Quelques réflexions critiques sur les nouvelles lois scolaires

18.01.2009

Dans quelques jours, les débats sur les différentes lois en relation avec l'école vont avoir lieu à la Chambre des Députés. Il s'agit de réformes importantes qui concernent principalement l'école fondamentale regroupant dorénavant l'éducation préscolaire avec le précoce, l'enseignement primaire et l'enseignement spécial.
Avec ces lois, il faudra trouver un nouveau consensus rationnel sur les conditions de fonctionnement de nos écoles. Au cours des dernières décennies il s'est avéré que l'autorité du maître d'école, tout comme celle de l'institution scolaire dans son ensemble se sont vues contestées de toutes part, au nom de la démocratie et au nom de la reconnaissance des individualités. L'école du 21e siècle doit trouver de nouvelles bases pour son fonctionnement, si elle veut à la fois garantir l'émancipation de l'individu et permettre le vivre ensemble dans une société de la connaissance de plus en plus complexe.
Une meilleure prise en compte des besoins individuels des élèves, un nouveau partenariat avec les parents d'élèves et un travail en équipes pédagogiques et multidisciplinaires sont des éléments de réponse à ce défi. Il en découle un changement radical du profil professionnel de l'enseignant qui doit faire preuve d'une attitude réflexive et auto-régulative pour réfléchir sur sa pratique et réinvestir dans l'action les résultats de sa réflexion. Ce changement est largement revendiqué par les instituteurs et leurs syndicats qui critiquent depuis des décennies une formation trop étriquée et exigent un Master en Sciences de l'Education. Le Gouvernement s'est contenté de 240 ECTS, limitant ainsi la formation de l'instituteur au niveau d'un Bachelard rallongé d'une année. Par surcroît il a exigé un rallongement du temps de travail pour justifier le reclassement dans la carrière supérieure. Jusqu'à présent on n'avait jamais considéré qu'une durée de travail particulièrement longue pourrait justifier un classement dans la carrière supérieure.
Conscients de l'importance de l'enjeu et de la nécessité d'un renouveau, les syndicats ont proposé d'élargir le volet de la tâche en rapport avec les nouveaux défis de la loi scolaire: le travail en équipe, le partenariat, la gestion des écoles. Ils consentaient à cette augmentation de la tâche pour permettre la mise en place d'une tâche d'intendance nécessaire au nouveau mode de fonctionnement de l'école. La compensation du temps consacré à ces nouvelles missions par une réduction des leçons d'enseignements à prester aurait exigé l'engagement de nouveaux chargés de cours sans formation. Afin d'éviter le recours massif à de nouveaux chargés de cours et afin d'obtenir enfin le classement dans la carrière supérieure, les syndicats ont accepté une extension du temps de travail hebdomadaire de 47 à 50 heures, sachant que ce temps pourrait être récupéré partiellement réparti sur les périodes de vacance et congés scolaires.
Si le Gouvernement avait eu tant soit peu le même sens des responsabilités, il aurait dû accorder aux instituteurs un reclassement propre dans la carrière qui leur était due de toute façon sur la base de leurs études et des responsabilités de leur profession. Mais non, il fallait encore élargir leur temps de présence devant les élèves en y ajoutant 54 leçons d'appui par année scolaire. Ainsi, le reclassement de l'instituteur dans la carrière supérieure a été assorti d'exigences sur l'allongement de la tâche qui sont difficilement compatibles avec le caractère réflexif du profil professionnel tel qu'il a été établi au début. Il s'agit d'une situation paradoxale où le reclassement dans la carrière supérieure répond en effet au profil professionnel exigeant du praticien réflexif, mais où les conditions de travail rendent cette réflexion et son réinvestissement dans l'action difficilement réalisable. Personnellement, je pense encore qu'on aurait dû refuser cette tâche, car incompatible avec les exigences de qualité formulées au début. Par ailleurs, je peux comprendre qu'il s'agissait avant tout de s'assurer du reclassement dans la carrière supérieure. Je reconnais bien l'importance du franchissement de cette étape pour l'évolution de la profession de l'instituteur, mais je reste dubitatif quant à la possibilité de reconquête de l'autorité indispensable à l'exercice de ce métier.

