Fruit for School Le comble du ridicule est-il atteint?≈

17.02.2011

Il est dix heures. Le téléphone sonne dans la salle de conférence de l’école. Un employé de l’administration communale transmet la proposition d’offrir des fruits aux élèves. Sans discussion majeure l’institutrice qui par hasard a décroché le téléphone, donne son accord et annonce la nouvelle aux collègues présents pour organiser en un clin d’oeil la distribution des fruits.

Oh, stop, vous rêvez?!

Ça ne se passera pas comme ça. On n’est plus à l’école primaire ! Fini tout ce misérable dilettantisme, nous sommes désormais après la réforme scolaire, nous sommes au F-O-N-D-A-M-E-N-T-A-L. Voilà une école moderne, efficace, une école de qualité.

D’abord il faut une personne responsable ou même tout un groupe, un groupe de travail voire une commission d’experts. On ne se limitera pas à une simple action, il faut lancer une campagne.

Une campagne a nécessairement besoin d’un slogan. Le slogan accentue le retentissement dans les médias. Alors on a trouvé un slogan, un slogan anglais. Fruit for School. L’anglais est synonyme de moderne, efficace, progressif, bref cool. Pas grave que les enfants du fondamental ne comprennent rien, les médias, eux ils apprécieront. Je ne saurais vous dire qui a trouvé ce slogan. On a peut-être chargé une agence de communication.

Maintenant, on fait une lettre à toutes les écoles. Au président du comité, c’est lui la personne la plus importante. Et on les convoque à une réunion d’information. Cette réunion est très importante, car ils ne savent pas lire, du moins ils refusent de tout lire. Ainsi personne n’échappera.

Les présidents du comité convoquent les membres de leur comité à une réunion. Pour discuter, ou plutôt se concerter sur la campagne. La concertation est très importante. Le comité transmet les informations aux coordinateurs de cycle. Ceux-ci convoquent les équipes pédagogiques. Ils se concertent. Les décisions de leurs concertations sont transmises au comité qui fait le bilan des concertations.

L’école doit maintenant désigner une personne responsable parmi les enseignants afin de coordonner toutes les actions en relation avec la campagne. Celle-ci ouvre d’abord un dossier pour classer toutes les fiches nécessaires.

Les données personnelles des élèves nécessaires au bon fonctionnement sont rassemblées et transmises sur plusieurs fiches au responsable national de la campagne. Un rendez-vous hebdomadaire est fixé dans les réunions de concertation des équipes pédagogiques des différents cycles pour la remise solennelle des fruits et légumes.

Vous trouvez qu’on exagère? Vous ne connaissez que la version «light».

On pourrait intégrer cette campagne dans le «Plan de réussite scolaire». Là tout devient carrément très important. On commence par un questionnaire. Sur les habitudes nutritives des élèves. Le comité d’école désigne plusieurs volontaires pour élaborer les questionnaires en étroite collaboration avec l’agence de qualité.

Après le retour des questionnaires, le comité convoque les représentants des parents pour discuter des résultats de l’enquête. Tous les indices socio-économiques de la population scolaire sont consciencieusement pris en considération et inclus dans le rapport.

Les conclusions des enseignants et des parents sont transmis à l’inspecteur. L’inspecteur commande une étude sur l’obésité des élèves du quartier auprès du ministère de la Santé.

Le comité convoque à nouveau les représentants des parents pour adapter les conclusions à l’étude du ministère de la Santé.

La commission scolaire est réunie en séance d’urgence pour faire avancer le dossier. Après de longues discussions, la commission donne son aval. Le président du comité d’école ne tarde pas à en informer l’agence de qualité. Malheureusement les dossiers s’empilent auprès de l’agence qui a déjà demandé une augmentation du personnel.
Le Conseil communal n’inscrit pas le rapport à l’ordre du jour de sa séance prétendant qu’il y aurait des sujets plus importants. Le dossier est retardé inutilement. Après de longues discussions, il trouve l’accord du conseil communal pendant la séance suivante. Le président du comité d’école en informe tout de suite les représentants des parents, l’inspecteur et l’agence de qualité.

Enfin, la participation de l’école à Fruit for School est assurée. A cause d’une modestie incompréhensible, le comité d’école s’abstient d’inviter les médias à une conférence de presse pour annoncer la bonne nouvelle. Ceci malgré la demande de nombreux conseillers qui commencent à préparer leur campagne électorale. Les enfants heureux reçoivent… un morceau de légume ou un fruit par semaine.

Les responsables de la campagne ont d’ailleurs convoqués tous les malins qui leur ont échappé l’année passée à une nouvelle réunion d’informations.

Ils vous auront tous!

ap