ES et EST – Les problèmes prioritaires à résoudre

13.10.2010

Lors de sa conférence de presse de rentrée 2010-2011, le SEW a brièvement rappelé les sujets majeurs qui seront à l’ordre du jour dans l’enseignement postprimaire au cours de cette année scolaire ainsi que les revendications qu’il a formulées à leur égard.

L’enseignement par compétences dans le cycle inférieur de l’ES et de l’EST

Au cours des dernières années, le MENFP a mis la pression pour généraliser l’approche par compétences dans l’ensemble de l’enseignement luxembourgeois. Ce choix n’a jamais été discuté fondamentalement en public; il a été imposé par le Ministère, qui suivait ainsi les préceptes de la politique libérale européenne. Or, cette approche est contestée tant au niveau des objectifs et des contenus de l’enseignement, qu’au niveau d’une évaluation objective et juste des élèves.

Marcel Crahay, professeur à l’Université de Liège et ancien protagoniste de l’approche par compétences écrit, dans un article publié en 20061: «La logique de la compétence est, au départ, un costume taillé sur mesure pour le monde de l’entreprise. Dès lors qu’on s’obstine à en revêtir l’école, celle-ci est engoncée dans un habit trop étriqué eu égard à sa dimension nécessairement humaniste. Il est urgent que l’école se dégage de l’emprise de l’économisme qui s’insinue dans tous ses rouages, intellectuels et organisationnels.»

Lors d’une conférence à l’Athénée de Luxembourg, organisée par le SEW en mars 2010 et suivie par quelque 250 enseignants, Nico Hirtt, professeur agrégé en physique et en mathématique dans le Braban wallon et critique assidu de l’approche en question avait remarqué qu’à son avis, le chamboulement des programmes au Luxembourg n’irait heureusement pas aussi loin qu’en Belgique. L’approche par compétences comporte certainement des éléments positifs – tout particulièrement en attirant l’attention de l’enseignant de manière systématique sur les différentes aptitudes de l’élève et en facilitant ainsi son orientation.

Néanmoins, il faut constater – au niveau du cycle inférieur de l’ES et de l’EST – que l’évaluation des multiples éléments prévus notamment dans les branches linguistiques, est extrêmement lourde, qu’elle est en grande partie incompréhesible pour une majorité de parents et qu’elle ne garantit pas nécssairement de résultats pertinents. La subdivision des performances en différentes compétences dont “Ecriture “(écrire des textes, orthographe/ grammaire; expression/vocabulaire), ”Compréhension de l’écrit”,” Compréhension de l’oral”, “Parler, communiquer, écouter” rend une évaluation équitable dans une classe de 20 à 30 élèves extrêmenent difficile, voire pratiquement impossible. L’enseignant se trouve pris dans un engrenage d’observation permanente et d’une paparasserie administrative énorme et cela aux dépens de sa disponibilité à soutenir les élèves dans leur développement scolaire, leur créativité et leur spontanéité. Encore est-il parfaitement imaginable sous ces conditions de dispersion très large des différentes facettes de la pratique linguistique, qu’un élève réussisse son année en méconnaissance parfaite de l’orthographe et de la grammaire.

Il nous semble évident que l’évaluation dans le cycle inférieur de l’ES et de l’EST devra être rediscutée !

Les critères de promotion dans le cycle inférieur

Les anciens critères de promotion tout à fait inadaptés pendant et à la fin du cycle inférieur sont toujours en vigueur. La ministre de l’Education nationale a refusé de donner une suite à la pétition des 617 enseignants et aux requêtes répétées de notre syndicat lui demandant de revoir les règles de promotion piteuses que le MENFP a édictées il y a quelques années pour le cycle inférieur de l’EST.

