Journal 4/2009: Après la réforme sur papier, la réforme sur le terrain (Monique Adam)

16.09.2009

Madame Delvaux-Stehres atteint un deuxième mandat dans l'Education nationale et doit maintenant valider les nouvelles dispositions législatives sur le terrain. Car il ne suffit pas de promettre de la différenciation et des prises en charge individualisées, si les mesures concrètes ne suivent pas. La nouvelle législation suscite beaucoup d'attentes sur tous les bords et il faudra voir comment il y sera répondu concrètement.

Certains commentateurs pensent que « la voie est tracée » et que dès lors la mise en oeuvre sera facile, pourtant rien n'est moins sûr, car si la Ministre dispose d'un certain nombre d'atouts, il ne faut pas perdre de vue qu'il existe également des pierres d'achoppement qui pourraient se révéler fatales.

Côté atouts, il y a des médias quasiment gagnés à sa cause et une opinion générale assez unanime en faveur de l'innovation. Il y a aussi, parmi les enseignants, une volonté de réforme et un engagement certain: parmi les 152 écoles de l'enseignement fondamental, 151 avaient déjà pu élire un comité d'école et avaient trouvé un président pour ce comité avant le début des vacances d'été.

D'un autre côté, nous nous limiterons à signaler 2 obstacles majeurs. Parmi ceux-ci la pénurie en personnel enseignant breveté n'est certainement pas le moindre. Les nominations des enseignants du fondamental ont révélé l'ampleur du problème dans cet ordre d'enseignement alors qu'il y est encore moindre qu'au niveau du secondaire où malgré le nombre élevé de chargés de cours qu'on n'envisage même plus de remplacer par des professeurs formés, le nombre des heures supplémentaires va toujours croissant. Vient s'y ajouter la tâche alourdie des enseignants du fondamental qui permet certes d'assurer un appui individualisé auprès de quelques élèves, mais qui risque de mener soit à la réduction du temps de préparation, soit au surmenage. Ce n'est pas une bonne base de départ pour une réforme.

Il faut espérer que les restrictions budgétaires prévues épargneront l'Education nationale, car il faudra bien recruter, non seulement des instituteurs et des professeurs, mais encore des éducateurs gradués, des psychologues, des psychomotriciens, des orthophonistes et bien d'autres professionnels, si les équipes multidisciplinaires doivent devenir une réalité tangible. Il faudra surtout veiller à ce que l'accroissement des ressources n'aille pas entièrement au SCRIPT, à l'inspectorat et à l'administration, car c'est dans les écoles que l'enseignement et l'éducation ont lieu et c'est là qu'il faut investir pour en améliorer la qualité.

Une autre difficulté risque de surgir de l'introduction précipitée d'un nouveau système d'évaluation aux cycles 1 et 2 dès la rentrée 2009. Alors que ni les enseignants, ni les parents n'ont encore eu la possibilité d'analyser les instruments de l'évaluation dans le détail, il est prévu de les introduire dès l'année scolaire 2009/2010. Or, les nouvelles grilles pour l'évaluation des compétences ne sont pas toujours évidentes et surtout le nombre d'items à vérifier (12 pour l'allemand et 13 pour les mathématiques p.ex.) est tellement impressionnant qu'il est impossible de les évaluer sérieusement chaque trimestre pour chaque élève. Cette question a été soulevée lors des réunions de présentation et la réponse du MEN a été qu'il n'était pas nécessaire de cocher chaque trimestre chaque item. Ceci conduira certainement à des pratiques très différentes entre ceux qui vont privilégier un contrôle rigoureux sur quelques items choisis et d'autres qui évalueront plus sommairement un grand nombre d'items. Comment expliquer ces pratiques aux parents d'élèves qui auront déjà bien du mal à comprendre en quoi consistent réellement les différentes compétences. Car certaines formulations sont déjà déroutantes pour des enseignants pourtant accoutumés au jargon évaluateur en français. Les expliquer et les traduire éventuellement dans d'autres langues n'est pas du tout évident. Que comprendront les parents d'élèves dans tout cela? Seront-ils disposés à se rendre chaque trimestre à des horaires précis à l'école pour prendre connaissance de l'évolution des compétences de leurs enfants?

L'évaluation est un sujet sensible et le fait d'abandonner les comparaisons entre élèves pour mieux éclairer les progrès de chaque individu dans les compétences requises par la société constitue un pas important. Encore faut-il qu'on soit bien d'accord sur le contenu des compétences visées, leur définition et la façon de les évaluer. Ceci ne nous semble pas être le cas à l'heure actuelle. Certaines disciplines comme l'éveil aux sciences n'évaluent que les façons de procéder (rechercher, observer, analyser et présenter) alors qu'en musique l'élève doit être capable d'interpréter quelques chansons tirées du répertoire de la classe, ce qui suppose implicitement la connaissance d'une partie de ce répertoire. Il y a là matière à discussion et le SEW/OGBL estime qu'avant de se lancer dans une nouvelle façon d'évaluer, il faut en connaître les tenants et aboutissants y compris lors du passage à l'enseignement secondaire et au delà.

Mettre une réforme sur papier et la faire entrer dans des pratiques concrètes sont deux choses distinctes. Lors de la deuxième étape, il faudra certainement être mieux à l'écoute des acteurs du terrain pour résoudre les problèmes concrets qui se posent. Espérons que Madame Delvaux- Stehres aura ce souci.

Monique Adam,
Présidente du SEW