Evaluer les élèves du fondamental : Les points de discorde entre les enseignants représentés par leurs syndicats et la politique du MEN (Journal 5/2012)

Le SNE/CGFP et le SEW/OGBL constatent que le document « Niveaux de compétences » se trouve à la base du travail d’évaluation par les bilans intermédiaires. Ce document adopte pour la suite des niveaux de compétences une structure linéaire et suggère par conséquent que les apprentissages des élèves se fassent de façon linéaire et organisée. Or, les apprentissages ne se font pas selon cette logique linéaire prédéfinie. Les cheminements d’apprentissage des élèves sont beaucoup trop individualisés, trop variés et trop diversifiés pour pouvoir les insérer dans un cadre tellement restreint. Le choix des niveaux de compétences constitue un choix subjectif qui sous-entend que les apprenants évoluent d’après des échelons prédéfinis. A force de vouloir venir à bout de cette aporie, les responsables du MENFP ont essayé de concentrer un maximum d’informations dans les bilans. En ce faisant, ils se sont fourvoyés dans trop de détails. Partant, les outils d’évaluation ont perdu leur clarté et par conséquent manquent d’intelligibilité.
Les progressions décrites dans les niveaux de compétences ne s’enchaînent pas toujours de façon cohérente. La mise en place d’une suite logique des niveaux de compétences nous semble d’ailleurs impossible à réaliser au vu de la remarque exprimée au paragraphe précédent.
De toute évidence, la définition des niveaux et des socles de compétences s’avère très difficile. L’évaluation des élèves selon ces niveaux prédéfinis et selon une certaine « chronologie » inflexible est d’autant plus difficile encore.
Se pose notamment la question suivante lors de la rédaction des bilans :
Comment évaluer un enfant qui répond aux exigences d’un certain niveau, mais qui ne maîtrise pas encore les exigences d’un niveau antérieur ? Respectivement, un enfant doit-il obligatoirement maîtriser les exigences d’un niveau antérieur avant d’atteindre un niveau plus élevé ?
Les formulations utilisées appellent souvent des interprétations différentes auprès des enseignants. En effet, les formulations ne permettent pas toujours de situer avec précision le développement des compétences de chaque enfant.
De plus, la terminologie employée dans les bilans (expressions compliquées et complexes en raison d’un vocabulaire professionnel sophistiqué) n’est guère adaptée aux enfants et difficile à véhiculer. Les formulations utilisées (compétences et niveaux de compétences) sont parfois très compliquées et dépassent, à notre avis, également l’entendement de nombreux adultes.
Il est incontestable que bon nombre de parents ne saisissent la teneur des bilans que grâce aux entretiens lors de la remise des bilans intermédiaires où les enseignants leur expliquent en détail où se trouve leur enfant par rapport aux compétences qu’il doit développer. Or, pour ce faire, l’instituteur n’a pas besoin de se référer à des bilans excessivement complexes dont l’élaboration exige un investissement en temps disproportionné par rapport à la plus-value escomptée. Les syndicats estiment que les titulaires de classe sont bel et bien à même de situer leurs élèves par rapport à leurs apprentissages sans avoir recours à des outils d’évaluation tellement opaques et tellement difficiles à appliquer. Tout en préconisant la philosophie du « moins, c’est plus », les syndicats sont convaincus que l’évaluation des élèves à l’enseignement fondamental ne perdrait rien de sa pertinence en introduisant des bilans plus simples et plus concis.
D’un côté, les descripteurs sont beaucoup trop nombreux pour les branches principales. Il en est de même pour la langue luxembourgeoise, où le nombre de descripteurs est également beaucoup trop élevé. Dans ce contexte, les syndicats regrettent que le MENFP n’ait pas réservé de suite favorable, lors de la refonte des bilans pour la rentrée 2011, à la recommandation expresse des syndicats d’instituteurs de limiter les bilans intermédiaires aux seuls domaines de compétences. Il en résulterait des bilans plus lisibles et moins complexes.
De l’autre côté, les formulations pour les soi-disant branches secondaires - à l’exception de la langue luxembourgeoise (cf. plus haut) - sont trop globales et ne permettent pas d’évaluation efficace.
Au cycle 4 par exemple, il faudrait faire la distinction entre les sciences, la géographie et l’histoire au lieu de regrouper ces branches sous le seul domaine « Sciences humaines et naturelles ».
