Revalorisation ou dévalorisation de la profession?

11.10.2008

Voilà donc que le Gouvernement propose de reclasser les instituteurs dans la carrière supérieure en leur imposant une tâche inconciliable avec un travail intellectuel de qualité. Une incongruité malheureusement presque emblématique pour une époque qui privilégie l'activisme et néglige la réflexion sur le sens des actions.

Le SEW/OGBL s'est toujours soucié de la qualité de l'école:
  • Voilà pourquoi il a plaidé pour une meilleure formation des instituteurs, en l'occurrence un master en sciences de l'éducation.
  • Voilà pourquoi il a plaidé pour le modèle de la cogestion, des équipes pédagogiques et des équipes multidisciplinaires.
  • Voilà pourquoi il a organisé des journées pédagogiques pour discuter du changement de paradigme conduisant l'école d'une institution rigide vers une structure répondant aux besoins multiples et divers des élèves pour les amener à devenir des citoyens responsables, capables de participer à la vie sociale, civique, culturelle et économique du pays.


À l'époque la Ministre de l'Education nationale participait à ces journées de réflexion pour rencontrer les instituteurs et institutrices ancrés dans la réalité quotidienne de l'école luxembourgeoise. A l'époque nous avions écrit dans notre éditorial du Journal N°1/2006: «Le changement de paradigme ne peut s'opérer qu'à condition de convaincre la majorité des enseignants à reconsidérer les bases de leur routine professionnelle. Pour être prêts à assumer le nouveau rôle qu'ils ont à jouer, ils doivent être convaincus du bien-fondé et de la faisabilité des changements proposés. Les équipes pédagogiques auront besoin de ressources humaines, de moyens techniques, de liberté pédagogique et surtout de temps pour mener à bien leur tâche. L'implication des enseignants dans le développement scolaire doit avoir des incidences sur leur tâche d'enseignement. Pour arriver à bon port il vaut mieux ne pas surcharger la barque».

Permettez-nous d'être particulièrement déçus d'une Ministre de l'Education nationale qui était à l'écoute des enseignants au début de son mandat, mais qui s'est peu à peu laissée accaparer par la politique politicienne. Cela a commencé avec l'organisation étatique de l'école fondamentale, accompagnée de son contingent de leçons d'enseignement mis à la disposition des communes, une façon d'attribuer les moyens à travers des calculs arithmétiques sans tenir compte des réalités concrètes du terrain. Cela s'est poursuivi à travers des négociations pour le reclassement dans la carrière supérieure qui se sont focalisées en fin de compte sur la tâche des instituteurs et où les temps nécessaires à la préparation des leçons et à la correction des travaux des élèves ont été minimisés, afin de pouvoir leur imposer des leçons supplémentaires.

Un compromis pourri qui ne tient aucun compte des besoins réels de l'école luxembourgeoise



Tout au long des négociations, les représentants du SEW/OGBL ont toujours fait savoir que le temps supplémentaire en concertation et en consultation des parents élargissant le temps de présence des instituteurs de 23+1 à 23+4, constituait un effort énorme fourni par le personnel enseignant dans le cadre d'une réforme ambitieuse de l'école fondamentale et que toute exigence supplémentaire sur la tâche ne pourrait conduire qu'à une diminution de la qualité de l'enseignement. Notre propos n'est pas de contester l'utilité de leçons d'appui pour des élèves en difficulté, mais nous sommes d'avis que ces leçons doivent être assurés par des instituteurs qui ont la possibilité d'analyser la difficulté d'apprentissage particulière de l'élève et de lui proposer la démarche appropriée à sa situation. Demander à un instituteur d'assurer ces leçons au delà d'une tâche déjà plus que chargée par l'introduction des concertations et l'élargissement de la consultation pour parents est déraisonnable. Que le parti chrétien-social, qui depuis le début a tout fait pour contrecarrer un projet de loi qui faisait confiance aux acteurs du terrain en y introduisant des éléments bureaucratiques et hiérarchiques, insiste pour exiger une tâche irréaliste ne fait que confirmer l'hypothèse selon laquelle il n'a aucun intérêt à une réforme réussie de l'école publique luxembourgeoise et surtout pas sous la tutelle d'une ministre socialiste. Mais que Madame Delvaux-Stehres ne défende pas la qualité de l'enseignement qui passe aussi par des conditions de travail décentes pour les enseignants est à nos yeux tout à fait incompréhensible. Que tout un Gouvernement, représenté par son Premier ministre à la table des négociations, réduise la question à un compromis à trouver entre les vues du parti chrétien-social et les vues des représentants des enseignants, nous laisse songeur sur le sérieux avec lequel nos autorités politiques abordent la question de l'école.


