Les socles de compétences: Avis du SEW et de la FGIL (Journal 2-2007)

22.03.2007

Petit historique



Le système scolaire luxembourgeois est par tradition un enseignement programmé. A un certain moment de leur chemin scolaire, les élèves se voient confrontés à une matière défi nie. Au cours des dernières années, par les exigences accrues des études supérieures et du marché du travail, les programmes sont de plus en plus surchargés. Les connaissances travaillées à l'école ne sont souvent pas assimilées et intégrées par une partie des élèves qui « décrochent ». Ils risquent d'être laissés pour compte, les exigences du programme ne permettant pas le ralentissement du rythme afi n de ne pas compromettre les chances de réussite des autres élèves.


Le SEW/OGB-L et la FGIL ont toujours exigé un changement de paradigme qui permette de tenir compte des difficultés des élèves les plus démunis, ceux qui en raison de leur environnement socioculturel ou pour d'autres raisons ont vraiment besoin de l'école pour réussir. Ceci demande effectivement de tourner le dos à un système contrôlé par le «input» où les méthodes et contenus sont fi xés par un plan d'études, pour s'intéresser au «output» , c'est-à-dire les connaissances, savoirs et compétences des élèves. «Placer les enfants au centre, prendre chaque enfant là où il est et ne laisser personne sur le chemin», cette stratégie trouve pleinement notre appui. Encore faut-il savoir qu'il ne s'agit pas de faire travailler les élèves les uns à côté des autres, mais de recréer avec des compétences hétérogènes une dynamique de classe où les élèves apprennent les uns des autres et ensemble. Tout cela n'est pas une mince affaire. Un tel système fera appel à une plus grande responsabilité de l'enseignant et exigera une grande autonomie pédagogique. Dans cette perspective, un enseignement basé sur les compétences, une combinaison entre un concept constructiviste et une interdisciplinarité est certainement une piste possible. Malheureusement le document sur les socles de compétences ne nous semble pas prendre cette piste par le bon bout. Pour fonctionner efficacement l'école a besoin de repères clairs et d'objectifs réalistes. Les enseignants savent ce que leurs élèves sont capables de réaliser et ce que eux sont capables de leur faire apprendre. Ils sont normalement prêts à explorer de nouvelles approches, mais pas à quitter complètement les chemins balisés. Précisément parce qu'ils se sentent responsables de la réussite de leurs élèves.


Une délégation du SEW/OGB-L a collaboré au groupe d'accompagnement qui s'est réuni toutes les six semaines au cours de l'année scolaire 2005/2006 pour discuter des textes rédigés par le groupe de rédaction, composé essentiellement d'inspecteurs. Au groupe d'accompagnement appartenaient des membres des syndicats, des représentants des parents, du collège des inspecteurs et du ministère. Le SEW/OGB-L se montrait toujours très critique vis-à-vis des textes proposés et le document final, même s'il ne s'agit que d'un document provisoire, ne trouva pas notre approbation contrairement aux informations qui ont été fournies lors des récentes réunions avec les représentants des écoles. Le SEW/OGB-L a d'ailleurs toujours souhaité mener un débat quant au fond, débat qui devient une question de valeurs et d'objectifs de notre système scolaire et de notre société.


Le présent avis se base sur la position du SEW/OGB-L et de la FGIL, une analyse du concept des compétences et des conditions nécessaires à sa mise en place, la façon de procéder du ministère, ainsi que sur les avis émis par les comités de cogestion.


La mise en place du nouveau concept



Le SEW/OGB-L avait proposé dès le début de la phase d'élaboration d'associer au maximum les enseignants du terrain aux discussions, aux démarches et à la rédaction du concept des compétences. Les propositions auraient pu être discutées à fond dans les écoles pendant toute une année scolaire et les enseignants auraient eu le temps de se pencher sur les théories et mises en pratique existantes. Il est toujours plus facile d'engendrer de grands changements avec l'appui des enseignants qui devront les mettre en place dans leur travail quotidien.