En ce qui concerne « l’expression corporelle, la psychomotricité, les sports et la santé », comment évaluer au moyen des bulletins actuels un enfant doué en une discipline sportive (p.ex. course à pied ou football), mais qui rencontre beaucoup de difficultés dans une autre discipline (p.ex. natation) ?
En outre, nous sommes d’avis que les aspects « orthographe », « grammaire », « syntaxe » ne sont pas considérés à leur juste valeur sur les bilans.
En conclusion, l’évaluation par les bilans intermédiaires et les bilans de fin de cycle actuels n’apporte pas plus d’objectivité par rapport à la notation par points ou notes.
Pour trouver des exemples concrets illustrant nos critiques, nous vous prions de vous référer à notre document « Illustration par des exemples pratiques des difficultés éprouvées par les enseignants lors de la mise en oeuvre des instruments d’évaluation, dont notamment le document Niveaux de compétence », cycles 1-4.
Bilan proposé par les syndicats
- Considérant les critiques massives qui nous ont été adressées par un grand nombre d’enseignantsmembres au sujet des bilans actuels,
- considérant la démesure inappropriée des efforts consentis à la rédaction des bilans par rapport à leur valeur informative,
- considérant l’ampleur disproportionnée du travail d’évaluation à effectuer par l’enseignant par rapport à la valeur formative tout compte fait des bilans intermédiaires,
- considérant le fait que les bilans n’apportent pas plus d’objectivité que les notes,
les deux syndicats, après s’être concertés avec les Comités d’école, ont soumis en date du 5 juin 2012 une proposition de bilan commune aux responsables du MENFP.
Le modèle de bilan proposé par les syndicats comporte les avantages suivants :
- Il est plus lisible.
- En adoptant une expression simplifiée, il est plus intelligible et mieux adapté à la compréhension des partenaires scolaires.
- Il est moins volumineux et plus facile à utiliser et à manipuler.
- Il est équilibré en prenant en compte les domaines de compétences, les compétences, les savoirs et les savoir-faire.
Les syndicats sont d’avis qu’un nouveau plan d’études, à élaborer dans les meilleurs délais, devrait fournir un référentiel précis indiquant les compétences, les connaissances, les savoir et les savoir-faire à atteindre par les élèves à des moments déterminés de l’apprentissage. Ce sera ce nouveau plan d’études qui servira de base à notre bilan pour permettre de visualiser les progrès ainsi que la progression des élèves. Le référentiel y présenté devrait constituer un véritable outil de travail pour guider le travail de l’enseignant.
Les revendications du SEW/OGBL et du SNE/CGFP
Les bilans actuels basés sur une progression linéaire à travers des descripteurs de niveaux de compétences ne permettent pas d’organiser les apprentissages de façon à atteindre une culture commune partagée par tous les élèves de l’école fondamentale.
En fixant une progression linéaire à travers des descripteurs de performances, l’évaluation définie par le plan d’études ne tient pas compte des chemins de traverse pris par les élèves: nombre d’entre eux maîtrisent des compétences jugées complexes et situées sur l’échelle des compétences à un niveau supérieur, sans satisfaire aux descripteurs des niveaux inférieurs. Il devient donc très difficile pour un enseignant de situer un élève sur la suite chronologique des niveaux de compétences. A travers la progression linéaire des descripteurs, le niveau d’excellence se situe dans une fuite en avant plutôt que dans un approfondissement de la réflexion, ainsi que dans un travail bien fait. Des apprentissages communs exigent une évaluation qui situe les performances des élèves par rapport à un objet commun, cette évaluation doit absolument indiquer un niveau socle (ligne de partage entre satisfaisant et insuffisant) et accessoirement afin de favoriser l’approfondissement et le travail bien fait une gradation pour le degré d’accomplissement (allant de satisfaisant, bien, très bien, éventuellement à excellent).
Pour les élèves qui ont du mal à suivre le rythme des apprentissages imposé par le plan d’études, il faut organiser des mesures d’aide, d’appui et d’assistance tels que prévues à la section 4 de la loi scolaire en veillant cependant à ce que ces aides puissent être apportées dès l’apparition des difficultés. Malheureusement les ressources pour aider valablement les élèves en difficulté font de plus en plus défaut dans les écoles, car d’année en année les leçons disponibles sont réduites.
