IE :Quelles évolutions du métier d'enseignant?

28.08.2003

De quels enseignants nos sociétés ont-elles besoin ?
Avec le développement des systèmes éducatifs, les personnels de l'éducation prennent un poids croissant dans la population
active. Leur rémunération est l'élément principal du coût de l'éducation. En même temps, les attentes toujours plus fortes de la
société envers son système éducatif élargissent les missions de l'école. L'introduction massive des nouvelles technologies dans les
processus d'apprentissage, rendent le métier d'enseignant plus complexe.
D'un côté, les politiques budgétaires restrictives cherchent à comprimer les salaires des personnels, à augmenter leur charge de
travail, à introduire la flexibilité et la précarité dans leur gestion. D'un autre côté, la qualification et les compétences exigées des
métiers de l'enseignement s'élèvent et s'enrichissent. Elles sont considérées comme un élément décisif de la qualité de l'éducation et de
son efficacité.
Cette contradiction est source de tensions fortes et de conflits.
I - Des métiers à l'épreuve des évolutions et des attentes de la société
La pression sur les métiers de l'éducation trouve son origine à l'extérieur du système éducatif dans les attentes sociales, et à
l'intérieur dans le mouvement des savoirs et des modes d'apprentissage dans la diversification des publics accueillis.
1) La pression économique et le devoir de réussite pour tous
Le rôle du savoir, des connaissances, de l'innovation et de la recherche dans la croissance et le développement économique, la
société du savoir et l'éducation tout au long de la vie, accroissent la pression sociale sur le système éducatif et les enseignants.
L'élévation continue du niveau d'éducation, l'accès de tous à une qualification professionnelle reconnue, à un diplôme de qualité,
deviennent une exigence sociale forte.
Le chômage et l'exclusion menacent d'abord ceux qui n'ont pas acquis une éducation de base suffisante, et qui de ce fait accèdent
difficilement à une éducation permanente de qualité. Les enseignants se voient contraints au « zéro défaut ». On attend de l'école
qu'elle protège contre le chômage et l'exclusion, qu'elle mène à la qualification, à l'insertion et à l'emploi.
Le devoir des enseignants de faire réussir tous les jeunes, tout en élevant la qualité de l'éducation pour tous (jeunes et adultes)
rend le métier plus complexe.
2) La pression sociale et l'élargissement des responsabilités
L'école joue un rôle croissant dans la distribution des rôles dans la société; le désir d'ascension sociale et la peur de la fracture
sociale augmentent les exigences de réussite. Réussite scolaire et réussite sociale sont liées.
L'école doit tout faire, répondre à tous les problèmes que la société n'arrive plus à résoudre: transmission et socialisation,
apprendre et éduquer, transmettre les connaissances, développer les capacités intellectuelles, transmettre les valeurs sociales,
recréer les liens sociaux, préparer à un métier, une qualification professionnelle et une insertion sociale et professionnelle: métiers
de l'éducation doivent élargir leur champ d'intervention et de compétence pour répondre à ces exigences; ils deviennent plus
complexes.
On doit s'interroger pour savoir où s'arrêtent les missions de l'école et les responsabilités des personnels de l'éducation. La
qualification des métiers de l'éducation doit en tout état de cause prendre ces nouveaux rôles en compte, notamment en
développant des équipes pluriprofessionnelles.
3) Le mouvement des savoirs et l'exigence de métiers créatifs
Enseigner c'est travailler avec des élèves des connaissances qui évoluent sans cesse, et qui sont organisées en disciplines aux
frontières plus ou moins stables. D'un côté les jeunes ont souvent une distance plus grande à parcourir pour s'approprier les
connaissances les plus fondamentales. D'un autre côté, la société exige des enseignants que les élèves n'échouent jamais, que tous
maîtrisent des savoirs élaborés et évolutifs, qu'ils développent une attitude critique, qu'ils soient capables de mobiliser leurs
connaissances, leurs capacités dans des situations imprévues pour résoudre des problèmes complexes.
Les enseignants doivent transmettre des savoirs toujours plus à jour, en mettant en évidence les multiples utilisations dont ils sont
l'objet dans la vie.
Avec l'éducation tout au long de la vie qui devient une nécessité, il s'agit de transmettre les savoirs les plus pertinents, initier à la
recherche de l'information et des connaissances à l'aide des moyens les plus modernes de communication, donner le goût de la
découverte et de l'activité intellectuelle permanente.
