Vive le flou pédagogique ! Lettre ouverte des professeurs d'allemand et de français (Journal 5/2006)
La lettre ouverte suivante des professeurs d'allemand et de français du LTNB est un témoignage fort de la façon dont la grande majorité des enseignant-e-s vivent les agissements du MENFP pour faire passer l'enseignement par compétences.
En faisant abstraction de toute discussion quant au fond, nous posons la question si les responsables du MENFP sont compétent-e-s en la matière et si le naufrage est évitable sous ces conditions.
Après avoir été vivement critiquée par les enseignants de ne pas tenir compte des avis des conférences plénières, Madame Delvaux a déclaré lors de la rentrée qu'à l'avenir elle serait plus à l'écoute des enseignants. Pour montrer sa bonne volonté elle a revu les critères de promotion introduits hâtivement en 2005, réagissant ainsi avec un an de retard aux critiques formulées par les enseignants. La ministre a néanmoins tenu à ajouter que de toute façon, ces nouveaux critères ne seraient que provisoires vu que l'enseignement par compétences qui serait concrétisé à partir de 2007 exigerait de toutes autres formes d'évaluation.
Les enseignants ont été stupéfaits d'entendre qu'ils auraient en tout et pour tout une année pour préparer « l'implémentation d'un enseignement et d'une évaluation par compétences en classe de 7e». Il faut savoir que le seul papier officiel que nous ayons reçu à ce propos est jusqu'à nos jours un référentiel de compétences pour les classes de 7e (à la sortie du primaire) contenant des inepties du genre :
« compétences à l'écrit: peut copier sans fautes des mots familiers »
ou encore « compétences à l'oral :
peut se débrouiller dans des échanges sociaux très courts…en suivant les usages de base (bonjour, au revoir, merci, s'il vous plaît …). »
Mais de qui se moque-t-on ? Des professeurs recrutés pour nombre d'entre eux contre leur gré sont censés coordonner un travail dont personne ne connaît ne serait-ce que l'objectif principal. Le ministère ne s'est jamais soucié de nous expliquer sa conception du mot« compétences », terme inflationniste dont il existe autant de définitions que d'usagers. S'agit-il d'aligner notre enseignement sur le Cadre européen commun de références pour les langues et de souscrire aveuglément à un document qui ne tient pas compte de la spécificité de notre situation linguistique ou allons-nous travailler à instaurer de vraies situations d'apprentissage permettant aux élèves d'acquérir des connaissances théoriques, des savoir-faire et des savoir-être ?
Allons-nous définir des compétences ou des socles de compétences, autre terme chéri par la ministre, mais dont les Français commencent à se méfier ? En effet, Philippe Meirieu, éminent pédagogue français, est persuadé qu'avec l'utilisation des socles communs qui distinguent ce qui est indispensable de ce qui ne l'est plus, les mécanismes scolaires s'aligneront sur l'ambition minimale.
Que signifie « implémenter » les compétences ? S'agit-il de définir des compétences, de les opérationnaliser, de chercher de nouvelles méthodes d'enseignement, d'imaginer des situations d'apprentissage, de créer du nouveau matériel scolaire ou même de préparer les leçons de 7e et 8e ?
Pourquoi n'y a-t-il pas eu au moins une évaluation sérieuse des projets PROCI (projets pilotes au cycle inférieur de l'enseignement technique) dans le cadre desquels certains enseignants se sont aventurés sur le terrain de l'enseignement par compétences ? Si on veut aller vers une généralisation de l'enseignement par compétences, pourquoi ne pas profiter des expériences recueillies dans le cadre de ce projet ?
La réponse magique du MEN à toutes ces questions, c'est la formation continue. Or, les noms des formateurs sont jusqu'à ce jour inconnus. Tout ce que nous savons, c'est qu'ils viendront visiter des classes de 7e pendant une demi-journée pour se faire à la va-vite une image de notre enseignement. Pour une première réunion des coordinateurs, on a recruté à la hâte des formateurs qui n'ont guère su apporter des éclaircissements aux questions de leurs auditrices/auditeurs consterné(e)s.
Depuis peu, les enseignants qui préparent des projets d'établissement sont obligés de suivre une formation intitulée « Projektmanagement ». On nous apprend qu'un projet nécessite au moins une année de préparation. Lors de cette préphase, il s'agit de cerner des objectifs clairs et précis, d'établir un calendrier sur trois ans avec des objectifs intermédiaires clairement définis. Il faut mettre en place dès la préphase des réseaux de communication pour que tous les concernés soient informés de manière optimale et qu'ils puissent décider de leur propre gré s'ils veulent s'engager dans le projet. Pour pouvoir se professionnaliser, les participants ont besoin de formateurs compétents dans la matière. En plus -et surtout- il faut une évaluation sérieuse tout au long du projet.
Aucune de ces conditions nécessaires à la réussite de la réforme de l'enseignement des langues n'a été remplie. Tout le monde, à l'exception des responsables du MEN qui ne semblent pas être obligés de suivre la formation susdite, sait pertinemment que faute d'objectifs clairement définis, les groupes de travail concerteront pour concerter, pataugeant dans le flou artistique!
Nous ne sommes pas contre une réforme de l'enseignement des langues. Au contraire, nous sommes nombreux à chercher de nouvelles voies, mais nous refusons de gaspiller notre énergie pour un projet préparé en dilettante. A force de retomber dans ses vieilles habitudes, de précipiter à nouveau les choses et de procéder de manière trop volontariste, Madame Delvaux risque de compromettre sa réforme et le fonctionnement de l'enseignement postprimaire dans son ensemble.
du Lycée Technique Nic.- Biever Dudelange