L'école face aux exigences de qualité, d'égalité et d'équité
A l'occasion de la journée internationale des parents et des enseignants,
les syndicats et associations du « Pôle pour une école démocratique » organisent une conférence publique
« L'ECOLE FACE AUX EXIGENCES DE QUALITE, D'EGALITE ET D'EQUITE »
le vendredi 10 octobre 2003 à 20.00 heures
à l'auditorium de la BGL, boulevard Royal/rue Notre Dame, Luxembourg.
Conférencier: Walo Hutmacher,
professeur de sociologie à l'Université de Genève.
D'autre part, un séminaire avec le conférencier
aura lieu le samedi 11 octobre à l'ASTI
Inscription gratuite (tél: 48 83 33/mail: ensemble@asti.lu).
Nom: Walo Hutmacher.
Né: le 15 octobre 1932, à Ober Ehrendingen (AG)
Vit: à Genève.
Famille: marié, deux filles, quatre petits-enfants.
Carrière: ancien professeur à la FAPSE de l'Université de Genève. Ancien directeur du Service de la recherche sociologique et du Service de la recherche en éducation du DIP de Genève.
Aujourd'hui: consultant pour divers projets internationaux, et membre associé de LIFE (Laboratoire Innovation Formation Education).
A lire: Walo Hutmacher, «Quand la réalité résiste à la lutte contre l'échec scolaire: analyse du redoublement dans l'enseignement primaire genevois», Genève, DIP, Service de la recherche sociologique, Cahier 36, 1993. Auteur également de contributions et articles sur l'avenir de l'école publique au temps de la mondialisation, sur l'éthique, les valeurs et la citoyenneté à l'école.
Dans la perspective de la conférence de Walo Hutmacher le 10 octobre 2003 à 20 heures à l'auditorium de la BGL boulevard Royal/rue Notre-Dame nous publions un extrait d'entretien qu'il a donné à l'hebdomadaire suisse « Construire ».
Vos enfants redoublent. A qui la faute?
Un ( ) grand enjeu (de l'école suisse romande) est celui du redoublement. Redoubler une classe sert-il à quelque chose? Est-ce une tare?
L'occasion de reprendre son élan? En Finlande, le système est tel que, jusqu'à l'âge de 15 ans, le redoublement n'existe pas! (..)
Le point avec le sociologue de Genève Walo Hutmacher, qui fut l'un des inspirateurs de la rénovation, et auteur notamment d'une étude sur la question.
N'y a-t-il pas des redoublements positifs, qui servent de tremplin, l'élève reprend confiance en lui et met à jour ses connaissances de façon féconde et profitable?
Sans doute, il y a des élèves qui en profitent. Mais selon la statistique scolaire genevoise, il suffit d'avoir redoublé une seule fois au primaire pour que, au moment d'entrer au cycle d'orientation, les chances d'accéder à l'une des sections exigeantes et prometteuses soient réduites d'un facteur de trois. L'efficacité du redoublement est par conséquent au moins douteuse. Paradoxe: en même temps, l'écrasante majorité des enseignants croient à ses bienfaits, comme l'a montré une autre enquête.
Une étude du SRED (Service de recherche en éducation) dit que 80% des élèves du primaire ne redoublent pas. Parmi ceux qui redoublent, 78% suivent ensuite une scolarité normale. Ça n'est pas satisfaisant?
Tout dépend de ce qu'on appelle une scolarité normale. Dans la logique du verre à moitié plein, on peut penser que 80% qui ne redoublent pas, ce n'est déjà pas mal. Mais dans tout le monde industrialisé, les exigences du marché du travail sont telles que si vous n'avez pas atteint un niveau de compétences minimal au terme de votre scolarité obligatoire, c'est un handicap durable.
De ce point de vue, quand le rapport Pisa révèle qu'en Suisse, 20% des jeunes sortent de la scolarité obligatoire à 15 ans en ne sachant pas lire - c'est-à-dire qu'ils ne sont pas capables de tirer profit de ce qu'ils déchiffrent -, eh bien il y a tout lieu de s'alarmer.
Pas seulement 80%, mais tous les élèves devraient acquérir les compétences qu'on a en principe à la fin de la 9e?
Oui, rien de moins que cela. L'enjeu, c'est de parvenir à faire acquérir à 97, 98% des jeunes qui sortent de la scolarité obligatoire les compétences minimales qui leur permettront de conduire leur vie. Faute de quoi, on ne fera qu'accroître les phénomènes d'exclusion. Nous vivons désormais dans un monde où, à moins d'avoir atteint le niveau d'une formation secondaire supérieure, quelle qu'elle soit (professionnelle, générale, etc), on court de grands risques d'être largué par la suite...
