Espoir et déceptions

Espoir et déceptions
Bilan personnel de l’application de la loi scolaire de 2009
Ayant été très impliquée au niveau de mon syndicat, le SEW dans les négociations sur la nouvelle loi scolaire et continuant à travailler comme enseignante dans une classe tout en étant engagé au niveau du comité d’école, j’ai vécu au cours des dernières années dans l’espoir de pouvoir améliorer le système scolaire luxembourgeois surtout en faveur des élèves provenant des couches sociales défavorisées. Pourtant j’ai également connu depuis l’application de la nouvelle loi scolaire en 2009 de nombreuses déceptions. A travers les discussions au sein du syndicat ou encore au sein de mon école, mais aussi à travers de nombreux mails reçus de collègues de travail tout aussi déçus que moi, j’ai réalisé que je n’étais pas seule à ressentir cet énorme malaise face à une réforme dans laquelle nous nous étions pourtant engagés avec beaucoup d’énergie et d’espoir.
Comme je n’ai pas retrouvé ces préoccupations dans les questionnaires qu’on nous demande de remplir pour faire le bilan de l’application de la loi scolaire, je tiens à relater ces expériences personnelles que je sens partagées par nombre d’enseignants sur le terrain. Les défis perçus dans le travail quotidien avec les élèves.
L’école luxembourgeoise n’offre pas de chances égales à tous les élèves, les enseignants savaient cela bien avant les études PISA et le SEW avait, à maintes occasions, essayé d’y attirer l’attention des responsables politiques. Les programmes scolaires sont ambitieux et les heures de classe ne permettent pas de tout apprendre à l’école. L’école s’appuie sur une culture générale acquise en dehors de l’environnement scolaire et sur l’engagement des familles dans des tâches de répétiteurs. Les enseignants savent que l’aide apporté par les parents d’élèves compte pour beaucoup dans la réussite de leurs enfants.
Avec une population scolaire de plus en plus hétérogène, l’école pouvait tabler de moins en moins sur ces apprentissages extrascolaires. S’ajoutait à cela un nombre croissant d’enfants captés par les médias, la publicité, les jeux électroniques, la consommation et souvent peu enclins, voire peu capables, de concentrer leur attention sur une tâche plus ardue. L’enseignant constate que malgré de nombreux efforts ses élèves ne parviennent pas à atteindre les objectifs fixés par les programmes scolaires. Comme de nombreux enseignants, j’étais donc pour une réforme de l’école qui donne plus de chances de réussite aux élèves.
Quelles étaient les options possibles pour une telle réforme ?
- Augmenter les moyens d’encadrement des élèves, afin de pouvoir suppléer à un environnement social défavorable et prendre en charge des missions éducatives de plus en plus nombreuses: cette option aurait demandé une intégration des structures de garde dans l’Education nationale et un investissement massif dans l’école fondamentale, surtout dans les quartiers défavorisés.
- Elaborer un plan d’études moins ambitieux, se décider pour une seule langue d’enseignement: personne ne voulut remettre en cause vraiment le système construit sur 2 langues d’enseignement, alors on a préféré bricoler sur des aménagements pas toujours très cohérents.
- Organiser l’école autrement, afin qu’elle devienne plus efficace et arrive à combler par de nouvelles méthodes le fossé se creusant entre les exigences des programmes scolaires et les performances des élèves: cela pouvait mettre tout le monde d’accord, à condition que ce soit possible.
L’engagement dans la réforme
La grande majorité des enseignants du primaire avaient déjà tenté au cours de leur carrière différentes pratiques pédagogiques souvent couronnées d’un succès certain, mais jamais vraiment satisfaisantes pour permettre à tous les élèves de réussir. Mais ils étaient tout à fait disposés à chercher encore et pourquoi pas dans un effort commun pour trouver de nouvelles voies pédagogiques.
Le travail en équipes pédagogiques était le bienvenu et une plus grande autonomie de l’école pour s’organiser à la base également. Organiser l’école à travers des comités élus par et parmi les enseignants et les éducateurs faisant partie d’une équipe pédagogique est une tâche dans laquelle la plupart se sont engagés avec beaucoup d’énergie, puisqu’ils avaient revendiqué souvent une telle forme d’organisation depuis des années et l’avaient même partiellement expérimentée dans certaines communes qui leur avaient accordé des droits de cogestion. Le fait d’intégrer de nouveaux profils professionnels au sein d’équipes pluridisciplinaires, afin de répondre à des missions éducatives ou des besoins spécifiques, était également considéré comme un enrichissement bienvenu.