L'enseignement basé sur le concept des compétences n'est pas moins qu'un changement global du système éducatif qui ne se réalisera pas par des instructions ou documents conçus au niveau du ministère. Tout changement d'une telle envergure nécessite des changements qui ne s'opéreront que d'une manière décentralisée. Il faudra intégrer au maximum les comités de cogestion dans l'élaboration des concepts, sans discréditer les représentants des enseignants exprimant des réserves et des critiques en les poussant dans le camp des réactionnaires et conservateurs. Considérons leurs objections plutôt comme le reflet de leur engagement. Les enseignants sont les seuls capables de «mesurer» l'impact de la réforme pour et par leur pratique quotidienne. L'essentiel de la réforme ne pourra se faire qu'à la base.


Le devoir du ministère et du groupe de rédaction est de se laisser le temps pour comprendre les craintes, les critiques et même les refus et d'y apporter de vraies réponses.


Il faut dire que dans certains arrondissements d'inspection, nous sommes très mal partis. Certaines réunions de service précédant les réunions de synthèse auxquelles les enseignants furent convoqués sans avoir pu lire le document en question étaient tellement mal préparées qu'une attitude négative envers toute réforme devrait presque nécessairement en résulter.


L'objectif d'un enseignement basé sur les compétences



« Pouvoir se servir de ses ressources en temps réel et les mettre en synergie pour produire une performance, pour une décision adaptée, une action juste. » telle est la définition de Philippe Perrenoud des objectifs d'un enseignement par compétences. La compétence consiste à pouvoir identifi er, mobiliser et combiner les ressources pertinentes.


La compétence s'oriente donc aux exigences de la vie réelle et non du système scolaire. Par conséquent faut-il éviter que les socles soient définis à ce que l'école ne prépare l'enfant exclusivement à des études supérieures(ou simplement aux études antérieures). La logique des attentes des cycles suivants ne peut pas définir les socles de compétences.


D'où vient le concept des compétences?



Le concept des compétences, lancé par l'OCDE, répond aux exigences du monde économique. Mais il ne suffi t pas que l'école garantisse une employabilité minimale des élèves, elle doit garantir l'acquisition d'une culture générale aussi étendue que possible au plus grand nombre possible. Veillons donc à ne pas passer d'une école des valeurs culturelles vers une école ne servant que les valeurs économiques.


Il est de notre devoir de veiller que les compétences ne soient pas défi nies exclusivement par rapport aux exigences du monde économique, mais en vue de l'éducation et de la formation de citoyens à part entière. Dans ce contexte Philippe Perrenoud nous met en garde que notre système scolaire privilégie toujours le «homo faber». Les savoirs et les compétences utiles à un citoyen critique, responsable qui prend part activement à la vie de notre société risquent d'être marginalisés dans nos écoles. Ne perdons pas de vue que les compétences utiles dans la vie pratique de tous les jours ne correspondent pas toujours à celles servant à la réussite scolaire. Les définitions des objectifs de base doivent trouver un équilibre entre ces deux exigences antagonistes.


Comment trouver l'appui des parents?



La discussion ne se poursuit pour l'instant que dans le milieu scolaire, même si des représentants des parents d'élèves participaient au groupe d'accompagnement. Ne perdons pas de vue que l'opinion publique et les médias n'attendent pas moins qu'une solution miracle, résolvant d'un seul coup tous les problèmes et difficultés de notre école et de la société.

Voilà une des ambiguïtés du concept des socles de compétences. L'ambition des parents est que leurs enfants réussissent dans la vie. A cette fi n il faut qu'ils obtiennent les meilleurs diplômes pour affronter la concurrence sur le marché du travail. L'attente des parents ira donc nécessairement dans le sens d'une meilleure préparation de leurs enfants aux études supérieures. Ils n'accepteront pas de ralentissement du rythme à l'école ni pour apprendre des choses utiles à la vie, mais qui ne sont pas scolaires, ni pour « attendre » les enfants qui n'arrivent pas à suivre la progression imposée par la norme du programme.


Les parents ne sont pas dupes. Ils s'orienteront toujours à l'évaluation certifi cative de leurs enfants qui seule leur permettra d'acquérir les diplômes nécessaires pour poursuivre les études.


