La nouvelle formation professionnelle – une réforme de plus en plus contestée

08.06.2012

La nouvelle formation professionnelle – une réforme de plus en plus contestée




Depuis le lancement des premiers travaux dans le cadre de la récente réforme de la formation professionnelle, le SEW a été très sceptique quant aux améliorations à espérer d’une telle réforme. Trois semestres après le lancement des formations-phares, un semestre après celui de la plupart des autres formations et à quelques mois du lancement de la formation du Technicien commercial, le malaise grandissant au sein du corps enseignant, parmi les élèves et parents d’élèves, semble donner raison aux craintes du SEW.

Lors d’une récente entrevue avec Madame la Ministre Delvaux-Stehres et les responsables de la formation professionnelle, le SEW a abordé, entre autres, les trois sujets suivants:
  • Rattrapage et remédiation
  • Enseignement par modules et évaluation par compétences
  • Démarrage du Technicien commercial

  1. Rattrapage et remédiation


    Des résultats scolaires en partie catastrophiques


    Dans sa lettre du 15 mars 2012 adressée au MENFP, le SEW a indiqué, en réaction aux résultats mitigés dans la formation professionnelle révélés lors des conseils de classe de fin de premier semestre que «les résultats scolaires dans un grand nombre de formations sont en partie catastrophiques et que cette situation pose les directions de lycées devant de graves problèmes d’organisation. Afin d’y remédier, ces mêmes directions doivent faire preuve de beaucoup de créativité afin de parvenir à organiser un semblant de remédiation et de rattrapage. Cette situation pour le moins malencontreuse a pour effet que les mesures prises par les directions diffèrent d’un lycée à l’autre et ne garantissent que très rarement un encadrement digne de ce nom aux élèves concernés».

    Des textes de loi ambigus


    Lors de l’entrevue, le SEW a une nouvelle fois insisté sur les ambiguïtés des textes de loi en la matière. A titre d’exemple est cité l’article 7 point 5 du règlement grand-ducal du 30 septembre 2010 sur l’évaluation et la promotion dans le RP: «En principe, la durée d’un module de rattrapage s’étend sur un semestre à raison de la moitié des leçons hebdomadaires prévues par la grille horaire. Pour des raisons de disponibilité des titulaires, d’infrastructure ou d’emploi du temps, la direction du lycée peut adapter la durée, le volume horaire et le mode d’apprentissage du module de rattrapage». Cet article ne montre-t-il pas à merveille à quel point cette réforme est prédestinée à l’échec.

    Dans la première partie de l’article, il est indiqué comment, en règle générale, le rattrapage devrait pouvoir être organisé. Dans la deuxième partie du même article, les auteurs du texte de loi indiquent d’office maintes raisons qui permettent aux directeurs de lycée de déroger à la règle générale.

    A y regarder de plus près, ne devrait-on pas toutefois louer les auteurs du texte de loi pour leur sens de la responsabilité et surtout pour leur information parfaite sur l’état général de notre enseignement. Les raisons invoquées pour ne pas organiser de module de rattrapage en bonne et due forme, n’indiquent-t-ils pas
    • la disponibilité des titulaires: y aurait-il par hasard un manque d’enseignants au Luxembourg?
    • la disponibilité des infrastructures: y aurait-il par hasard un manque d’ateliers spécialisés, de salles d’informatiques, … au Luxembourg?
    • l’emploi du temps: se pourrait-il que la plupart des enseignants soient déjà aujourd’hui accaparés par un nombre important d’heures supplémentaires, un nombre croissant de réunions de concertation et autres travaux administratifs?

    Dans le même article 7 du règlement grand-ducal du 30 septembre 2010 sur l’évaluation et la promotion dans le RP, il est indiqué que « le module fondamental «non réussi» doit être rattrapé au cours du semestre suivant». Cette règle est-elle respectée de manière identique dans tous les lycées techniques? Les responsables du MENFP, en tout cas, n’étaient pas en mesure de donner une réponse claire et nette à cette question.