La ministre renvoie constamment à la mise en place des nouveaux socles dans le cadre de l’approche par compétences. Or, on peut craindre qu’on n’assiste finalement qu’à un changement de terminologie (très bonne maîtrise = socle dépassé; maîtrise= socle atteint; en voie d’acquisition = compensation), qui ne change rien au problème de fond. Celui-ci consiste à reporter sans cesse les difficultés des élèves sans les résoudre et cela jusqu’à la fin de la classe de 9e, où il faut constater que de nombreuses formations leur sont devenues inaccessibles.

Nous réitérons bien entendu notre revendication que les critères de promotion doivent être renforcés.

La réforme du cycle supérieur et de l’enseignement des langues

Le document d’orientation du MENFP pour une réforme des classes supérieures de l’ES et de l’EST veut améliorer la transversalité, l’initiative personnelle et l’autonomie des élèves. Il s’agit là d’objectifs auxquels le SEW souscrit pleinement, mais qui demandent un encadrement suffisant des élèves et des solutions viables au sujet de l’évaluation. Ledit “travail d’envergure” est soumis à des conditions comparables.

L’offre d’options et une modularisation trop poussées risquent de conduire à des formations décousues, à l’abandon du groupe classe et à des problèmes énormes d’organisation administrative. Il apparaît pour le SEW: - qu’ il faut éviter un poids des options trop important et viser 1/3 au maximum par rapport au total des leçons) - qu’ il faut permettre un choix non pas entre matières (= dénominateur commun), mais prévoir des options en direction d’un approfondissement de certaines matières. - qu’il faut renforcer le service d’orientation et de conseil des élèves dans les établissements scolaires, afin que les élèves puissent mieux maîtriser leur cursus scolaire et opérer des choix judicieux en vue des études supérieures envisagées.

Le document d’orientation réserve un statut privilégié de langue obligatoire à la langue anglaise en classe terminale. Dans son avis sur le document en question, le SEW a marqué son opposition à ce principe.

Nous admettons que l’anglais est certainement la langue de communication économique et scientifique mondiale par excellence, mais elle n’a pas l’importance économique, juridique, sociale et culturelle du français dans le contexte luxembourgeois. Il faudra sans doute préparer tous les élèves à mieux se servir de l’anglais «technique», par exemple en les initiant à la lecture de publications scientifiques ou en leur apprenant les termes corrects pour interpréter une représentation scientifique, par exemple un graphique.

Mais l’anglais n’est pas une langue officielle dans notre pays, contrairement au français, qui est la langue administrative et de communication par excellence, et au maniement de laquelle il faudra préparer au mieux nos bacheliers. Ajoutons que du point de vue de l’insertion dans le marché de l’emploi, l’abandon du français constituerait de toute façon un mauvais choix pour les élèves luxembourgeois, étant donné que le marché de l’emploi régionalisé les met en concurrence avec des milliers de frontaliers francophones.

Pour le SEW, les lycéens des classes terminales à orientation maths/sciences naturelles devraient donc pouvoir choisir librement entre les trois langues fondamentales, à savoir le français, l’allemand et l’anglais, les lycéens des classes à orientation lettres/sciences humaines devraient obligatoirement parfaire leur maîtrise des trois langues de référence susmentionnées.

On retrouve dans le document d’orientation la même fixation sur l’approche par compétences (ce terme apparaît 66 fois, alors que le terme “savoir” est mentionné 8 fois, dont 3 fois négativement). Face à un tel engagement qui ressemble à du fanatisme, nous voudrions insister qu’on ne peut par exemple pas faire une recherche autonome et «compétente» sur un sujet en économie sans connaître les fondements essentiels en économie; qu’on ne peut pas communiquer sans savoir manier la langue de communication; qu’on ne peut pas être créatif en musique sans connaître des techniques musicales; qu’on ne peut pas résoudre des problèmes en mathématiques sans en connaître les bases essentielles.

Lors de l’entrevue au MENFP en date du 01/06/2010, qui a permis aux représentants du SEW d’exposer un avis détaillé sur le document d’orientation, la ministre a promis que les finalités communes seront rediscutées et qu’un dépôt du projet n’interviendra pas avant l’année scolaire 2012/13. Nous espérons que cette promesse sera tenue et qu’une nouvelle réforme précipitée évitée.

