Arrêtons les dégâts (Journal 3/2013)

L’évaluation à l’école fondamentale
Arrêtons les dégâts!
J’enseigne depuis une trentaine d’années au cycle 4, anciennement 5 et 6e années d’études, avec quelques allers-retours vers la 1ère et 2e. J’ai préparé le passage vers le secondaire du temps de l’ancien examen d’admission, j’étais de la partie lors du premier passage avec le conseil d’orientation et j’ai participé à un tel conseil cette année avec les nouveaux bilans. Ce n’était jamais un moment facile et mes allersretours vers les petits m’ont montré que les discussions avec les parents d’élèves sont plus faciles au début de la scolarité des enfants qu’au moment où une sélection est opérée. Je me suis souvent demandé si cette sélection à ce moment était vraiment nécessaire, mais j’ai toujours réussi à accompagner ce passage avec une conscience tranquille plaidant dans les cas limites en faveur de l’élève et de l’avis de ses parents. D’ailleurs dans la très grande majorité des cas, l’avis des parents concordait avec mon avis personnel.
Or, j’ai constaté cette année un revirement spectaculaire dans le dialogue avec les parents et le déroulement de la procédure d’orientation. Non seulement les parents de mes élèves étaient beaucoup plus optimistes sur les chances de réussite de leurs enfants dans l’enseignement secondaire que je ne l’étais moi-même, mais encore je me sentais beaucoup moins outillé au conseil d’orientation pour défendre auprès des autres membres du conseil l’avis que je m’étais forgé moi-même. D’où des cas de conscience et un sacré malaise !
Les nouveaux bilans sèment la zizanie dans l’orientation les élèves à la fin de l’enseignement fondamental!
Comment faire comprendre en effet aux parents d’élèves que les très bons résultats dans la compréhension de l’oral qui dispose de 5 descripteurs dans les bilans intermédiaires, ne peuvent compenser les faibles résultats dans la production écrite qui pourtant ne dispose que de 3 descripteurs dans les bilans intermédiaires. Des parents qui ont pleinement adopté la logique du nouvel outil d’évaluation envisagent alors l’ES, alors que le titulaire de classe tenant compte des bons résultats à l’oral tout en sachant que l’enfant ne se retrouverait pas dans l’ES qui exige aussi de bons résultats pour l’écrit propose l’EST. Lors du conseil d’orientation l’inspecteur et les professeurs qui n’ont pas vu l’élève, lisent ses productions écrites et plaident pour le modulaire. Il s’agit certes d’un exemple très pointu, mais il indique une tendance.
Quand les responsables politiques campent sur leurs positions et pensent que tout va s’arranger avec le temps
Depuis le début pourtant, les enseignants et leurs syndicats ont critiqué les nouveaux outils d’évaluation. Certes au début, lors de l’introduction des bilans aux cycles 1 et 2, ces critiques étaient moins prononcées, mais depuis l’introduction des bilans aux cycles 3 et 4 elles devenaient de plus en plus véhémentes. Il y avait même des contre-propositions, mais à chaque fois qu’une nouvelle approche était envisagée, le MEN refusait de s’engager dans cette discussion. Les enquêtes sur les bilans lancées par le MEN concluaient invariablement que les bilans remplissaient leur mission, mais que les enseignants avaient quelque mal à s’y adapter. La dernière enquête au cycle 3 s’avérant cependant de plus en plus critique, il fut décidé de renoncer à une telle enquête pour le cycle 4. Lors du bilan de la réforme, les outils d’évaluation ont a nouveau remporté la palme des mesures les plus critiquées, si bien que l’Université du Luxembourg a été chargée de …, de quoi en fait ? D’élaborer de nouveaux bilans ? Le professeur Tröhler a tout de suite fait savoir qu’il ne pouvait que faire des propositions et que c’était aux responsables politiques de prendre des décisions. Or, ces propositions ne nous sont pas encore parvenues. Est-ce qu’elles sont parvenues aux responsables politiques ? Les enseignants et l’opinion publique l’ignorent ! Or, le temps s’enfuit et il serait important de savoir ce qui va se passer l’année prochaine. Contrairement aux avis d’aucuns, les enseignants aiment préparer leur enseignement de même que leurs façons d’évaluer. Il existe par ailleurs une relation étroite entre les deux. Ainsi, ils veulent savoir ce qui va se passer l’année prochaine: sacrifiera-t-on encore une cohorte d’élèves aux nouvelles formes d’évaluation ou peut-on espérer un revirement pour limiter les dégâts ?
L’attentisme risque de ruiner l’école publique
Le MEN pourra toujours espérer que le temps lui donnera raison et que même les plus motivés des enseignants finiront par accepter de remplir leur fonction en faisant semblant d’y croire et en prenant des somnifères pour pouvoir « dormir tranquille ». Les parents qui en ont les moyens choisiront tôt ou tard des écoles privées qui prépareront leurs enfants à l’enseignement secondaire, désormais appelé classique pour bien marquer son attachement aux valeurs traditionnelles. Peut-être que certaines écoles fondamentales réussiront à présenter un projet de réussite scolaire s’inscrivant dans la même logique; mais que feront les autres ? Est-ce qu’elles ne risquent pas d’être soumises à des querelles interminables sur le niveau à viser et les contenus à privilégier ? Faute d’un plan d’études cohérent et d’exigences claires quant aux contenus, elles risquent de naviguer à vue sur une mer agitée et leur barque risque de sombrer engloutissant élèves et enseignants. Ce n’est pas ce que je souhaite à l’école publique, mais c’est bien ce que je crains ne plus pouvoir éviter si le MEN tarde encore à reconnaître son erreur.

Monique Adam