4) Les méthodes d'apprentissage et les nouvelles technologies
Les pratiques enseignantes doivent s’adapter à la diversité des publics accueillis, de leur motivation, de leurs acquis, de leurs
attentes et de leurs projets. Elles doivent intégrer les technologies les plus sophistiquées pour améliorer leur efficacité. Elles doivent
permettre que les savoirs acquièrent plus de sens aux yeux des élèves, et soient mieux reliés aux problèmes qu'ils se posent. Elles
doivent intégrer les résultats des recherches en didactique, en sciences de l'éducation...
5) La pression sur les coûts et la productivité des personnels
Avec l'enseignement de masse et la société du savoir, l'investissement éducatif devient crucial pour le développement des
sociétés.
Les gouvernements cherchent à contourner la nécessité de crédits et de moyens humains accrus, en augmentant les effectifs par
classe, en diminuant les heures de travaux en petits groupes, en augmentant le temps de service et les tâches des personnels ...
II - Ce qui reste essentiel dans les métiers de l'éducation
1) L'enseignant concepteur de contenus et l'exigence d'une haute formation académique
L'enseignant doit travailler le sens des savoirs enseignés, motiver les élèves pour qui ce sens n'est pas évident. Le travail sur les
savoirs avec les élèves est le noyau central de l'activité enseignante.
Il faut convaincre les jeunes que c'est par leur activité intellectuelle qu'ils produisent leur réussite, que le savoir véritable n'est pas
un ensemble de connaissances mémorisées à réciter, mais un savoir critique mobilisable dans des situations diverses. Une bonne
maîtrise par les enseignants des savoirs universitaires scientifiques est indispensable.
En même temps, l'enseignant doit faire acquérir des valeurs sociales et civiques qui sont fondamentales pour la cohésion sociale, la
vie démocratique des sociétés.
C'est en ce sens que l'enseignement et l'éducation sont les deux faces indissociables du métier d'enseignant. C'est en amenant
l'élève à se confronter aux productions humaines, à en comprendre le sens, à s'en approprier les principes, que les personnels
enseignent et éduquent à la fois. En même temps, les personnels prennent en compte les problèmes de tous ordres que rencontrent
les élèves pour essayer de construire avec eux des solutions.
Alors que disparaissent de nombreux lieux qui créaient et maintenaient des relations sociales et transmettaient ces valeurs sociales
(difficultés dans la vie familiale, la vie des quartiers, dégradation de la vie politique …), les enseignants et les personnels de
l'éducation sont sollicités pour prendre en charge la quasi totalité des fonctions éducatives de la société; ils participent à la lutte
contre tous les fléaux (drogue, violence …), à l'éducation sexuelle (lutte contre le SIDA), à l'éducation à la santé, à la lutte contre
le xénophobisme et le racisme. L'école devrait être capable de recréer des liens sociaux dans le sens de la socialisation :
apprendre à vivre ensemble dans la société.
Tout cela exige des équipes pluriprofessionnelles avec des compétences multiples et un dialogue approfondi avec les élèves.
2) L'enseignant concepteur de situations d'apprentissage et l'exigence d'une haute formation didactique et
pédagogique
L'enseignant doit savoir gérer l'hétérogénéité de plus en plus importante des élèves à tous les niveaux, de toutes origines sociales,
culturelles, ethniques ... et faire de cette hétérogénéité (plus ou moins limitée) un facteur de réussite pour tous et de socialisation. Il
doit être capable d'exercer son activité dans des situations diverses. Il doit être capable de combiner enseignement de masse et
suivi individualisé en petits groupes. Il doit mettre l'accent sur les capacités réflexives des élèves, ce qui implique une réflexion des
enseignants sur leurs propres pratiques. L'enseignant est non seulement le spécialiste d'une ou plusieurs disciplines, mais le
spécialiste de cette ou ces disciplines dans un contexte donné, à un niveau d'enseignement donné. C'est ainsi que l'enseignant
dispose d'une certaine autonomie pour élaborer, mettre en œuvre, modifier en fonction des besoins des différents publics, les
stratégies d'enseignement et d'apprentissage les plus adéquates. A condition bien sûr de respecter le cadre réglementaire général
arrêté par les pouvoirs compétents. La cohérence des apprentissages exige un travail collectif des personnels.
3) L'enseignant engagé dans l'évolution des systèmes éducatifs et l'exigence de participation: la gouvernance des
systèmes éducatifs
L'enseignant fait face à une évolution accélérée des savoirs et des techniques. Il doit tenir compte du développement des autres
sources d'informations extérieures à l'école (télévision, Internet …) et des modifications du rapport des jeunes à l'information, à la
culture, au savoir … Le métier d'enseignant ne s'arrête pas aux murs de la classe. Les enseignants doivent être des acteurs de la
conception des programmes et des pratiques professionnelles. Ils doivent pouvoir aussi s'engager dans des activités de recherche.