    Par ailleurs, le même article spécifie que «dans tous les cas, la direction du lycée doit veiller à offrir, le cas échéant en coopération avec d’autres lycées, à chaque élève qui n’a pas réussi tous les modules, au moins une fois le module de rattrapage au cours de la durée de sa formation». Depuis le début, le SEW s’est prononcé contre cette possibilité donnée aux lycées d’organiser un rattrapage au niveau régional voire national, obligeant ainsi les élèves à se déplacer – par la force des choses en dehors de leur grille horaire normale – pour pouvoir profiter d’un module de rattrapage éventuellement digne de ce nom.

    Selon le SEW il existe également un sérieux problème d’interprétation entre «rattrapage» et «remédiation». Pour le Directeur de la Formation professionnelle, la remédiation fait office de rattrapage si, comme le RGD le précise, l’élève est soumis «au terme des mesures de remédiation, à une épreuve d’évaluation du module qu’il n’a pas réussi auparavant» Le SEW ne partage pas cet avis, du moins pas aussi longtemps que les mesures de rattrapage/remédiation sont laissées au bon vouloir des différentes directions de lycées.

    Revendications du SEW et premiers succès


    Les principales revendications du SEW en la matière peuvent être résumées comme suit:
    • établissement de règles claires et uniformisées indiquant à partir de quel degré de «compétences non réussies» un module «non réussi» peut être rattrapé grâce à des mesures de remédiation ponctuelles et non pas par un module de rattrapage spécifique;
    • organisation dans tous les lycées techniques, le cas échéant, de modules de rattrapage de qualité d’une durée au moins égale à la moitié des heures des modules auxquels ils se réfèrent;
    • établissement de mesures de remédiation uniformisées
    • au niveau des pratiques et de la durée – pour tous les lycées techniques selon des critères objectifs et en concertation avec les acteurs du terrain. Il y va de l’équité dans notre enseignement et de l’égalité de chances des élèves impliqués;
    • rémunération adéquate des enseignants pour toutes les heures de remédiation et de rattrapage prestées.

    Dans un premier temps, le MENFP a d’ores et déjà accepté les principes suivants:
    • un questionnaire élaboré par les soins du MENFP sera envoyé à chaque direction de lycée proposant des formations dans le régime professionnel afin de détailler de manière précise les mesures de rattrapage et de remédiation actuellement offertes aux élèves et l’organisation de ces dernières;
    • toutes les mesures de rattrapage et de remédiation seront rémunérées impérativement selon les dispositions actuellement en vigueur.
  2. Enseignement par modules et évaluation par compétences


    Le SEW est d’avis qu’une évaluation exclusivement basée sur les compétences – en éliminant toute forme d’éducation qui n’est pas utile à l’entreprise, qui n’a pas de valeur d’usage - tend inévitablement à formater des individus adaptables en fonction des seuls besoins des entreprises.

    Le SEW ne peut accepter une telle évolution de notre enseignement.

    Critères d’évaluation


    Selon le SEW, un grand nombre des critères d’évaluation mis en oeuvre dans la nouvelle formation professionnelle – que ce soit dans l’enseignement général ou professionnel - sont extrêmement sévères. À citer notamment l’exemple de la branche «Comptabilité» au niveau du DAP où un taux de réussite de 90% dans les opérations courantes est exigé. Pour mesurer la sévérité de ces critères, il faut les comparer avec les critères beaucoup moins sélectifs en vigueur, pour la même branche, dans le régime technique.

    De plus, les critères d’évaluation appliqués sont souvent peu transparents et ne permettent pas une évaluation objective des élèves au niveau national.

    Tests intermédiaires et épreuve unique de fin de module


    Le SEW regrette que les tests intermédiaires ne comptent pas pour certifier l’acquisition des compétences. De ce fait, les élèves ne les jugent pas importants et ne se préparent pas vraiment.