La réforme de la formation professionnelle

Cette réforme n’est pas bien partie, c’est le moins qu’on puisse dire.

Seulement 2 formations CCP, 15 formations DAP, et 2 formations de technicien peuvent démarrer dans les délais au début de cette rentrée scolaire. Les autres 125 formations ne sont simplement pas prêtes du tout. La mise en place au niveau des groupes curriculaires s’avère chaotique, les commissions nationales de programmes qui doivent donner leur avis peinent d’être informées et demandent des redressemenents au niveau des objectifs fondamentaux, des contenus et des horaires..

Cette situation, qui pour certaines formations n’est pas loin de virer au fiasco, résulte du fait que pour la loi en question et les règlements grand-ducaux qui y sont liés, le MENFP avait choisi la voie expéditive, faisant fi des remarques des syndicats et de la chambre des salariés. Tout particulièrement au niveau des formations de technicien, le bagage théorique prévu risque d’être insuffisant et les futurs techniciens tendent à être exclus de l’accès aux formations de BTS.

Le SEW a publié fin juin un communiqué réagissant aux propos des ministres Biltgen et Delvaux mettant précisément en évidence l’importance de ces Brevets de technicien supérieur, auxquels les futurs techniciens issus de la réforme de la formation professionnelle ne pourront plus accéder que s’ils réussissent des modules préparatoires se déroulant en dehors de l’horaire normal.

Tout au long de la discussion sur le projet de réforme de la formation professionnelle, le SEW avait dénoncé - sans pour autant être écouté par le MENFP - la disparition de l’accès régulier aux études supérieures pour les futurs techniciens. Nous avions caractérisé cette disparition de dévaluation inadmissible d’un diplôme existant, signant le retour au modèle de l’école professionnelle d’il y a 30 ans, qui ne correspond nullement au développement technologique et social actuel.

L’importance du BTS prônée par le ministre de l’Enseignement supérieur met en évidence le caractère rétrograde de la nouvelle loi portant réforme de la formation professionnelle. En effet, alors que 50% des emplois créés font appel à des diplômes bac+2 au moins, cette loi a coupé les ailes à nos futurs techniciens.

Il est urgent de redresser la barre au moyen des réglements exécutifs des nouvelles formations, et cela en donnant aux futurs techniciens le bagage théorique nécessaire pour poursuivre régulièrement des études supérieures!

Le manque massif et croissant d’enseignants qualifiés dans l’ES et l’EST

Le SEW ne manque pas de revenir à chaque occasion sur ce mal qui gangrène notre enseignement.

Rappelons qu’à l’heure actuelle, environ 1/4 des leçons dans l’enseignement postprimaire public sont données par des chargés de cours qui ne disposent pratiquement d’aucune formation pédagogique.

La tendance vers de plus en plus de chargés d’éducation est favorisée par la politique du MENFP:

  • recrutement d’un nombre insuffisant de stagiaires au concours annuel et blocage de la part du MEN des propositions de réforme de ce concours;
  • ouverture récente d’une carrière -parallèle à la carrière normale- de chargés de cours recrutés au niveau du bachelor, disposant d’une formation pédagogique de 60 (!) heures et mis sous la tutelle du directeur d’établissement;
  • réforme du stage pédagogique ne débutant dorénavant qu’au 3e trimestre et favorisant ainsi la “production” de nouveaux chargés d’éducation cherchant un emploi dans l’enseignement dès septembre en attendant de réussir le concours et de pouvoir entrer au stage.


Le SEW condamne cette politique, nuisible pour la qualité de l’enseignement et demande au MENFP de revoir sa copie!

Guy Foetz
Professeur de sciences économiques et sociales au LTNB
Vice-président du SEW/OGBL



1Marcel Crahay: Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation, Revue française de pédagogie, 2006.