Le concours « Apprendre la Bourse» hors de nos écoles ! (Journal 2/2009)

Dans notre société de consommation et de marché, l'économie est omnipotente et devenue le critère de gouvernement dominant. Des principes vitaux pour la collectivité et la vie sur terre, comme les relations sociales, la répartition des richesses, la préservation de l'environnement, sont considérées comme des « externalités ». Trop souvent, seuls comptent l'argent et le profit, avec pour règle d'or la recherche de rentabilité maximale et l'individualisme.
Or, comme l'attestent la progression des inégalités dans le monde et la dégradation continue de l'environnemente et comme le montre la crise actuelle, la somme des intérêts individuels ne fait pas l'intérêt général.
Effets pervers
Des entreprises rentables, mais dont les taux de profit / dividendes ne sont jamais assez élevés pour les actionnaires, baissent leurs coûts par leur politique de l'emploi et par l'exportation de leurs activités polluantes: pression sur les salaires, licenciements, sous-traitance, délocalisations, travail à bas prix dans des pays moins réglementés, dans des conditions inhumaines et non démocratiques.
Les exemples en sont nombreux. Parmi les plus connus ces dernières années, on pourrait citer: Danone, Michelin, Renault, Marks & Spencers, Elth, Union Carbide (Bhopal).
La manipulation à grande échelle des comptabilités d'entreprises pour ne pas compromettre les cours en bourse est devenue une règle de gestion usuelle, comme l'ont montré des scandales récents: Enron, Worldcom, le Crédit Lyonnais, Vivendi, etc. L'opacité des méthodes de gestion et les implantations multiples dans les paradis fiscaux, pour échapper à l'impôt sur les sociétés et masquer les pertes, affaiblissent les États et alimentent les circuits de financement de la criminalité internationale. Par ailleurs, des pressions considérables sont exercées sur les institutions nationales et internationales, par le recours au lobbying et à la corruption de personnels politiques, pour obtenir toujours plus de libéralisation et toujours moins de contrôle démocratique.
A force de libéraliser et de laisser libre cours à la libre circulation du capital et à la spéculation, ceux qui nous gouvernent ont préparé le terrain à la crise financière actuelle que nous vivons et qui est en train de se répercuter sur l'économie tout entière.
Opportunisme commercial
Alors que l'on constate dans le monde entier le creusement des inégalités et les effets pour l'environnement d'un système économique inhumain, le jeu « Apprendre la Bourse » légitime et banalise cette logique auprès des jeunes. C'est la loi du plus fort et de la jungle économique qui est mise en avant.
À l'heure où les salariés, les petits porteurs et les épargnants sont floués par les scandales à répétition de débâcles d'entreprises à comptabilité frauduleuse et impliquées dans les réseaux de criminalité financière pour maintenir la confiance des investisseurs et leurs cours en bourse, est-il acceptable que nos jeunes apprennent, dans leur école, sous une forme ludique et pédagogique, que le boursicotage serait simple comme un jeu d'enfant, en le déconnectant des effets pervers? Pour le secteur bancaire, c'est surtout une formidable occasion de marquer les esprits et de sensibiliser de futurs clients potentiels, et dès maintenant les enseignants et les parents d'élèves - ainsi d'ailleurs que les jeunes eux-mêmes, auxquels des produits bancaires sont proposés dès l'âge de 12 ans.
Malaise dans la société
Le culte de la performance économique à tout prix constitue une pression psychologique considérable sur l'ensemble de la société, en renforçant les principes de concurrence et d'individualisme. Avec pour résultat: crise économique et financière, résignation, dépressions, violence, suicides et exclusion, psychotropes pour ceux qui cherchent à rester dans la danse et à être les meilleurs, prisons dorées pour les vedettes d'un star système de l'argent et des biens matériels.
L'État résigné et complice
Que le Ministère de l'Éducation Nationale accepte ce jeu dans les écoles postprimaires, est bien révélateur du renoncement de l'État face aux puissances économiques. Déjà trop de kits pédagogiques et autres dispositifs équivalant à de la publicité déguisée permettent à des entreprises de marquer durablement les esprits des futurs consommateurs.
Marchandisation de l'enseignement
L'entrée des entreprises privées dans les écoles est une atteinte à la neutralité de l'école. Elle préfigure ce que deviendra l'école si l'État ne met pas un coup d'arrêt aux négociations de l'AGCS (Accord général sur les services) en cours de négociation dans le cadre de l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Dans cette logique, la Commission européenne s'efforce également d'entraîner l'Europe vers la marchandisation des services publics, en conformité avec le traité de Maastricht, qui revient à soumettre toute activité à la concurrence, donc à la loi du profit de quelques-uns plutôt qu'au contrôle des citoyens.
L'Ecole doit former des citoyens responsables et solidaires, et non des consommateurs, des boursicoteurs et des salariés bien-pensants, aux réflexes marchands.
GACCAB
Lettre à Mme Delvaux concernant le concours