logique qu’on adopte et contre laquelle on ne pourra plus se défendre.

Mais la nouvelle stratégie politique exige une communication où les rôles sont tout simplement inversés. Les syndicats sont accusés de refuser le dialogue, un dialogue qui ne pourrait se faire selon le Gouvernement, que si les syndicats adoptaient les positions du Gouvernement avant d’entamer le dialogue. La propagande et l’influence sur l’opinion publique sont devenues des outils importants pour les ministères. Au sujet du contingent de base des leçons d’enseignement du fondamental, le MENFP utilise la même stratégie de désinformation. Le rapport de planification prévoit clairement une augmentation de la moyenne des effectifs de classe dans les années à venir, ce qui confirme, de la part d’un rapport du MENFP même, qu’entre 2000 et 2019 - date à laquelle le contingent prévu doit être atteint -, il y aura effectivement au niveau national une réduction d’au moins 4.000 leçons prestées auprès des élèves. Or, le MENFP s’obstine à affirmer le contraire avec le seul objectif d’empêcher les médias à se consacrer à ce fait. Les journalistes s’abstiennent d’informer le public, parce qu’ils ne comprennent plus ce qui se passe réellement. Les données sont occultées et les informations du MENFP et des syndicats sont tellement contradictoires qu’il faudrait un vrai journalisme d’investigation pour y voir clair.

Depuis la phase finale de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la nouvelle loi scolaire de 2009, les représentants syndicaux du fondamental ont dû constater que leurs critiques et suggestions, fruits d’un grand engagement pour une loi qui se disait progressive, n’ont trouvé aucune répercussion sur les lois et règlements. Le rouleau compresseur du MENFP avance inexorablement dans sa transformation de notre système scolaire vers un modèle néolibéral.

Les réunions abondantes que le SEW/OGBL a eu avec Madame Delvaux et avec ses collaborateurs n’ont eu comme seul objectif de feindre un dialogue de la part du ministère, mais n’ont pas abouti à la moindre concession du MENFP. L’intérêt des réunions pour le MEN se limite à l’opportunité de publier des communiqués parlant de dialogue avec les enseignants. Le MENFP utilise cette stratégie pour entraîner les syndicats dans une guerre d’usure afin de contrer la mobilisation d’une grande majorité des enseignants.

La même stratégie se retrouve au niveau du secondaire où Madame Delvaux n’a même pas hésité à contester la représentativité devant une salle comble d’enseignants qui pour une écrasante majorité étaient opposés au projet de réforme.

Après trois années, il était prévu de dresser un premier bilan de la réforme du fondamental. Or, d’impressionnants moyens ont été investis, non pour évaluer les conséquences réelles de la réforme, mais pour justifier cette réforme de plus en plus contestée dans le milieu scolaire et aussi par les parents qui commencent seulement à se rendre compte de ce qui se passe sur le terrain.

Les enquêtes auprès des enseignants et des parents, menées par le MENFP lui-même ont pour seul objectif de justifier la réforme. Il ne s’agit pas de faire une évaluation sincère pour apporter les modifications nécessaires à la loi et pour redresser les erreurs commises, mais de trouver à tout prix des arguments pour pouvoir poursuivre ce changement radical du système scolaire.

Les items des enquêtes sont soit formulées de façon ambiguë et ne permettent pas de critique, soit elles proposent des réponses qui donnent aux enseignants le choix entre approuver les réformes ou admettre qu’ils ne sont pas (encore) capables de répondre aux nouvelles exigences et d’assumer les changements engendrés par le changement du système scolaire. Cette nouvelle politique néolibérale ne peut se faire ensemble avec les concernés, mais au contraire, il s’agit d’un changement de paradigme qui s’introduit insidieusement par la petite porte sachant qu’en montrant ouvertement ses objectifs et les changements de société qui les sous-tendent, elle ne trouverait jamais de consentement auprès de la population.

Les textes de la réforme laissent toujours penser à une loi de progrès ayant pour objectif une plus grande égalité des chances et un meilleur fonctionnement de l’ascenseur social. En usurpant le langage des courants progressistes, ces changements néolibéraux ont trouvé au début un accueil favorable. Ce n’est que par la suite que les concernés ont dû constater que beaucoup de concepts et de notions qui ont une connotation très positive dans les milieux scolaires ont été redéfinis. Les objectifs principaux de ces réformes restent l’efficacité et la productivité, c’est-à-dire réduire les coûts de l’Education et trier le plus rapidement possible les jeunes pour les rendre utilisables (employables) par le système économique.

Une des premières victimes de cette nouvelle politique fut d’ailleurs la CGFP, qui avait pris l’habitude de régler ses désaccords avec les ministres compétents derrière les coulisses en comptant sur la bonne volonté du ministre d’arranger les choses au mieux pour les fonctionnaires.

Or, la réforme de la Fonction publique ne peut trouver un accueil favorable auprès des concernés dans l’enseignement et elle ne permet pas de concession, ni de compromis de la part du Gouvernement. C’est ainsi que le ministre a réussi à faire signer par la CGFP un accord avec le Gouvernement qui manifestement reste inacceptable pour la très grande majorité des enseignants. Lors des négociations, la CGFP n’avait pas la moindre chance de trouver un compromis acceptable pour tous les fonctionnaires du secteur public.

Malheureusement il n’y a plus que les rapports de force qui comptent et la récupération par la manipulation de l’opinion publique est une des stratégies essentielles. Ainsi les vieux réflexes et stratégies des syndicats, basés sur un dialogue et des arguments valables, ne semblent plus fonctionner face à une politique qui a manifestement changé de style et qui ne peut plus guère respecter les intérêts des concernés.

Et pour citer le communiqué du MEN, le SEW/OGBL déplore cette attitude du Gouvernement. Nous aurons recours à tous les moyens syndicaux pour poursuivre notre lutte et comptons sur la mobilisation des acteurs du secteur de l’Enseignement.

Patrick Arendt
Président du SEW/OGBL