Selon vous, je crois, la Finlande serait un modèle?
Elle ne connaît que 5% de lecteurs trop faibles à la fin de la scolarité obligatoire, en comparaison de nos 20% en Suisse. Depuis 25 ans, l'école obligatoire y est entièrement intégrée, de la 1ère à la 9e année de scolarité obligatoire. Il n'y a pas de notes et pas de sélection jusqu'en 9e.
Quoi! Pas de notes jusqu'à 15 ans?
C'est ça, et les jeunes Finlandais s'en sortent mieux que les Suisses si l'on compare leurs compétences de base à la fin de la scolarité obligatoire. 20% des jeunes Finlandais sont d'excellents lecteurs, contre seulement 5 % des jeunes Suisses. Un niveau général élevé n'empêche donc pas la formation d'une élite de pointe nombreuse. A contrario, les résultats de pays comme la Suisse ou l'Allemagne montrent que leurs systèmes très sélectifs ne produisent que de petites fractions de jeunes avec des compétences de pointe.
Tout le monde passe au secondaire supérieur en Finlande?
Oui, mais pas n'importe où. A ce stade, des différenciations interviennent, selon les compétences des élèves.
Bon, mais culturellement la Suisse n'est pas la Finlande. Là-bas, les enfants arrivent à l'école en sachant déjà lire...
Ça, je n'en sais rien du tout; mais il est vrai que la Finlande occupe une situation particulière en Europe, pour de multiples raisons. La formation des enseignants par exemple y est plus sélective que celle des médecins: on ne prend que dix candidats sur cent...
Selon vous, chez nous, la peur de l'échec serait le véritable moteur de l'école?
Le classement, l'évaluation normative, comparative entre les élèves et la sélection y sont les éléments moteurs, au point que souvent les élèves intelligents qui ont compris les règles du jeu se bornent à gérer leurs moyennes de façon minimaliste. Oui, c'est la peur de l'échec qui fait travailler... Il est vrai aussi qu'il est devenu de plus en plus difficile pour beaucoup d'élèves de trouver à l'école un autre sens que celui-là...
Mais comment lui trouver un autre sens alors que la société elle-même ne sait plus bien quelles sont les valeurs à son fondement?
Enorme sujet. N'ouvrons qu'une parenthèse. Si on regarde ce qui a donné sens à l'école au cours de son histoire, on trouve la foi religieuse, la République, la démocratie, des idéaux de raison, de liberté, d'égalité, ou encore le nationalisme et le patriotisme. Autant de convictions, d'idéaux. Or, les idéaux se sont émoussés. Chez bien des adultes, ils ne suscitent plus guère de ferveur. Dans l'esprit de beaucoup de parents et d'enseignants, l'école s'en trouve réduite à assurer la réussite individuelle, scolaire d'abord, sociale ensuite. D'où, d'ailleurs, la pesanteur sociale de la notion d'échec. Dans notre monde ouvert, pluraliste, multiculturel et disparate, mais aussi désenchanté, c'est le travail qui fait lien social, à défaut d'autre principe fondateur d'un «Nous».
L'économie comme seul moteur des études?
Je ne dis pas que la motivation des études doit être exclusivement économique. Mais d'un point de vue scolaire, il serait indécent de faire l'impasse sur ce sens-là. Il ne sert à rien de fustiger l'économique, alors que tant de préoccupations sociales tournent autour du travail. D'autant que, récemment, la probabilité de trouver un travail, même après des études réussies, diminue aussi!
Je reviens du Vietnam. Là-bas, un gouvernement qui se dit communiste a adopté un discours quasi thatchérien sur l'école! Le moteur, c'est la compétition internationale. D'ici une génération, la Chine, l'Inde et l'Indonésie pourraient compter deux fois plus d'universitaires que n'en comptent aujourd'hui l'Europe et les Etats-Unis réunis...
Est-ce qu'il n'y aurait pas là de quoi mobiliser nos dirigeants et nos jeunes? Et les enjeux ne sont pas qu'économiques.
(..)
Propos recueillis par Jean-François Duval
Dans: Construire No 24, 10-6-2003 L'hebdomadaire de migros
Lentretien intégral peut être lu sur le site de Construire
http://www.construire.ch/SOMMAIRE/0324/24entre.html
