Quels sont les vrais objectifs de la réforme scolaire?

Le SEW s’engage depuis longtemps pour une école publique assurant l’égalité des chances. Bien avant les études PISA, il a dénoncé les inégalités et fait des propositions pour y remédier. C’est le problème majeur d’un système éducatif exigeant à cause du poids des langues. Le fait d’avoir deux langues d’enseignement qui ne correspondent que très rarement aux langues maternelles des enfants rend le système scolaire luxembourgeois particulièrement sélectif en faisant dépendre la réussite scolaire de la capacité des enfants d’acquérir avant l’âge de douze ans, les deux langues d’enseignement à un niveau sensiblement équivalant.
Les enseignants savent depuis longtemps que les enfants issus de milieux socialement ,défavorisés ont du mal à acquérir les compétences langagières nécessaires à réussir leurs études. Ils demandent des moyens supplémentaires pour mieux aider les élèves qui rencontrent des difficultés. Ils ont réussi en partie, car ils ont dans l’enseignement ,fondamental la moyenne d’élèves par classe la plus faible de tous les pays de l’OCDE. Ils ont également réussi à obtenir des mesures d’appui pour ces élèves et ils soutiennent une réforme scolaire quand il s’agit d’améliorer la qualité de l’école pour la rendre moins inégalitaire.
Madame Delvaux promet bel et bien une telle réforme et, a priori, il faut la soutenir. L’idée de donner plus d’autonomie aux écoles pour leur permettre de répondre de façon plus efficace aux besoins de leurs élèves est séduisante. Elle rejoint les revendications du SEW pour la reconnaissance du travail des comités d’école et de cogestion. Elle pourrait fonctionner, si effectivement on accordait aux écoles les moyens dont elles ont besoin pour relever le défi du trilinguisme auquel s’ajoute pour presque la moitié des élèves une quatrième langue qui est leur langue maternelle et pour tous au niveau du secondaire l’apprentissage de l’anglais qui prend une importance croissante au niveau de l’université.
Or, l’étatisation avec les contingents de leçons d’enseignement attribués aux communes tend plutôt à priver les écoles de ces moyens nécessaires. L’ampleur du travail administratif épuise les enseignants qui se sentent moins disponibles pour répondre aux besoins de leurs élèves. Et les nouvelles méthodes de différenciation et d’évaluation des compétences individualisent les parcours scolaires.
Ainsi on demande à chaque écolier de l’enseignement fondamental de commencer à s’évaluer lui-même et à constituer son propre portfolio des apprentissages. «La responsabilisation des élèves dès le début de leur scolarité revêt donc une importance particulière» (Caron, 1994, citée par la circulaire pédagogique pour la rentrée scolaire 2010/2011 du MEN). Et la circulaire continue sur cette lancée: «La communication aux élèves des objectifs à atteindre et des critères de réussite est absolument nécessaire afin que les élèves apprennent à gérer eux-mêmes leurs parcours d’apprentissage et qu’ils peuvent s’évaluer eux-mêmes, bien entendu sous la guidance et avec l’appui de l’enseignant.» Dès l’enseignement fondamental nos élèves sont donc appelés à devenir les gestionnaires de leurs propres compétences, à apprendre à s’adapter aux objectifs à atteindre et à se conformer aux critères de réussite de préférence de façon un peu plus rapide que leurs camarades de classe, car ce serait là le nouvel enjeu pour la réussite scolaire. De cette façon les apprentissages en commun devraient se faire de plus en plus rares et les élèves les plus en avance accapareraient d’autant plus facilement l’attention de l’enseignant qu’ils désirent progresser rapidement, alors que la réduction des inégalités demanderait une attention accrue de l’enseignant pour les élèves qui ont plus de difficultés.
Par ailleurs, les nouvelles méthodes d’évaluation des compétences n’entendent plus contrôler les acquis scolaires, mais bien les compétences à réussir dans la vie telles qu’elles sont définies par les programmes d’évaluation internationale comme PISA et par le nouveau plan d’études pour l’enseignement fondamental. Or, les compétences telles qu’elles sont évaluées dans les épreuves standardisées administrées actuellement aux élèves du cycle 3.1 ne contrôlent que partiellement les apprentissages réalisés à l’école au cours du cycle 2, mais également la culture générale que les enfants acquièrent en dehors de l’école. Dès lors les variations selon des critères sociaux sont explicitement prévues dans la communication des résultats aux écoles. Ainsi on n’évaluerait plus ce que les élèves apprennent à l’école, mais bien au delà ce qu’ils ont acquis comme compétences depuis leur naissance. L’évaluation des compétences risque de devenir désormais une entreprise totalitaire à laquelle l’école, les familles et tout particulièrement les jeunes qui sont évalués ont à se conformer.
Ce seront ces évaluations qui les orienteront lors de leur passage de l’enseignement fondamental vers le secondaire et qui décideront plus tard de leur employabilité.
Le SEW constate que cette réforme a perdu de vue son premier objectif qui était l’amélioration de l’égalité des chances, car ce nouveau modèle d’évaluation par lequel on envisage de piloter tout le système scolaire n’est vraiment compréhensible que dans les milieux culturellement favorisés. Ainsi, on ne donne plus de devoirs à domicile à nos élèves, alors que ceci permettait au moins aux familles de savoir quoi faire pour aider leurs enfants. Maintenant on demande aux parents d’élèves de collaborer avec l’école pour que leurs enfants acquièrent les compétences à réussir dans la vie. Voilà pourquoi la tâche de l’enseignant s’accroît du côté de la communication avec les parents au détriment du travail avec les élèves. Je pense que tout un chacun devinera aisément à qui profitera ce dialogue avec les parents d’élèves, ne serait-ce que du point de vue de la disponibilité de ces derniers pour assister aux réunions. Et combien de fois les enseignants n’entendent-ils pas cette remarque: «C’est très intéressant, ce que vous nous racontez, mais dites-nous s’il travaille plutôt mieux que les autres ou moins bien?» Car les parents ont bien compris que c’est cela qui compte dans la compétition pour avoir un emploi demain. De toute façon, c’est ce qu’on fait à la fin du cycle 4 pour l’orientation des élèves vers le secondaire. A travers les épreuves standardisées on compare les élèves de tout le pays, afin d’orienter les plus performants vers l’enseignement secondaire et les autres vers le secondaire technique.
Où sont donc passés l’égalité des chances et l’autonomie des écoles?
Les enseignants sont de plus en plus instrumentalisés par les formes d’évaluation du système scolaire et les démarches administratives à respecter. Les élèves des milieux défavorisés sont amenés à constater que c’est de leur propre faute, parce qu’ils n’arrivent pas à remplir assez rapidement leur portfolio de compétences, qu’ils ne réussissent pas à l’école. Non, ce n’est décidément plus la réforme préconisée par le SEW!
Présidente du SEW