    Au final, toute l’évaluation est axée sur une épreuve unique de fin de module. Selon le SEW, la mentalité actuelle de beaucoup d’élèves, engendrée en partie par notre système social et nourrie en outre par des critères de promotion beaucoup trop laxistes dans le cycle inférieur, les prend totalement au dépourvu lorsqu’on leur demande de faire des efforts. Devant de telles évidences, deux issues se présentent alors pour les enseignants:
    • soit appliquer le règlement à la lettre et être confronté à un taux d’échec énorme,
    • soit maquiller les résultats de l’évaluation des compétences et faire passer tout le monde ou
      presque.

    Cette situation conduit, selon le SEW, à un manque flagrant d’équité dans l’évaluation des élèves d’un lycée à l’autre.

    Enseignement par modules


    Pour le SEW, l’enseignement par modules est un enseignement très statique et peu propice au développement en continu des connaissances et savoirs.

    Pour illustrer ce fait, on peut citer à titre d’exemple la branche NOTEC – Appliquer les nouvelles technologies d’information dans l’administration. Cette branche est aujourd’hui enseignée en classe de X0CM au premier semestre et ceci pendant 6 h/semaine. A la fin du module et après l’acquisition «espérée» des compétences requises, cette branche est appelée à disparaître.

    Des bribes de ce qui a été appris au cours du module trouveront – éventuellement – leur application beaucoup plus tardivement dans d’autres branches. L’élève normal aura ainsi eu largement le temps pour tout oublier, ou du moins une grande partie de ce qu’il a appris précédemment. Où réside alors, question posée par le SEW, le bénéfice pour l’élève dans d’une telle (dés)organisation des cours, surtout en comparaison au système précédemment appliqué, à savoir un cours de 3 heures/semaine durant toute l’année, avec une construction graduelle du savoir et l’application simultanée de ces savoirs dans d’autres branches – sans discontinuité.

    Rôle primordial de l’enseignant


    Par la suite, le SEW met l’accent sur une évidence pédagogique: ce n’est pas un programme, un système ou une méthode d’enseignement qui est essentiel dans l’avancement et l’éclosion des élèves, mais c’est le travail de l’enseignant dans sa classe qui prime! Il semble donc contreproductif au SEW de submerger de plus en plus l’enseignant du post-primaire – à l’image de l’instituteur dans l’enseignement fondamental – avec un travail bureaucratique et administratif (travaux d’évaluation, rédaction de rapports et concertations à tout bout de champs, …) dont l’utilité est loin de faire l’unanimité parmi les enseignants, les élèves, les parents voire même un grand nombre d’experts en sciences éducatives.

    Revendications du SEW et premiers succès


    Même si les responsables de la Formation professionnelle du MENFP ont essayé de prouver le bien-fondé de la nouvelle réforme, en jonglant avec des statistiques qui ont fini par énerver Madame la Ministre en personne, les premières expériences dans l’enseignement professionnel réformé, selon le SEW, ont clairement démontré que l’enseignement et l’évaluation par compétences ne produisent guère les effets espérés et cela même dans un enseignement qui paraît pourtant propice à ce type d’enseignement et d’évaluation:
    • les élèves ne sont pas motivés davantage, malgré un élagage considérable des programmes et une fixation sur les applications pratiques;
    • l’iniquité au niveau de l’évaluation varie d’un lycée à l’autre.

    A partir de ces constats, le SEW pose les revendications suivantes:
    • mise en place rapide possible d’une concertation avec les acteurs du terrain, ne se limitant pas aux soi-disant spécialistes payés pour ne jamais mettre les pieds dans une salle de classe, afin de réaliser une évaluation sérieuse de l’enseignement par modules et de l’évaluation par compétences;
    • réintroduction d’un examen national pour des raisons d’équité et maintien d’un système de double correction en classe terminale;
    • adaptation voire abolition de l’enseignement par modules et de l’évaluation par compétences et retour à un système d’enseignement et d’évaluation classique avec éventuellement un complément au bulletin.

