L’opposition à la réforme de la formation professionnelle s’intensifie (Journal 4/2013) Jules Barthel

04.02.2014

Les enseignants et leurs syndicats ne sont plus les seuls à réagir


L’opposition à la réforme de la formation professionnelle s’intensifie



Même si l’argumentaire n’est pas toujours le même, les chambres professionnelles et autres fédérations impliquées dans la formation professionnelle commencent, à l’instar du SEW, à critiquer ouvertement les responsables du MENFP pour le ratage de leur réforme.

La première, au niveau patronal, à reconnaître ouvertement l’échec de la réforme de la formation professionnelle a été la Fédération des Artisans. Pour illustration, voici quelques extraits issus d’un document de cette dernière, daté d’août 2013 et portant sur les attentes et recommandations de l’artisanat en vue des élections législatives du 20 octobre 2013.

« Aux yeux de l’artisanat, la récente réforme de la formation professionnelle est, pour le moins, un échec d’étape.

Plusieurs constats s’imposent: manque de coordination, manque d’encadrement, manque de cohérence, manque de transparence, manque de moyens. Alors que la réforme de la loi affichait pour le moins encore l’ambition de vouloir promouvoir la formation professionnelle et de réformer le système pour qu’il produise plus d’apprentis et de meilleure qualité, les réalités du terrain ont fait qu’il n’en est rien, au contraire! »

« Plutôt que de procéder aux réformes qui s’imposent en fonction du bilan de la réforme – adaptations ponctuelles ou remise sur rails de la réforme – l’éducation propose d’augmenter le nombre de candidats par l’abaissement conséquent des critères et de rehausser leur qualification sur le papier par le bradage des certificats, diplômes et mentions ».

« Dans l’intérêt bien compris des jeunes, des entreprises et de la société, la formation professionnelle doit subir une remise à zéro avec reformatage à la suite pour sortir de l’enlisement actuel ».


La Chambre des Salariés, par l’intermédiaire du Luxembourg Lifelong Learning Center, vient de présenter dans sa conférence de presse du 12 septembre 2013, sous le titre significatif « la réforme de la formation professionnelle nécessite … une réforme », les premiers résultats des formations phares ayant démarré dans le nouveau régime réformé avec le début de l’année scolaire 2010/11. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les pires prévisions du SEW sont malheureusement en train de se réaliser, au détriment des élèves concernés qui n’y sont pour rien et qui deviennent ainsi les victimes d’un MENFP qui ne sait pas écouter les enseignants. Pourtant, ce sont ceux-ci qui travaillent, jour après jour, avec les élèves et qui voient le mieux où le bât blesse.



Pour ce qui est des formations commerciales (il s’agit des seuls conseillers en vente), sur les 268 élèves inscrits en classe de 10e en 2010/11, seuls 104 ont réussi leur « projet intégré final » en classe de 12e (38,8%). Pire encore pour les formations de l’artisanat (électricien, bobineur, installateur frigoriste, couturier, tailleur, coiffeur, peintre décorateur, photographe) où le taux de réussite est de seulement 17,8% (tableau 1).
Sachant que les élèves, dans le nouveau régime, ne peuvent plus doubler leur classe et qu’ils sont, sauf réorientation à la fin de la première année, automatiquement promus dans la classe supérieure, nous sommes en droit de nous demander que sont devenus tous les élèves ayant abandonné leur formation respective entre la 10e et la 12e (98 élèves dans le commerce = 36,6%; 58 dans l’artisanat = 28,7%). Le SEW exigera, dans les semaines à venir, une réponse claire des responsables du MENFP à ce sujet.

Si nous analysons dans les détails les premiers résultats des formations phares, nous pouvons constater que la formation du peintre-décorateur est la seule à tirer son épingle du jeu. Par contre, pour les apprentis-coiffeurs ayant démarré la formation en 2010/11, uniquement 12,75% ont réussi leur PIF en 2013, ce taux tombant à 5,70% pour les apprentis-électriciens et même à 0,00% pour les apprentis-électriciens en formation adulte (tableau 2).

Voilà donc la réalité sur le terrain. Les premiers résultats des formations phares confirment malheureusement que la nouvelle formation professionnelle est un échec cuisant alors que les responsables du MENFP continuent pourtant à la défendre bec et ongles.



Qu’en est-il des résultats des dernières sessions de l’ancien CATP par rapport à la première session du nouveau DAP ? Même s’il faut avouer que les résultats n’étaient guère brillants dans l’ancien système du CATP, le SEW doit pourtant constater que les résultats du nouveau DAP (à l’exception de la formation du peintre-décorateur) sont substantiellement plus mauvais encore que ceux du CATP (tableau 3).



Face à ces résultats catastrophiques, il faut se réjouir que les fédérations et chambres professionnelles se réveillent finalement, même si cette réaction intervient trop tard pour la première génération de DAP-istes. C’est d’ailleurs de concert avec la Chambre de Commerce que la Chambre des Salariés propose un certain nombre d’amendements à la réforme du professionnel, amendements que le SEW ne peut que soutenir :

  • Respecter à tous les niveaux l’organisation tripartite et jouer pleinement l’esprit d’un partenariat.
  • Améliorer en continu les programmes d’études et prévoir les moyens nécessaires.
  • Simplifier les procédures de médiation, voire de résiliation du contrat d’apprentissage.
  • Prévoir des dérogations à la durée maximale des formations CCP, DAP et DT.
  • Améliorer l’organisation des modules de rattrapage.
  • Assurer une meilleure préparation des élèves aux projets intégrés.
  • Introduire une prorogation automatique du contrat d’apprentissage d’une année en cas d’échec au projet intégré final.
  • Prendre en compte les périodes d’apprentissage pour le calcul de la durée du stage ouvrant droit au chômage.
  • Introduire des indemnités de stages.
  • Faciliter les conditions d’accès des DT aux études supérieures.


En ce qui concerne le dernier point au sujet des conditions d’accès des techniciens aux études supérieures, il y a urgence absolue. En effet, les premiers techniciens arrivent aujourd’hui en classe de 12e et seront, dès cette rentrée scolaire, confrontés à un système de modules préparatoires tout particulièrement mal ficelé et qui risque de faire échouer beaucoup d’élèves dans leur quête à obtenir ce sésame pour l’accès aux études supérieures. Le SEW ose espérer que les chambres professionnelles ne vont plus attendre pour réagir: il y va de l’avenir de toute une génération de bacheliers techniciens.

Jules Barhel