Bien orienter, c'est nécessaire - sans oublier les vrais enjeux!

03.07.2008

L'orientation scolaire et professionnelle est en passe de devenir une recette magique pour faire face à l'échec scolaire au Luxembourg, auquel sont confrontés surtout les jeunes issus de milieux socio-économiquement défavorisés.

Dans cet ordre d'idées, l'«éducation des choix» apparaît régulièrement dans les réflexions des acteurs politiques, économiques et scolaires en tant que moyen de premier ordre pour familiariser les élèves avec leurs prédilections et leurs limites et pour leur éviter des parcours scolaires sans issue.

Entendons-nous bien: les quelques réflexions qui vont suivre ne mettent pas en question l'orientation scolaire et professionnelle - qui est évidemment nécessaire et qui doit être développée tout au long du parcours scolaire - mais récusent l'idée d'en faire une panacée pour les problèmes irrésolus de notre système scolaire et de notre économie nationale.

Un «choix» avant tout négatif

Il faut voir d'abord que le système éducatif luxembourgeois est fortement hiérarchisé et qu'au lieu de niveler les différences socio-économiques, il les reproduit. C'est bien ce que montrent les résultats concordants des deux études PIRLS et PISA - à l'instar de l'étude MAGRIP datant des années 1970 déjà. Au moment précoce où nos jeunes doivent choisir leur voie (lycée classique ou technique à l'issue de l'enseignement primaire; régime technique, régime formation du technicien ou régime professionnel à la fin du cycle inférieur de l'EST), les différences de niveau entre les élèves sont déjà énormes, allant jusqu'à 3,5 années scolaires à l'âge de 15 ans (PISA 2006).

Peut-on sous ces conditions aboutir à une autre «orientation » que celle qui a lieu actuellement, respectivement l'«éducation des choix» conduira-t-elle à un résultat autre que celui qu'on connaît? Peut-on espérer qu'en introduisant l'enseignement par compétences et en basant l'évaluation sur ce que l'élève sait ou sait faire au lieu de sanctionner ses fautes changera la donne ? Je ne le crois pas. Sous les conditions actuelles (perte de vitesse et abandon scolaire dès leur plus jeune âge de nombreux enfants issus de milieux défavorisés; forte hiérarchisation des formations), l'orientation ne peut être qu'un «choix» négatif, les possibilités de formation et d'emploi se réduisant comme peau de chagrin au fur et à mesure qu'on descend dans les performances évaluées et dans la hiérarchie scolaire.

Je pense que malheureusement de très nombreux électeurs et décideurs politiques continuent de voir dans l'école un mécanisme de sélection des élites et non un ascenseur social pour le plus grand nombre. Les remarques du genre qu'il faut bien quelqu'un pour faire les boulots salissants ou qu'un éboueur n'a pas besoin d'un bac résument assez bien cette mentalité. Prôner l'«éducation des choix» avec une telle mentalité relève de l'hypocrisie et du cynisme!

Faut-il sortir l'orientation du cadre scolaire?

A l'heure de la discussion autour d'une réforme de la formation professionnelle, les chambres professionnelles et certains représentants de l'ADEM reprochent plus ou moins ouvertement à l'école et notamment aux SPOS de ne pas faire convenablement leur travail d'orientation et ils réclament la mise en place d'une instance nationale d'orientation scolaire et professionnelle externe à l'école. Ainsi, à la page 7 de leur prise de position datant du 22-02-06, les chambres professionnelles (patronales et salariales) demandent de «réorienter les CPOS et SPOS vers des missions psycho- pédagogiques» et de «créer une nouvelle cellule responsable de l'orientation scolaire et professionnelle en collaboration avec les chambres professionnelles». Alors que deux objectifs sont mis en évidence dans le sous-titre de cette prise de position:
  • «plus d'apprentis
  • des apprentis mieux formés»,

on peut craindre qu'il ne s'agisse de mettre la main sur l'orientation pour drainer ainsi davantage d'élèves vers l'apprentissage. (Le même objectif revient par ailleurs lorsqu'il s'agit d'inclure la formation du technicien dans le giron de la formation professionnelle.)

Au-delà de cette prise de position commune des différentes chambres professionnelles, la Chambre des Métiers s'oppose «formellement» au choix qu'a fait le projet de loi sur la formation professionnelle de ne pas créer un autre organe national pour définir la politique en matière d'orientation, mais de confier cette mission à un organe existant déjà, à savoir le comité consultatif à la formation professionnelle en vue d'une concertation entre les partenaires concernés (prise de position de la Chambre des Métiers du 11-01-2005).

En tant qu'enseignant occupé dans l'enseignement technique depuis une trentaine d'années, je suis parfaitement conscient des déficiences de l'orientation scolaire et professionnelle et je pense qu'il faut incorporer celle-ci dans le cursus scolaire normal, mieux équiper les SPOS, former des enseignants à cette tâche, améliorer les relations avec les entreprises et les administrations et coopérer davantage avec les parents. Sortir par contre l'orientation du contexte de l'école et la confier à un organisme externe, constituerait à mon avis un mauvais choix par excellence! En effet, c'est bien dans leur cadre scolaire habituel que les jeunes peuvent être sensibilisés et orientés au mieux, et cela en toute indépendance.