Pour certains enfants les difficultés, surtout si elles surviennent dans plusieurs domaines d’apprentissage, ne peuvent être surmontées dans les temps impartis, malgré une assistance personnalisée. Dans ces cas, il faudra intégrer l’enfant dans un groupe d’apprentissage où il peut tirer un bénéfice de la participation aux apprentissages communs. Faire avancer des élèves qui ne possèdent pas les prérequis indispensables pour suivre les enseignements de la classe dans laquelle il sont intégrés n’est pas acceptable.
Pour toutes ces raisons, nous exigeons de remplacer la progression linéaire des bilans intermédiaires actuels par un degré d’accomplissement par rapport à des apprentissages communs définis par le plan d’études. Pour les élèves ayant des difficultés à suivre ces apprentissages avec leurs condisciples de la même classe d’âge, il faut prévoir des mesures d’aides personnalisées dès l’apparition des difficultés et au cas où celles-ci persistent, un allongement des apprentissages.
Les descripteurs de niveaux concernant notamment le respect de la forme dans la production écrite en allemand et en français sont définis de façon trop vaseuse, mettant l’accent sur des connaissances tantôt lexicales, tantôt grammaticales qu’il est difficile d’y reconnaître une progression claire dans la maîtrise du code écrit. Sachant que la maîtrise du code écrit des deux langues d’enseignement continue à être un élément important pour le progression scolaire des élèves, l’évaluation doit indiquer clairement où les élèves se situent par rapport à la maîtrise de cette compétence. Sachant qu’il s’agit d’une compétence qui s’acquiert à travers des stratégies d’apprentissage, mais également à travers un entrainement conséquent, il faut donner à l’élève et à ses parents une information fiable sur le degré de maîtrise de cette compétence. Il s’agit par ailleurs d’une compétence pour laquelle il s’avère plus difficile d’en appeler à la motivation intrinsèque de l’élève que pour d’autres et une gradation indiquant le degré de maîtrise et entrainant une certaine émulation semble souvent la seule source de motivation pour accéder à un niveau de maîtrise supérieur.
Par ailleurs les différentes compétences, notamment en rapport avec la production orale, figurant actuellement sur les bilans intermédiaires, risquent de monopoliser le temps de classe si l’enseignant envisage leur mise en place et leur évaluation de façon conséquente.
Sachant que dans des apprentissages en commun le temps de parole de chaque élève pris individuellement est forcément mesuré, il devient très difficile d’évaluer les différents stades de maîtrise de ces compétences pour chaque élève. Ici une évaluation plus globale s’impose. Pour ces raisons, nous exigeons une évaluation plus globale dans les domaines de la production orale et de la compréhension de l’oral et de l’écrit avec pourtant une indication claire du degré de maîtrise du code écrit et de la lecture à voix haute qui se situe à cheval entre les domaines de la production orale et de la compréhension de l’écrit.
C’est dans le domaine des mathématiques où la progression à travers les descripteurs de niveaux s’avère le plus périlleux et où maints enseignants ont signalé les incohérences par rapports aux apprentissages de leurs élèves.
Pour ces raisons, nous exigeons une évaluation globale indiquant un degré de performance pour les quatre grands domaines: espace et formes, nombre et opérations, grandeurs et mesures, situations – problèmes. La structure actuelle du plan d’études sépare artificiellement les contenus, qui constituent souvent des savoirs, des compétences qui doivent néanmoins mobiliser ces savoirs. Or, l’enseignant constate que la dichotomie entre la tête bien faite et la tête bien pleine est une image abusive, car il n’existe pas de tête bien faite qui raisonne à vide. De même il ne saurait exister une dichotomie entre compétences et contenus et leur séparation au niveau du plan d’études est artificielle. Cela s’avère le plus clairement dans le domaine des sciences humaines et naturelles. Regroupés dans un seul domaine, les descripteurs de niveau se situent surtout dans les compétences transversales avec certaines aberrations, notamment pour la description du jugement critique, et ne frôlent les connaissances nécessaires que de manière exemplaire et sporadique. Pour ces raisons, nous exigeons une reformulation du plan d’études qui associe les contenus aux compétences à acquérir et nous préconisons une évaluation séparée pour la géographie, les sciences naturelles et l’histoire.