Le budget de l'Education nationale 2008 - prétention et réalité

26.11.2007

Le budget de l'Education nationale 2008 - prétention et réalité



L'Education nationale compte parmi les éléments stratégiques de la politique économique et sociale mis en évidence par le gouvernement; pour l'année budgétaire 2008, pas moins de 57 projets de construction et de rénovation d'établissements postprimaires sont en cours de réalisation. A côté du MENFP, de nombreuses administrations sont impliqués dans le financement de l'Education nationale. Ce sont par ordre décroissant les communes, l'Administration des Bâtiments publics, le Ministère de la Famille, le Ministère de l'Intérieur, le Ministère des Transports, le Ministère de la Fonction publique et le Ministère de la Santé. Pour les nouvelles constructions du « Neie Lycée » et du Lycée technique pour professions éducatives et sociales il est fait appel à la formule « private public partnership ».
Si nous ne pouvons pas - faute de temps et de moyens - tenir compte ici de tous les éléments qui touchent le financement de l'école publique dans le cadre du budget de l'Etat et des budgets communaux, l'étude du budget du MENFP, côté dépenses courantes surtout, nous fournit des renseignements intéressants sur la politique que le gouvernement mène réellement.

Dépenses courantes du MENFP: une croissance supérieure à celle du budget courant total ... toute relative


Alors que les dépenses courantes du budget total de l'Etat pour 2008 augmentent de 5,4 %, celles du budget de l'Education nationale s'accroissent de 7,5 %; elles dépassent donc la norme budgétaire.
Cette bonne nouvelle doit cependant être relativisée et à vrai dire contestée.
Il faut d'abord considérer que depuis le milieu des années 1990, le budget des dépenses courantes du MENFP accuse un retard persistant sur le budget des dépenses courantes total, comme le montre le graphique suivant :



En chiffres bruts et en indices, ce retard s'exprime comme suit :



On peut conclure qu'en tenant compte d'une croissance équivalente des dépenses courantes du budget de l'Education nationale à celle du budget total, on devrait aboutir pour le MENFP à un montant de dépenses courant de 440.150*2,2768 = 1.002.133,52 euros pour 2008, soit environ 96,3 millions d'euros de plus que ce qui est prévu.
A noter que depuis 1995, le retard accumulé par le MENFP au niveau des dépenses courantes se chiffre à environ 747 millions d'euros.
Si pour 2008, - il faut le remarquer - l'écart entre l'évolution des recettes courantes totales et celles du MENFP semble se réduire pour la première fois depuis 2004, regardons de plus près, quelles sections du budget 2008 du MENFP en profitent :



Le tableau ci-dessus fait apparaître une forte diminution des dépenses générales et une forte augmentation des crédits pour l'Inspectorat et l'Enseignement préscolaire et primaire, ainsi que pour le Service de la formation professionnelle et la section Sport-Dépenses générales. La très grande majorité des autres sections accusent une croissance nettement inférieure à la norme budgétaire. Relevons néanmoins que les crédits alloués aux établissements d'enseignement privés s'accroissent de 6 %.
Voici comment s'expliquent les quelques fortes variations relevées ci-dessus :
  1. La diminution des dépenses générales provient du transfert des « Frais de fonctionnement des installations communes aux différents établissements scolaires du Campus Geesseknäppchen » (1,89 millions d'euros en 2007) dans la section « Enseignement postprimaire », ce qui diminue encore davantage la pauvre augmentation de cette section (1,9 %). Nous y reviendrons tout à l'heure.
  2. L'augmentation des crédits pour le paiement des fonctionnaires dans l'enseignement préscolaire et primaire (+20 millions d'euros) trouve peut-être une explication dans l'étatisation de l'enseignement préscolaire et primaire, prévue dans le projet de loi concernant le personnel de l'enseignement fondamental. Le commentaire du budget du MENFP - très avare en informations concrètes - n'en souffle mot. Si tel était le cas, il s'agirait là d'un simple transfert du budget de Ministère de l'Intérieur 1 au budget de l'Education nationale. Le fonds communal de dotation financière est diminué de la part qui incombe aux communes au titre des rémunérations du personnel enseignant relatives aux mois de septembre à décembre, ce montant étant estimé à 34.452.500 euros 2 .
  3. Le Service de la formation professionnelle est en attente de la réforme de la formation professionnelle et se voit doté e.a. de plus de personnel (+ 1 moi d'€) et de différents crédits augmentant les aides à la formation (+2,7 millions d'euros).
  4. L'augmentation des crédits à la section Sport-Dépenses générales est essentiellement attribuée d'après le commentaire du budget à « un basculement vers les dépenses courantes en provenance des dépenses en capital » 3 . En effet, les crédits d'alimentation du fonds d'équipement sportif national sont diminués de 5,5 millions d'euros et en contrepartie, les moyens courants pour le fonctionnement et le déroulement des activités du mouvement sportif sont augmentés (développement et spécialisation du contrôle médico-sportif, intensification et multiplication de la lutte contre le dopage dans le sport avec l'Agence luxembourgeoise, amélioration des couvertures de l'assurance collective des sportifs, prise en charge particulière sur le plan sportif de débours dans l'intérêt du démarrage des « sports-études » entraînement fédéral et engagements des personnels qualifiés à assurer).