Ceci d'autant plus, qu'il y a d'autres dispositions dans la loi sur l'enseignement fondamental qui sont tout aussi contradictoires.

Ainsi on a voulu donner une certaine autonomie aux écoles et permettre aux enseignants de proposer un plan de réussite scolaire particulièrement adapté à la situation spécifique des élèves de leur école. Ainsi la loi prévoit des structures de partenariat au niveau des écoles et elle définit des équipes pédagogiques et multidisciplinaires de même que des comités d'école élus démocratiquement. Mais où sont les moyens dont disposent ces comités pour exercer leurs responsabilités ? Quelques leçons de décharge distribuées au compte-goutte, leur nombre étant quelquefois inférieur à ce qui était prévu par les règlements communaux dans certaines communes, alors que les missions à accomplir ont plus que doublé.

Par contre, on ne lésine pas sur l'encadrement. L'inspectorat aura plus de moyens que jamais et pourra engager encore des instituteurs ressources pour l'aider dans ses missions. Le SCRIPT se verra affublé d'une Agence qualité ayant pour mission d'encadrer les écoles dans la mise en place d'un système de développement de la qualité et d'un institut de formation continue du personnel des écoles.

Ce ne seront pas les enseignants qui sont au contact des élèves qui auront les moyens pour réfléchir sur les changements pouvant améliorer la pratique scolaire. On continuera comme par le passé à développer les réformes dans les bureaux, bien à l'abri des élèves. On est cependant en train d'inventer des méthodes plus subtiles pour les faire accepter par les enseignants. Ces méthodes s'appellent mise en concurrence des écoles, incitations à adopter des modèles soi-disant développés à la base et publiés sous forme de « best practices ». Tout cela est en train de se mettre en place avec les graphiques élaborés à partir de l'étude PIRLS et bientôt à partir des résultats des épreuves standardisées. Il s'agit d'une manipulation grandiose, qui de surcroît est vendue sous couvert de liberté pédagogique et d'autonomie scolaire.

Bien plus, ce nouveau système de mise en concurrence incitera les enseignants à concentrer leurs efforts sur les élèves suffisamment doués pour leur permettre de se positionner avantageusement dans cette course aux résultats. Evidemment, tout le monde démentira ces intentions, mais la façon d'accorder les postes d'après des calculs arithmétiques y contribuera largement. Ce ne sont plus les élèves qui comptent, mais les chiffres. Les premiers effets du contingent se font déjà sentir avant même le vote de la loi. Ainsi les moyens supplémentaires pour intégrer des élèves à besoins spécifiques dans des classes de l'enseignement fondamental sont peu à peu réduits.

La plupart des enseignants ont donc des sentiments bien ambivalents face aux différents projets de loi soumis au vote. Ils ne s'opposent pas à une réforme puisqu'ils en ressentent la nécessité. Ils craignent cependant que l'Etat aura tendance à leur accorder moins de moyens que la plupart des communes. La loi leur confère des responsabilités assez étendues dans l'organisation des apprentissages, l'établissement du plan de réussite et de l'organisation scolaire. Mais quelque part il est à craindre qu'on leur confie la responsabilité d'une mission impossible. Auront-ils les moyens de se faire entendre pour imposer une réflexion au contact de la réalité quotidienne et pour dire les vérités difficiles à admettre ? Ne risquent-ils pas de se faire manipuler par les technocrates et les comptables de toutes parts ? Auront-ils encore assez de temps pour offrir un enseignement de qualité à leurs élèves ? Tout cela reste incertain.

Monique Adam
Présidente du SEW/OGBL