    Dans un premier temps, il a été retenu dans la discussion:
    • que les critères d’évaluation devront être passés en revue et cela en coopération avec les conférences spéciales des lycées concernés et les commissions nationales de formation;
    • que le MENFP établisse – en concertation avec les enseignants – un questionnaire sur l’enseignement par modules et l’évaluation par compétences à envoyer à tous les enseignants titulaires dans la formation professionnelle.
  3. Démarrage du technicien commercial


    La formation du technicien dévalorisée
    En connaissance des informations actuellement à sa disposition, le SEW ne prévoit pas une amélioration substantielle de la qualification des élèves du technicien employé de bureau par l’adoption du nouveau système d’enseignement et d’évaluation dans la formation professionnelle.

    Le SEW a rappelé ses principales critiques:
    • baisse au niveau de l’enseignement des langues,
    • absence de cours de mathématiques,
    • flou autour des modules préparatoires,
    • disparition de l’accès normal des futurs techniciens à une formation supérieure.

    Alors que l’un des objectifs de Lisbonne prévoit 40% de la population active au niveau Bac+ en 2020 et que les acteurs du monde professionnel et notamment les chambres professionnelles annoncent que le marché du travail nécessitera de plus en plus de jeunes qualifiés à un niveau BAC + ( 1 ), la réforme du technicien va clairement dans la direction opposée.

    Revendications du SEW et premiers succès


    Les représentants du SEW ont insisté sur la nécessité de promouvoir l’excellence et de fournir une perspective attractive aux élèves qui entameront la formation du technicien réformé. Les revendications dans ce sens sont les suivantes:
      le SEW demande à ce que la formation du technicien puisse pousser au moins 20 % de ses meilleurs éléments vers des études de BTS (BAC+2). Il exige, dans les meilleurs délais, à avoir des garanties quant à une formation de qualité et un choix judicieux de modules préparatoires afin de pouvoir atteindre les objectifs souhaités;
    • le SEW demande la création d’une passerelle régulière
      des formations de technicien vers les formations de BTS;
    • le SEW demande à ce que soit clairement établi, avant la rentrée scolaire 2012/2013 et le démarrage du nouveau technicien commercial, comment, sous quelles conditions et au moyen de quels modules préparatoires un élève de la formation du technicien commercial pourra continuer des études post-secondaires;
    • le SEW insiste que ces exigences comptent pour toutes les autres formations du technicien.

    Face à ses revendications, Madame la Ministre a annoncé:
    • la mise en place prochaine d’un groupe de travail «BTS-Commerce» en concertation avec l’Ecole de Commerce et de Gestion;
    • l’élaboration des modules préparatoires permettant un accès aux études supérieures avant le début de l’année scolaire 2012/13;
    • la préparation de deux enquêtes, dont l’une questionnera les élèves actuels de 13e au sujet des études qu’ils comptent poursuivre et dont l’autre demandera à tous les diplômés de l’ES et de l’EST d’il y a deux ans ce qu’ils font actuellement.


    Il est clair que le SEW va dans les mois à venir, rester sur ses gardes et contrôler si le MENFP tient tous ses engagements.


Jules Barthel
Professeur des sciences écomomiques et sociales au LNW
Membre de la direction syndicale




( 1 ) Chambre des Métiers (avril 2012): «Trotz Krise gibt es eine Knappheit an qualifizierten Arbeitskräften. Besonders gesucht sind BTS-Abschlüsse, aber auch Volkswirte, Buchhalter und Informatiker haben Chancen, im Handwerk einen Arbeitsplatz zu finden.»
Fedil. ABBL, CLC (Les qualifications de demain dans le domaine des TIC-avril 2012): «En termes qualitatifs, les entreprises ont exprimé des exigences de formation élevées pour la plupart des professions: le niveau BAC+2 est un minimum requis dans 93% des cas. Par contre, les prévisions d’embauche pour le niveau BAC sont en nette régression (2% en 2012)».