D’autres aspects de la réforme laissaient plus sceptiques, mais on n’allait évidemment pas s’opposer à l’introduction de représentants des parents, car on espérait bien s’en faire des alliés pour améliorer l’école. Certaines structures prévues dans les textes ressemblaient bien à des usines à gaz avec leurs différents niveaux de compétences au sein des équipes multidisciplinaires, avec les coordinateurs de cycles et les instituteurs ressources, mais on ne pouvait obtenir gain de cause sur tout et il fallait bien faire des compromis. Ce qui à mes yeux avait cependant constitué le plus grave revers lors de l’élaboration de la loi était l’étatisation de l’école au niveau du préscolaire et du primaire. On pouvait certes mettre en avant les graves manquements de certaines communes rétrogrades, peu engagées dans l’amélioration de leurs écoles, mais cette proximité d’un pouvoir de décision à la fois des professionnels et des parents d’élèves m’a toujours semblé le meilleur garant pour la prise en compte des réalités concrètes du terrain. Ainsi l’étatisation avec pour corolaire le contingent a été à mon avis l’aspect le plus négatif de la loi scolaire de 2009. Malheureusement, il semble très difficile de faire marche arrière sur cette mesure.
Bureaucratisation
Alors qu’en septembre 2009 les enseignants étaient encore pleinement motivés à relever les défis de la réforme, les exigences bureaucratiques allaient rapidement les faire déchanter. Désormais il devenait plus urgent de documenter son travail que de s’y engager réellement. Rapports sur les concertations, documentation de l’appui pédagogique, procédures de plus en plus lourdes pour engager des remplaçants, si bien qu’une bonne partie des congés de maladie n’étaient plus remplacés et qu’il fallait répartir des élèves qui n’avaient pas d’enseignants dans d’autres classes dont les cours furent également perturbés. Suppression des classes d’accueil au profit des cours d’accueil, ce qui nécessitait la confection d’horaires individuels pour ces élèves et des changements de classe à tout moment. Tout à coup, le travail d’organisation prenait le dessus.
Même pendant les cours il devenait plus pressant de consulter ses mails pour être au fait des dernières directives que de travailler avec les élèves. Il devenait de plus en plus difficile d’avoir une matinée scolaire dans sa classe sans être dérangé par des sollicitations extérieures. J’estime que le temps scolaire est assez précieux et que les élèves ont droit à toute l’attention de leur enseignant pendant leur temps de classe. En tant que présidente d’un comité d’école, j’essayais de planifier le travail administratif et organisationnel sur des plages horaires en dehors de mes heures de cours, mais malgré quelque 20 heures de présence à l’école en dehors des cours, je ne parvenais plus à avoir totalement la paix pendant mon temps de classe. Et ce n’était pas seulement le comité d’école qui était sollicité de la sorte, la charge bureaucratique augmentait pour tout le monde. Solliciter l’aide de l’équipe multiprofessionnelle pour les élèves en difficulté devenait encore plus compliqué que par le passé et revenait de plus en plus à remplir des formulaires, rédiger des rapports, relancer les parents pour prendre des rendezvous nécessaires à l’établissement d’un diagnostic et au fur et à mesure que le dossier « avançait » on se posait de plus en plus de questions sur l’utilité de la démarche. La correspondance se fit plus abondante, même pour une simple sortie pédagogique risquant de déborder le temps scolaire, il fallait avertir non seulement les parents d’élèves, mais encore les foyers scolaires, l’administration communale, voire l’inspecteur si par malheur on devait échanger une leçon avec un collègue. Alors qu’on avait plaidé pour le maintien d’un Service de l’Enseignement au niveau communal, afin de nous libérer de certains travaux administratifs, on en venait parfois à le regretter, car il paraît que chaque instance administrative génère un supplément de travail administratif pour les administrés. C’est un constat à méditer, car il faut veiller également à ce que le comité d’école ne génère pas lui aussi un surplus de travail de documentation auprès des différents membres de l’équipe pédagogique.
Surtout quand on constate que le MEN est en train d’instrumentaliser les comités d’école à travers la mise en place de nouvelles exigences! L’exemple type est bien l’élaboration d’un plan de réussite scolaire (PRS). Pour nous « faciliter » le travail, on nous offrait des questionnaires à profusion qui pouvaient déboucher sur de belles statistiques. Désormais nos réflexions communes devaient être coulées dans des moules préexistants. Cela s’appelait analyse SWOT et objectifs SMART à définir sur 4 ans et à décliner à travers des plans d’actions annuels.