Les parents ont pleinement assimilé notre système scolaire traditionnel avec son évaluation certificative, sa sélection à la fi n de la sixième année d'études («l'orientation » à la fi n de l'école primaire n'a jamais été considérée comme telle, mais reste toujours une sélection) et de son contenu et des ses programmes vraiment « scolaires ».


Au plus tard à la fi n de la cinquième année scolaire, l'école n'est plus le partenaire des parents, mais une institution menaçante qui risque de barrer le chemin scolaire aux enfants et de réduire leurs chances de faire des études supérieures et ainsi de réussir dans la vie. Vouloir associer les parents à l'évaluation formative et leur expliquer qu'il est par définition impossible de les faire participer à l'évaluation certificative nécessitera un processus qui aura besoin d'un certain temps, et peut-être même d'une « formation » des parents. Les avis des enseignants démontrent que le travail avec les parents est assez facile au début de la scolarité de leurs enfants. Les parents acceptent volontiers et soutiennent pleinement des mesures d'appui spéciales individualisées. Mais les parents deviennent beaucoup plus réticents au degré moyen et carrément opposés au degré supérieur par crainte de bloquer la progression scolaire de leurs enfants vers le secondaire.


Un changement de cette attitude ne se fera pas par décret et sera quasiment impossible dans un système scolaire sélectif. Les enseignants du dernier cycle du primaire se retrouveront devant une mission impossible. Demander aux parents de collaborer à la sélection de leurs propres enfants n'est tout simplement pas possible. S'il y a actuellement déjà plutôt confrontation au cours de la sixième année d'études, on voit mal comment les choses pourront changer. Ce n'est certainement pas un hasard que de plus en plus d'enseignants renoncent à enseigner au degré supérieur.


Il ne sera donc pas facile de trouver l'appui des parents dans la démarche vers les compétences et il faudra tenir compte de cette difficulté.


L'évaluation des compétences



L'évaluation est sans doute la clé du succès d'un enseignement par compétences. Comment la changer pour la faire correspondre aux exigences des compétences?


Aujourd'hui l'évaluation est un outil d'exclusion ou de sélection. Il faut en faire un outil pour aider à apprendre.


L'évaluation aura lieu dans des situations à problèmes dans lesquelles il y a quelque chose à réussir. L'élève doit mobiliser ses connaissances et ses habilités acquises.


P. Perrenoud propose d'organiser des situations d'apprentissages pour évaluer les compétences des enfants ce qui risque d'alourdir considérablement la tâche des enseignants. L'évaluation même prendra beaucoup de notre temps d'enseignement. Ceci revient à renoncer à certaines connaissances, ce qui s'avère très difficile dans notre situation actuelle.


L'évaluation actuelle, sommative et certificative, ne reflète guère la capacité des élèves à utiliser leurs connaissances hors contexte et à les transférer dans des situations nouvelles, complexes et non scolaires.


Il ne faut plus situer l'élève sur une échelle, le comparer aux autres ou aux normes prévues par le système scolaire pour sa tranche d'âge, mais dresser l'état de ses compétences. Dans une perspective formative, il s'agit d'évaluer les acquis de l'élève et de connaître sa façon d'apprendre. Cela peut très bien être fait en concertation avec les parents. Ce qui n'est cependant plus possible du moment qu'on fait une sélection ou une évaluation certificative. Quand et comment expliquera-t-on aux parents, qu'on va passer de l'une à l'autre ? Rappelons dans ce contexte que la Finlande, pour ne pas toujours citer le même exemple, n'effectue pas de sélection des élèves avant l'âge de 16 ans.


Les experts et même les parents vont estimer que toutes les connaissances qui se sont accumulées au cours des années dans notre plan d'études sont absolument indispensables. Le slogan du «nivellement vers le bas» fera vite son apparition et servira d'argument majeur aux adeptes d'une école où le succès restera réservé à une élite. Il est donc peu probable que la matière à assimiler soit réduite.


Les compétences disciplinaires en mathématiques au 4ième cycle, énumérées dans le document émis, ressemblent à s'y méprendre à la table des matières du manuel scolaire actuel. Et on parle de compétences de base qui doivent être acquises par 95 pourcents de nos élèves. Est-ce réaliste ?