En tenant compte des 25,5 millions de transferts mentionnés en (b) et en (d), la croissance prévue des dépenses courantes du MENFP par rapport à 2007 n'est en réalité que de l'ordre de 5 % maximum et se situe donc une nouvelle fois au-dessous de la norme budgétaire !

Stagnation des dotations dans l'intérêt des lycées et lycées techniques « autonomes »


A première vue, dans le tableau ci-dessous, les dotations dans l'intérêt du fonctionnement des lycées et lycées techniques connaissent une augmentation importante (+ 20,5 % p.r. au budget de 2007). Or, pour pouvoir comparer à conditions égales, il faut retrancher les crédits supplémentaires alloués aux nouveaux lycées (Lycée de Rédange, Nordstad-Lycée, Lycée de Luxembourg-Dommeldange) ainsi que le crédit aux Installations communes Campus Geesseknäppchen, qui figurait en 2007 dans les dépenses générales. On arrive alors à un total de 21 millions d'euros et à une augmentation de 6,3 % par rapport au budget de 2007.
Alors que dans le budget 2007, les dotations dans l'intérêt du fonctionnement des lycées et lycées techniques avaient diminué en moyenne de 8,4 % par rapport à 2006 (Bonjour l'autonomie financière des établissements !), le MENFP a suivi une autre stratégie lors de l'établissement du Budget 2008. Les établissements qui ont consommé moins des 2/3 des crédits alloués en 2007 ne voient pas leurs crédits augmenter pour 2008, ceci pour éviter qu'ils ne pratiquent la politique du bas de laine (« sech eng Mouk uleeën ») pendant plusieurs années en vue d'une acquisition plus importante qui pourrait échapper à l'œil vigilant du MENFP et de l'Inspection des finances (Rebonjour l'autonomie financière !). Le tableau fait apparaître les établissements « fautifs » aux yeux du ministère; ceux uniquement qui avaient pris soin de dépenser davantage que les 2/3 voient leur dotation augmenter.




Une telle démarche de la part du MENFP met évidemment en échec toute tentative de gestion plus indépendante des établissements. Elle va aussi à l'encontre du raisonnement qu'il vaut mieux favoriser le report des fonds alloués à l'année budgétaire suivante, plutôt que de pousser les établissements à les dépenser coûte que coûte afin d'éviter une réduction ou une stagnation des crédits alloués par la suite. Les responsables du MENFP renient ainsi leur propre discours qu'ils ont proféré à l'occasion du projet de loi de 2004 sur l'organisation des lycées et lycées techniques !

Augmentation des crédits à l'enseignement privé


L'engagement de l'Etat pour les écoles privées s'est fortement accru depuis le milieu des années 1990 et surtout depuis le vote de la loi du 13 juin 2003 concernant les relations entre l'Etat et l'enseignement privé. Cette tendance - tant pour les dépenses courantes que pour les dépenses en capital - est illustrée par le tableau suivant :



A noter que le projet de budget des dépenses courantes de 2008 du ministère de l'Education nationale fait bénéficier les établissements privés d'enseignement d'une augmentation de crédit de 6 %.

Les charges de personnel diminuent proportionnellement aux dépenses courantes du MEN


Il est intéressant de noter que depuis 1995, les charges de personnel ont constamment diminué par rapport aux dépenses courantes de l'Education nationale. Alors qu'ils pesaient 82,7 % en 1995, ils ne font plus que 78,1 % en 2008. Ce chiffre exprime mieux que tout autre la pression croissante qui est exercée sur les enseignants face à la progression constante du nombre d'élèves et face aux exigences toujours plus élevées formulées à l'encontre de l'école publique.
La présente analyse du projet de budget du MENFP pour 2008 a notamment eu pour but de corriger une prétention insoutenable des responsables gouvernementaux, celle que le budget de l'Education nationale augmenterait davantage que le budget total et que l'école publique échapperait à la politique d'austérité. C'est bien le contraire qui se passe au niveau des dépenses ordinaires et tous les enseignants le remarquent depuis des années sous la forme d'une augmentation constante de leur tâche, de classes surpeuplées et de coupes dans les frais de fonctionnement. Alors que l'Education nationale est présentée comme un enjeu stratégique par les gouvernants, ses enseignants vivent le contraire au jour le jour et se sentent floués par la politique.

Guy Foetz





1 Le Fonds communal de dotation financière diminue de 400 à 378 millions d'euros (Tome I du Projet de budget 2008, p.182).
1 Tome I du Projet de budget 2008, p.604.
1 Tome I du Projet de budget 2008, p. 62*.