Comme on avait des idées pour mieux faire réussir nos élèves, on essayait de jouer le jeu, sans trop nous laisser dérouter, mais très vite il devenait évident que la bureaucratie dénaturait nos plus belles idées et que nous étions en train de harceler nos collègues pour produire un surplus de documentation sur leurs diverses activités.
Une énorme perte d’autonomie
Alors que l’autonomie des écoles était sur toutes les lèvres, les comités d’école constataient qu’ils subissaient de plus en plus de contraintes. Encadrés par des directives multiples provenant du MEN ou des administrations communales, soucieux de répondre aux demandes des représentants des parents et contraints de respecter l’organisation de l’encadrement des enfants en dehors de l’horaire scolaire, l’organisation scolaire devenait de plus en plus difficile. Nombre d’initiatives se heurtaient à ces contraintes ou alors demandaient un tel effort de négociation et d’organisation que les équipes pédagogiques n’y tenaient plus à la fin. Classes vertes, fêtes scolaires, sorties pédagogiques, cours d’appui en dehors de l’horaire scolaire devenaient de plus en plus difficiles à organiser. Même le choix des manuels scolaires était remis en question par nombre d’inspecteurs. Aucune autonomie dans l’organisation des horaires, l’archevêché tenant à ses deux leçons sur deux journées différents et tant pis si ça coupe les matinées pour organiser des projets pédagogiques, l’administration communale tient à ce que les activités dirigées en fin de matinée ne soient pas utilisées à d’autres projets et les enseignants n’ont qu’à se débrouiller avec toutes ces contraintes.
Le comble de l’absurde a été atteint en décembre 2010 lors des intempéries. Alors que les enseignants apprenaient par la radio que les autorités politiques avaient décidé de fermer les écoles, la plupart des enseignants, connaissant bien leur population scolaire s’étaient concertés dès 7 heures pour assurer un accueil à partir de 7h30. Par endroits, l’annonce radio avait été prise à la lettre et certaines écoles étaient effectivement fermées. S’ensuivit alors une avalanche de demandes de rapports de débriefing, puis de nouvelles directives, émanant tantôt du MEN, tantôt des autorités communales, allant jusqu’à demander aux enseignants d’utiliser les journées d’intempéries à des formations continues, si l’accueil qu’ils assuraient à l’école n’était pas fréquenté par un nombre suffisant d’élèves. Les comités qui s’étaient constitués ont donc vite compris que leur marche de manoeuvre était très réduite et qu’ils avaient plutôt moins d’autonomie que par le passé.
Evaluationnite aiguë
Vinrent ensuite l’approche par compétences avec le nouveau plan d’études et les nouveaux bilans. Cela débutait au cycle 1 où les élèves ne recevaient auparavant aucune évaluation écrite et de nombreux collègues du cycle 1 qui se sentaient davantage pris au sérieux par les parents d’élèves y étaient plutôt favorables. Mais dès le cycle 2 des voix s’élevèrent pour signaler que les descripteurs ne faisaient pas sens et n’étaient pas cohérents et que par ailleurs il y en avait beaucoup trop. Aux cycles 3 et 4, la démarche s’avéra de plus en plus périlleuse, si bien que même certains collaborateurs du MEN considéraient qu’il était très difficile d’appliquer les descripteurs de compétence de manière scrupuleuse et accusaient les enseignants d’être trop consciencieux.
Face à des descripteurs souvent vaseux, retraçant une progression très aléatoire, pas toujours cohérente et certainement pas poursuivie par tous les élèves, l’enseignant se trouve devant un casse-tête considérable au moment de situer la progression de ses différents élèves à la fin d’un trimestre. Finalement, il se rend compte que quelle que soit la case dans laquelle il place le chiffre indiquant le trimestre en question, il trouverait autant d’arguments pour le placer dans la case précédente ou la case suivante, car les compétences d’un élève s’accordent rarement avec un des descripteurs et parfois même s’il s’accordent avec l’un d’eux, il faut constater que les niveaux qui le précèdent ne sont pas encore acquis.