Scolarité longue et manque d'attractivité du métier manuel

Il est de notoriété publique que les parents au Luxembourg préfèrent la voie scolaire à la voie de l'apprentissage et qu'ils essaient par tous les moyens qu'ils ont à leur disposition de faire décrocher à leurs enfants le meilleur diplôme possible tout en évitant les métiers manuels. S'ils agissent ainsi, c'est que les métiers manuels et les diplômes issus de l'apprentissage artisanal ou commercial offrent généralement de mauvaises perspectives de rémunération (une grande partie de ces salariés sont payés au salaire minimum) et que la situation d'apprenti-e est régulièrement assimilée - à tort ou à raison - à une condition de servitude.

Ce n'est certainement pas en essayant de faire main basse sur l'orientation et la formation professionnelle que les entreprises artisanales feront changer les choses et que le travail artisanal aura la cote qu'il mérite. Cela dépendra plutôt d'une amélioration des conditions salariales et de travail au niveau CATP et d'un meilleur encadrement des apprentis. En effet, des parents avertis trouveront bien un moyen de continuer à scolariser leurs enfants, que ce soit en les affectant au Luxembourg à une filière réputée plus «noble» (régime technique de l'EST ou lycée classique) ou en les inscrivant à un établissement situé en France, en Belgique ou en Allemagne.

Quelles finalités pour l'école publique et l'orientation des jeunes?

L'école existante résulte d'un choix de société; alors veut-on y changer quelque chose de fondamental? Veut-on permettre à un nombre beaucoup plus important de jeunes d'accéder au savoir? Veut-on donner à ce qu'on appelle «orientation» et «éducation des choix» une finalité qui dépasse les problèmes de recrutement au niveau de certaines entreprises.

Il faudra pour y arriver, un changement de mentalité par rapport à ce que l'école publique doit accomplir dans notre société de la connaissance, où de moins en moins d'emplois sont ouverts aux démunis du savoir et où le maintien de la démocratie est plus que jamais lié à l'éducation de citoyens avertis et responsables.

Le colloque du 22 mai 2008 organisé par l'OGBL au sujet des résultats PISA/PIRLS a permis au SEW de mettre en évidence ses représentations d'une réforme fondamentale de l'école publique:

  • tirer les enfants vers le haut dès leur plus jeune âge et les soutenir massivement au niveau du cycle inférieur de l'ES et de l'EST
  • favoriser les méthodes actives d'enseignement et d'apprentissage; promouvoir l'évaluation formative systématique, doublée d'une remédiation conséquente et alléger les programmes
  • réduire les effectifs de classe élevés actuels de l'enseignement
  • engager suffisamment de personnel enseignant dûment qualifié
  • impliquer les parents dans l'éducation scolaire de leurs enfants et leur laisser le libre choix quant à l'orientation de ceux-ci
  • relancer la discussion autour d'un tronc commun pour tous les élèves jusqu'à l'âge de la scolarité obligatoire (15-16 ans).


Toutes ces revendications visent la rupture avec le mécanisme du classement systématique des élèves par niveaux de performance, lâchant du lest en poussant les élèves en difficulté à faire un choix professionnel précoce et poursuivant la route éducative et formative avec les autres. Ce mécanisme est à la fois injuste parce qu'il joue en grande partie au dépens des enfants et des jeunes socialement défavorisés et il est économiquement désastreux parce qu'il génère e.a. un manque de qualification conduisant au chômage.

Il faut en déduire qu'une meilleure orientation passe en premier lieu par l'égalité des chances pour tous!

Guy Foetz
Professeur de sciences économiques et
sociales au LTNB
Vice-président du SEW/OGBL





Le Luxembourg, champion du SSM



Au total, le Luxembourg est le pays européen dans lequel la plus grande proportion de salariés est payée
au salaire minimum, devant la France. Les autres pays où ce type de salaire existe ont su le contenir au
rôle de salaire réservé aux moins productifs: la proportion de personnes payées au salaire minimum est
au Luxembourg 17 fois plus élevée qu'en Espagne, 16 fois plus élevée qu'au Royaume-Uni, 10 fois plus
élevée qu'aux Etats-Unis, 7 fois plus qu'aux Pays-Bas ou en Italie, 4 fois plus qu'au Portugal. Ces chiffres
indiquent un dysfonctionnement profond du marché du travail luxembourgeois.

Les statistiques de l'Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) fournissent des informations précieuses
sur le nombre de personnes concernées, et la répartition de ces salariés par secteur économique.
On constate en premier lieu qu'un homme sur huit est rémunéré au salaire social minimum, contre une
femme sur cinq. La proportion la plus élevée se retrouve dans le commerce et la restauration, où 44%
des femmes et 25% des hommes sont payés au SSM. Dans l'industrie 31% des femmes sont concernées
(9% des hommes). Enfin 37% des hommes et 26% des femmes sont au SSM dans le secteur agricole.
Rapport Fontagné: Une paille dans l'acier, 2004, p. 93-94.