Le temps utilisé pour l'évaluation risque de devenir un autre facteur de surcharge.


Pour évaluer les compétences, l'enseignant devra créer des situations spécifiques, souvent très complexes ce qui sera coûteux en matériel et en temps. Ces situations sont extrêmement difficiles à standardiser. Les pays comme la Belgique et le Canada admettent d'ailleurs qu'ils ont surtout échoué en ce point. N'est-il pas tout à fait illusoire de supposer que le Luxembourg y arriverait avec ses moyens restreints en personnel et en ressources ?


Les enseignants risquent de consacrer une grande partie du temps scolaire à l'évaluation. Le document ne fournit d'ailleurs que très peu d'indications sur l'évaluation. Il parle en quelques lignes d'un portfolio, sans pour autant approfondir cette notion, sachant qu'il existe une multitude de concepts de portfolio. Il ne suffi t pas de constituer une collection des travaux et œuvres des élèves, mais il faut que les enseignants deviennent (ou soient) des experts de l'observation de l'élève au travail. Une telle évaluation basée sur l'interprétation des enseignants risque d'être perçue comme trop subjective. Elle nécessite en tout cas des procédures reconnues comme objectives et une confiance des parents en l'école. Or cette confiance dans notre système scolaire et la qualité de nos enseignants a été systématiquement ruinée par les déclarations de notre monde politique.


Les expériences du terrain, en Belgique notamment, ont montré qu'il est très difficile, voire impossible d'évaluer véritablement les compétences. Il est impératif d'établir et de mettre en place tout le dispositif nécessaire à l'évaluation avant de se lancer dans l'aventure d'un enseignement par compétences. Les avis des enseignants des différentes communes ont d'ailleurs clairement démontré que l'évaluation constitue le facteur clé de la réussite de tout le concept. L'évaluation reste le souci majeur et pour l'instant il n'y a aucune proposition par le ministère à ce sujet.


Il est impossible de confi er l'évaluation à des procédures automatisées. La seule alternative est de faire confiance aux enseignants capables d'évaluer à partir d'indicateurs observables. Les déclarations au sujet des épreuves standardisées sont d'ailleurs très contradictoires.


Les pièges et obstacles à l'évaluation des compétences
(ou pièges à toute la réforme)




Les pressions exercées sur les enseignants risquent de les entraîner vers l'évaluable. Ils se verront contraints à routiniser ce qui ne devrait pas l'être sous peine de perdre tout son sens. Cette régression réduira le concept des compétences à quelques habiletés faciles à évaluer et fera passer la réforme à côté des ambitions. Ce risque sera d'autant plus important si on ne se donne pas le temps nécessaire de résoudre le problème de l'évaluation. Et par manque de courage politique, le problème va retomber sur le dos des enseignants.


En allant au fond du sujet, on doit se rendre compte qu'il faut toute une éthique de l'évaluation des compétences et une formation des enseignants. Et n'oublions pas les procédures de médiations et de recours pour éviter les conflits qui émaneront nécessairement de la nouvelle forme d'évaluation.


Commencer un enseignement basé sur les compétences sans avoir abordé et résolu le problème de l'évaluation mènera tout droit à la débâcle. Et ce seraient les enseignants qui en feraient les frais, car ils se verraient rendus responsables de cet échec.


Conclusion



Toute réforme imposée de manière autoritaire aux enseignants et aux parents est vouée à l'échec. Il est vrai que le SEW/OGB-L et la FGIL ont toujours demandé une réforme scolaire, qui est nécessaire et qui se fait attendre depuis trop longtemps.


Mais une telle réforme doit surtout viser à éliminer l'échec scolaire et à renforcer la cohésion sociale.


Le SEW/OGB-L et la FGIL refusent en tout cas une introduction de socles de compétences entraînant une évaluation susceptible de créer une mentalité de concurrence entre les élèves, les enseignants et les écoles.


Il faudra revoir le document actuel de fond en comble avant de réaliser des expériences concrètes sur le terrain, afin d'éviter les échecs connus à l'étranger. De toute façon les avis des différents comités de cogestion vont tous dans le même sens.

Comité du SEW/OGBL et
Conseil d'administration de la FGIL