Afin de se prémunir contre une remise en question de l’évaluation, l’enseignant qui essaie de documenter les acquis des élèves à travers toute une panoplie de tests se référant aux divers descripteurs de niveaux se trouve alors dans le rôle de l’évaluateur permanent. Vu le nombre de compétences à faire acquérir, il se voit très souvent tester des compétences qu’il n’a pas eu le temps d’exercer avec ses élèves. Je prends pour exemple le niveau socle du cycle 4 en allemand dans la compétence Mettre en scène des textes: L’élève joue librement de petites saynètes et il montre les premiers signes d’une contribution créative personnelle. Quel enseignement mettre en place afin de faire acquérir cette compétence à tous mes élèves ? J’essaie évidemment à plusieurs reprises de faire jouer des textes à mes élèves et je peux également les encourager à inventer de nouveaux dialogues, mais à part les quelques élèves naturellement doués ou ayant exercé cette activité à travers leurs jeux, la grande majorité de mes élèves n’auront pas vraiment l’occasion d’acquérir cette compétence au cours de mes leçons d’allemand, à moins d’y investir le temps nécessaire et de mettre en place des exercices spécifiques. Or, il s’agit là de la description d’un niveau de compétence sur une échelle à 10 niveaux et la compétence mettre en scène des textes est une des 18 compétences à évaluer en allemand.
L’enseignant se met ainsi à évaluer ce que les enfants apportent à l’école, ce qu’ils ont appris à la maison, chez les copains ou dans leurs activités extrascolaires. Ainsi l’égalité des chances est de moins en moins garantie et la réforme va à l’encontre de ce qu’elle promettait.
Par le passé on nous reprochait très souvent de réduire l’apprentissage d’une langue à la mémorisation d’une liste de vocables avec des notions de grammaire et à accorder trop d’importance à l’écrit. Je suis tout à fait d’accord pour reconnaître que la maîtrise d’une langue demande des compétences beaucoup plus complexes, et je pense que l’école doit se soucier de la mise en place de ces compétences plus complexes. La mise en scènes de textes a toute sa place parmi les activités destinées à faire acquérir une langue, mais de là à en faire un élément dans l’évaluation des élèves de l’école fondamentale me semble néanmoins exagéré.
La sélectivité renforcée
L’enseignement par compétences accorde une place trop importante à l’évaluation, ce qui va inévitablement au détriment de l’explication et de l’entraînement, car le temps scolaire nous est compté. Ce faisant il responsabilise encore plus les élèves et leurs familles dans la réussite scolaire. L’individualisation des apprentissages, le mythe de l’autonomie des élèves, la transformation des consultations pour parents d’élèves en séances d’explication des compétences acquises, tout cela contribue à exercer une plus forte pression sur les familles afin qu’elles s’occupent elles-mêmes des apprentissages de leurs enfants.
Jadis, l’école donnait le message suivant aux parents: veillez à ce que vos enfants sachent se tenir tranquilles et écouter, ils doivent être propres, ponctuels et ordonnés, l’école se charge de leur faire acquérir les savoirs dont ils auront besoin dans leur vie de citoyens adultes, elle vous informe régulièrement si votre enfant réussit son apprentissage de manière brillante, satisfaisante ou s’il n’y parvient pas. Aujourd’hui le message est parfaitement différent: veillez à ce que vos enfants possèdent déjà tout un tas de compétences avant d’arriver à l’école, surveillez personnellement le développement permanent de ces compétences, l’école vous fournit chaque trimestre un bilan indiquant les niveaux atteints et vous conseille dans les démarches à entreprendre pour atteindre les niveaux suivants. Votre enfant doit se placer dès le départ parmi les plus rapides, ceux qui acquièrent le plus de compétences, afin de sauvegarder le plus d’options possibles pour sa carrière professionnelle. Je caricature évidemment, mais le développement spectaculaire du marché des cours de soutien nous montre que de nombreux parents ont compris le message. D’où mon malaise et celui de nombre de mes collègues qui savent bien que seule une minorité des parents est capable de faire face à ces attentes.
La mise au ban du cours magistral ou des activités d’apprentissage en commun sous la direction de l’enseignant au profit d’un travail autonome de l’élève risque également de se faire au détriment des élèves moins favorisés ayant justement besoin d’être guidés et d’apprendre avec et à travers les autres.