4) L'enseignant, les autres métiers de l'éducation et le travail en équipe
Pour répondre à l'ensemble de ces missions, des personnels spécialisés doivent compléter l'action des enseignants: psychologues
et conseiller(e)s d'orientation, médecins, infirmier(e)s et conseiller(e)s en santé, personnels responsables de l'organisation et de
l'animation de la vie scolaire, assistant(e)s social(e)s, personnels administratifs, de gestion, d'intendance, de contrôle et
d'évaluation, personnels d'entretien des locaux et des matériels, personnels de restauration scolaire ...
L'éducation devient ainsi de plus en plus un travail d'équipes pluriprofessionnelles où chacun apporte sa connaissance des élèves,
ses compétences pour les aider à résoudre leurs problèmes.
III - Statuts, professionnalité pour les divers métiers de l'éducation
Le corps enseignant et les autres catégories professionnelles agissant dans l'enseignement sont au centre de l'évolution du système
éducatif. Cela implique un professionnalisme sans cesse renouvelé.
Dans la mesure où l'éducation est de la responsabilité directe des pouvoirs publics et du service public, les personnels relèvent
majoritairement d'un statut de fonctionnaire, d'agent de l'Etat ou des collectivités publiques, avec ses exigences, ses contraintes,
ses règles de déontologie, et aussi ses garanties, ses protections.
En même temps, on a intégré dans le secteur éducatif privé et aussi au sein des systèmes éducatifs publics, des éléments de la
gestion des ressources humaines empruntés à l'économie marchande.
Quel que soit le mode de gestion public ou privé, le professionnalisme des enseignants et autres personnels d'éducation repose sur
deux piliers :
l'autonomie ou l'indépendance dans leur travail d'adaptation permanente de l'enseignement aux besoins des élèves et de la
société, même si ce travail se fait de plus en plus collectivement au sein d'équipes,
le niveau de qualification élevé qui fait reposer ce travail permanent d'adaptation sur des bases plus scientifiques, en liaison
avec la recherche.
Pour mener à bien leurs missions, les personnels d'éducation revendiquent des règles statutaires qui reconnaissent cette haute
qualification et cette indépendance.
1) Conditions de service
Il est nécessaire de prendre en compte dans la définition du service des enseignants, l'ensemble des tâches: cours, préparations,
corrections, concertation avec les autres personnels, les parents, dialogue approfondi avec les élèves, participation à la vie de
l'établissement, à un travail de recherche, à des actions de formation continue ... La question la plus difficile est de trouver la
bonne unité de mesure de la charge réelle de travail et de la pénibilité croissante du métier.
2) Conditions de rémunération
Les enseignants doivent bénéficier de salaires, de temps de loisir, de carrières professionnelles qui rendent la profession
enseignante aussi attractive que les autres professions recrutant au même niveau de qualification. Une des questions qui se pose est
la prise en compte des efforts individuels déployés par les enseignants.
3) Formation initiale et continue
Les enseignants ont besoin d'une formation universitaire de haut niveau avec initiation à la recherche, une formation à la didactique
des disciplines, une réflexion collective à partir d'expériences professionnelles sur le terrain. Ils ont besoin de plus en plus d'une
formation continue tout au long de leur carrière professionnelle. Ils doivent pouvoir participer à des actions de recherche.
4) Conditions d'emploi
Les personnels d'éducation ont besoin à la fois d'une sécurité d'emploi qui les préserve de la précarité et de mobilité
professionnelle et géographique s'ils le souhaitent.
Conclusion: vers un approfondissement du débat
Le concept de formation tout au long de la vie semble appeler à modeler les systèmes d'éducation et de formation.
L'investissement dans l'éducation et la formation va devenir de plus en plus crucial pour les individus et les sociétés, et même pour
l'avenir de l'humanité. Un effort quantitatif et qualitatif est nécessaire.
Les métiers de l'éducation vont être de plus en plus sollicités comme porteurs d'avenir. Mais ils sont eux-mêmes appelés à
évoluer dans un sens qui n'est pas encore défini: les intérêts en jeu sont considérables et souvent contradictoires.
Il est urgent d'approfondir le débat pour préciser l'avenir que nous voulons construire.
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QUESTIONS EN DEBAT a été préparé collectivement par l'équipe du département de l'éducation de
l'IE composée d'Elie Jouen, de Monique Fouilhoux, d'Ulf Fredriksson et du consultant Yves Baunay. Le contenu de cette
note de réflexion ne saurait engager la responsabilité politique de l'IE.