La politique ne réagit que face à la pression



Tout au long des négociations, il était clair que le reclassement de la carrière de l'instituteur n'était en discussion que grâce à la mobilisation massive des concernés, à la pression sur la nouvelle loi scolaire et à la menace de la grève qui était tout à fait réelle. Tous ces hommes et ces femmes politiques qui affirmaient avoir compris enfin que la carrière de l'instituteur méritait effectivement d'être reclassée, n'avaient pas été convaincus par nos arguments pourtant très valides, mais par les menaces que nous faisions peser sur la mise ne œuvre de la nouvelle loi, tout comme sur le fonctionnement de l'école tout court. Au moment exact, où ils ont senti que leur proposition pourrait devenir acceptable par une partie des enseignants, ils n'ont plus bougé et ils ont simplement dicté leurs conditions. Ils ont même pris le risque d'y inclure des affronts supplémentaires envers les jeunes et futurs collègues comme envers ceux qui partiront à la retraite au cours des 5 prochaines années, des dispositions qui n'ont conduit qu'à une réduction de coût minime, mais qui constituent des précédents fâcheux pour d'autres négociations à venir et qui témoignent de la faiblesse des représentants des instituteurs qui n'ont pas réussi à les refuser.

L'enjeu de l'accès à la carrière supérieure a prévalu



Il est vrai que les pressions qui pesaient sur les négociateurs étaient énormes et que tout le monde nous disait: «vous êtes condamnés à réussir». Obtenir la carrière supérieure pour l'instituteur était devenu un enjeu tellement énorme, revendiquée depuis des décennies, mais jamais atteinte, il fallait absolument réussir maintenant, ne pas laisser passer ce moment propice. Si finalement 55% de ceux qui ont participé au scrutin des syndicats se sont déclarés d'accord avec la proposition du Gouvernement, ils l'ont probablement fait à cause de l'importance de l'enjeu et parce qu'ils savaient que la poursuite du conflit aurait conduit à une lutte très dure avec une issue incertaine.

Ne nous trompons pas d'adversaire



Il est clair que le SEW/OGBL aurait été prêt à continuer cette lutte, mais il savait aussi que cela n'était possible que si l'on avait une forte majorité des instituteurs qui étaient déterminés à s'y engager. Le SNE/CGFP était dès le début plus favorable à l'acceptation de la proposition gouvernementale et ses membres lui ont d'ailleurs donné raison. Les membres du SEW/OGBL se sont par contre prononcés à plus de 60% contre la proposition du Gouvernement et il est clair que nous ne pourrons donner notre accord ni à la tâche, ni au déclassement des jeunes, ni au lissage des pensions. Nous ne nous trompons cependant pas d'adversaire, et même si nous estimons qu'il aurait été plus facile de refuser ces mesures, si le SNE/CGFP avait été sur la même longueur d'onde dès le début, nos adversaires sont et resteront les ministres qui ont raté une chance historique pour trouver un accord vivable.

Restons mobilisés et refusons l'inacceptable



Nous continuerons donc à nous opposer au diktat du Gouvernement et à réunir les forces nécessaires pour obtenir un accord susceptible de mobiliser l'énergie des instituteurs et institutrices pour une réelle réforme de l'école publique. Notre refus d'une augmentation de la tâche, notamment à travers des leçons d'appui supplémentaires, au déclassement des jeunes et au lissage des pensions reste intact et si nous réussissons à mobiliser suffisamment d'instituteurs et d'institutrices sur ces 3 points, nous aurons encore des chances de changer les termes des lois qui doivent donner un cadre légal à tout cela. Ce qui est clair cependant, c'est que ces chances sont minimes tant que nous resterons minoritaires et que le Gouvernement peut compter sur une majorité d'instituteurs et d'institutrices qui acceptent les termes de sa proposition. Soyons conscients que le temps presse et que le Gouvernement essaiera de faire voter les lois concernant l'enseignement fondamental dans les mois à venir, de même que l'amendement à la loi sur le régime des pensions. Nous ne devons donc pas tarder à nous remobiliser et à lutter contre les dispositions inacceptables. Ne nous laissons pas aller à la résignation et au défaitisme, mais défendons la dignité de notre profession en exigeant des conditions de travail permettant un enseignement de qualité.

Monique Adam
Présidente du SEW