Une réforme de façade
L’école produit de plus en plus de résultats statistiques pour mesurer ses performances: PISA, le décrochage scolaire, le taux de redoublement, le taux de satisfaction des parents d’élèves, celui des enseignants, les résultats des élèves aux épreuves standardisés, etc. Or, il faut se demander si ces mesures sont pertinentes pour juger de la qualité de l’école. Dès la publication des premiers rapports-école par l’Agence qualité, les discussions vont bon train pour désigner tel élève faible comme bouc émissaire censé faire chuter la performance de toute une classe voire de toute une école, ou alors pour souligner la nécessité de préparer les élèves aux épreuves standardisées. A mes yeux ces rapports ne sont destinés qu’à créer une concurrence entre les écoles, et encore selon des critères peu fiables. Quels pourraient être les avantages d’un système de concurrence entre les écoles ? S’agit-il de renseigner les parents sur la qualité des différentes écoles, afin qu’ils puissent choisir la meilleure école pour leur enfant ? Ne faut-il donc plus les envoyer dans l’école du quartier où ils habitent? Faut-il tout mettre en place pour créer un tourisme scolaire dont on sait qu’il ne profite qu’aux enfants des milieux favorisés ? S’agit-il d’évaluer le travail des enseignants à travers les performances de leurs élèves ? Ne connaît-on pas les effets pervers induits par une telle évaluation ? Ne risque-t-on pas de voir se propager le « teaching to the test », ou l’abandon des élèves en difficulté qu’on se refile comme des patates chaudes ? J’ai du mal à imaginer que cette façon d’évaluer ait un effet bénéfique sur la qualité de l’école.
Pourquoi essaie-t-on à travers un nouveau projet de loi à scinder en deux l’inspectorat en instaurant d’un côté des directeurs administratifs et de l’autre une équipe d’évaluation rendant visite aux écoles pour établir un rapport ? L’inspecteur du ressort connaît encore un peu la réalité des populations scolaires et le travail des enseignants, mais une équipe susceptible d’évaluer toutes les écoles du pays ne pourra se baser que sur des statistiques et sur les rapports des comités d’écoles. Est-ce que ces derniers auront un intérêt à faire état honnêtement des difficultés qu’ils rencontrent, ou ne feront-ils pas mieux de présenter un rapport enjolivé contribuant ainsi à soigner la façade ? Si la réforme de la fonction publique passe, chacun aura intérêt à maquiller ses résultats.
Les enseignants prêts à porter une réforme ont besoin d’y voir un moyen concret pour aider leurs élèves à s’émanciper à travers l’acquisition de savoirs et de compétences. Si l’on abandonne ce but, les cyniques auront définitivement le dessus.
Comment retrouver l’espoir ?
Est-il possible de reconstruire une école publique pour tous dans laquelle les enseignants sont motivés pour travailler et les élèves pour apprendre ? Il faut se demander si notre société n’a pas abandonné l’idée des lumières de combattre l’inégalité d’instruction. Comme le formule Condorcet: « L’égalité d’instruction que l’on peut espérer d’atteindre, mais qui doit suffire, est celle qui exclut toute dépendance, ou forcée, ou volontaire ». Avec les inégalités de richesses, le vivre ensemble est de plus en plus remis en question. Dans certains pays, les parents aisés ne peuvent concevoir que leurs enfants puissent fréquenter l’école publique. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont la cible d’un marketing effréné qui cherche à les manipuler et à les rendre dépendant d’une consommation effrénée, si bien qu’il faut se demander si l’on veut encore en faire des citoyens avisés et critiques. Il faudrait donc un débat honnête sur les finalités de l’école publique et sur certaines pratiques économiques, bien illustrées dans le livre de Joel Bakan « Nos enfants ne sont pas à vendre », qui tendent à contrecarrer l’effort d’émancipation de l’école.
Il faudrait ensuite donner une réelle autonomie aux écoles en permettant aux équipes pédagogiques de trouver la meilleure façon d’organiser les apprentissages, sans bureaucratie excessive. Cela demande aussi à ce que les décisions sur les moyens à accorder aux écoles puissent être prises au plus près du terrain, ce qui est contraire au contingent étatique de leçons à accorder. Il faudrait remettre en question le nouveau plan d’études et les modes d’évaluation qui renforcent le caractère bureaucratique et sélectif de l’école fondamentale et transforment le rôle de l’enseignant. Il faut que le temps scolaire puisse être réellement utilisée pour les apprentissages. Un enseignant qui n’est plus convaincu de faire un travail réellement utile pour les élèves qui lui sont confiés et la société dans laquelle il vit, ne peut s’engager dans son travail et ce ne seront pas de nouvelles modalités d’avancement qui y remédieront.
L’enjeu est de taille, car il y a différentes visions de notre société qui s’affrontent.
Membre de la direction syndicale