L'Etat fournit la preuve par l'absurde d'une politique du personnel irréfléchie (Journal 1/2004)
L'Etat fournit la preuve par l'absurde d'une politique du personnel irréfléchie
Formation en langues pour les adultes: avec quels formateurs ?
Le Centre de Langues (CLL) est différent des autres établissements scolaires en ce sens que ce n'est pas le nombre d'élèves qui détermine le nombre de classes créées. Pour éviter l'explosion des dépenses, le gouvernement accorde au CLL une enveloppe globale de leçons qui peuvent être organisées par semaine.
Au cours des 10 dernières années, cette enveloppe a régulièrement augmenté. Les langues qui ont profité le plus de cette augmentation sont surtout le français et le luxembourgeois, langues d'intégration sociale et professionnelle par excellence.
Sur la base de l'enveloppe globale, et après avoir analysé la demande de la clientèle, la direction du CLL annonce chaque année ses besoins en personnel enseignant au MENFPS. Or, au cours de ces 5 dernières années, seuls des professeurs d'anglais ont pu être nommés au CLL; pour toutes les autres langues, « il n'y en a pas ».
Victime de ce manque cruel de professeurs au Luxembourg, le CLL recrute donc essentiellement des chargés de cours. Entre temps, ces derniers représentent plus de 70 % du corps enseignant. Leur situation professionnelle est la suivante: 22 leçons par semaine, pas de coefficient, pas de décharges pour ancienneté, pas de décharge par lettre ministérielle. Depuis 1997, leur carrière est limitée au grade E3ter. Parmi eux, il y a un certain nombre d'étrangers qui, avant d'avoir pu être engagés, ont dû faire preuve, depuis le vote de la loi du 17 mai 1999, de connaissances adéquates dans les 3 langues du pays.
Le CLL profite d'ailleurs de ce mélange d'enseignants venant de cultures différentes et le fait de travailler et de vivre avec des locuteurs natifs de France, d'Allemagne et de Grande-Bretagne ou d'autres pays d'Europe, apporte un plus aux professeurs de nationalité luxembourgeoise. Tous les enseignants du Centre de Langues suivent tous les ans, comme le prévoit le règlement grand-ducal sur l'organisation du CLL, au moins 6 journées de formation continue. Il n'est pas rare de rencontrer des chargés de cours pouvant se prévaloir d'une bonne centaine de journées de formation depuis leur engagement. Quelques-uns totalisent même plus d'heures de formation qu'un professeur nommé de l'enseignement secondaire. Et pourtant, ils continuent à faire 22 leçons par semaine, sans coefficient et sans décharge, malgré des conditions de travail spéciales: à cause des nombreux cours du soir, beaucoup d'enseignants travaillent jusqu'à 21 heures.
Les contrats: CDI ou CDD ?
Le tribunal administratif, dans son jugement de juillet 1999, a décidé que les chargés de cours du CLL, engagés depuis plusieurs années, devaient être engagés avec un contrat à durée indéterminée. Le jugement se base entre autre sur le constat que le CLL ne peut être assimilé à l'enseignement postprimaire, vu que l'assistance aux cours de ses « étudiants » n'est pas obligatoire.
Depuis, comme les chargés de cours du CLL ne peuvent se voir octroyer un troisième CDD après 24 mois de service (comme c'est le cas pour les chargés d'éducation), la direction demande tous les ans l'autorisation au gouvernement de régulariser la situation des chargés de cours engagés depuis 2 ans en leur offrant un CDI.
Cette autorisation a toujours été accordée jusqu'en 2003. Or, dans son rapport pour 2004, la Commission d'Economie et de Rationalisation dénonce cette démarche et conseille au gouvernement de tout faire pour arrêter cette situation. La même commission a pourtant autorisé le CLL, quelques mois plus tôt, à augmenter son nombre de leçons hebdomadaires.
En clair, ceci signifierait que le Centre de Langues n'aurait plus le droit d'offrir à ses chargés de cours un CDI après 2 CDD couvrant 24 mois de service. Comme de l'autre côté, le CLL ne peut, d'après le jugement du tribunal administratif, être assimilé à l'enseignement postprimaire, la possibilité d'offrir un troisième contrat à durée déterminée aux chargés de cours ayant travaillé pendant 2 années au CLL n'existerait plus, ce qui reviendrait à licencier ces enseignants bien qu'ils soient devenus indispensables pour la bonne marche de l'établissement et qu'ils aident, par leur travail et leur engagement, des dizaines de jeunes à entrer dans les structures de l'enseignement luxembourgeois, des centaines d'étrangers à trouver un emploi au Grand-Duché, des milliers d'adultes à s'intégrer dans la société multiculturelle et multilingue luxembourgeoise en leur apprenant telle langue en usage au Luxembourg ou telle autre facilitant les échanges économiques avec nos voisins européens.
Or, en même temps, le gouvernement n'arrête pas de souligner l'importance de la formation tout au long de la vie. L'apprentissage des langues fait partie de cette formation. Comment suivre une formation professionnelle ou universitaire si on ne dispose pas des compétences linguistiques nécessaires ? L'Administration de l'emploi et l'Université du Luxembourg l'ont compris et envoient les demandeurs d'emploi et les étudiants au CLL. Avec quels formateurs le Centre de Langues va-t-il les accueillir ? Des volontaires non formés qu'on renverrait chez eux après 2 années de bons et loyaux services ?
Il est temps que le Luxembourg se fixe des objectifs précis dans le domaine de la formation des adultes et qu'il décide enfin avec quels formateurs il veut atteindre ces buts. Un statut du formateur d'adultes est plus que souhaitable à l'heure actuelle; il faut que la « pédagogie » des adultes soit prise au sérieux, il faut que l'enseignement des langues reçoive les ressources nécessaires pour relever l'énorme défi d'un pays, et au-delà, d'une Europe multilingues.
cromagnon