PROCI: un autre point de vue (Journal 3/2007)
Ayant été coordinatrice du projet au Lycée Aline Mayrisch pendant trois ans, ma vue sur le projet diffère de celle de la plupart de mes collègues du SEW. Mes critiques se situent ailleurs. Même si je trouve très peu professionnel de baser une grande partie de l'évaluation d'un projet sur les seuls résultats du premier trimestre de 10e de la première cohorte d'élèves, je vais me baser sur ces chiffres pour montrer qu'on peut aussi les interpréter différemment.
Le but principal de ce projet appelé "Objectif réussite" était de permettre une meilleure orientation des élèves après la 9e, vu notamment le très grand nombre d'échecs en 10e et 11e qui conduisent à un nombre alarmant de jeunes gens abandonnant les études et se retrouvant sur le marché de travail sans diplôme aucun, quelque 20% (!) contre environ 10% en moyenne dans nos pays voisins.
Les équipes d'enseignant/es du PROCI ont assumé cette responsabilité en orientant moins d'élèves dans les filières où ils ou elles ont peu de chances de réussir: donc légèrement moins d'accès au régime technique pour les élèves orienté/es après la 6e primaire en 7e EST (3 % de moins) et moins d'accès au régime du technicien pour les élèves orientés en 7e ADAPT (5 % de moins). A mes yeux ce n'est pas un aspect négatif du projet: si on veut augmenter le nombre des élèves ayant accès à un diplôme de fin d'études secondaires techniques ou de technicien, c'est la formation qu'il faut réformer. Le PROCI n'y peut rien.
Peut-on en conclure des chiffres que le PROCI a été négatif pour les élèves faibles? A mon avis, non. J'ai assez d'exemples d'élèves devant les yeux pour affirmer que c'est faux; des adolescent/es qui ont pu évoluer positivement dans leur classe pendant trois ans sans avoir à subir à la fin de chaque année, après d'innombrables notes insuffisantes, une orientation négative, "vers le bas", c'est-à-dire vers une 8e polyvalente et ensuite, le cas échéant, une 9e pratique. Qui ont même pu acquérir un niveau de base acceptable en anglais. Pour moi c'est une question de respect du système scolaire envers les élèves plus faibles, une question de dignité. Ceci dit, il ne faut pas se satisfaire de faire un peu moins bien que le système traditionnel: nous devons progresser sur ce plan et arriver à faire avancer plus d'élèves faibles.
Les évaluations qualitatives ont souligné dès le début que l'hétérogénéité des classes PROCI constitue un défi énorme pour les enseignant/es du post-primaire. Il faut différencier et miser sur d'autres méthodes qui favorisent la capacité des élèves à travailler de manière plus autonome et en équipe. Cela a fortement préoccupé les enseignant/es qui avaient peur de ne pas être à la hauteur. Les parents - surtout des élèves plus fort/es - avaient également la crainte que leurs enfants n'aient pas un niveau suffisant à la fin de la 9e.
Les résultats du 1er trimestre en 10e montrent que les élèves savent faire face, d'autant plus que le changement entre le système PROCI et l'enseignement plus traditionnel en 10e est certainement important. Un succès, même si les élèves PROCI - qui, en plus, n'ont pas redoublé en cours de route - ne réussissent que légèrement mieux que leurs camarades.
Le projet n'a pu réduire ni le nombre d'élèves redoublant leur 9e pour avoir accès à la 10e de leur choix ni celui des élèves "quittant" l'école. Cela ne m'étonne pas: si une orientation par simples notes, le fameux 38, n'est pas objective (puisque les exigences diffèrent d'un/e enseignant/e à l'autre), elle a au moins le mérite d'être claire. Au PROCI, l'orientation est moins transparente à première vue: elle se fait sur les résultats des trois années - sans pour autant fixer de notes seuils - et le profil général de l'élève. Même si les parents sont informés tout au long du cycle inférieur où se situe leur enfant, c'est moins clair que des notes seuils et c'est nouveau. Si dans ce contexte, le taux des élèves qui redouble n'est pas significativement plus élevé que dans l'ancien système (en fait 1,4 %), je vois cela personnellement comme un résultat plutôt rassurant. C'est seulement si cette tendance se confirmait au fil des prochaines années que je m'inquiéterais.
De même il faut se poser la question de savoir où vont les élèves qui "quittent" prématurément l'école. Nous savons qu'une bonne partie poursuit ses études à l'étranger, dans un système qui leur permet de suivre la formation qu'ils désirent sans devoir passer par un régime technique très théorique. C'est vrai pour les jeunes qui veulent travailler plus tard dans le domaine social. On ne peut quand même pas attendre du PROCI qu'il colmate les lacunes des cycles moyen et supérieur!
À mes yeux, ces premiers résultats sont d'autant plus positifs que les enseignant/es ont dû se former et définir les contenus et l'évaluation sur le tas, dans l'urgence, alors que le projet avait déjà démarré, et ce sans être soutenu/es par le groupe qui l'avait conçu. Cela soulève un certain nombre de questions: comment réaliser un projet ambitieux sans groupe d'accompagnement, et surtout sans expertise en sciences de l'éducation? Sans que les responsables du ministère aient vraiment le temps de s'investir pleinement dans le projet? Sans que le projet soit évalué de manière professionnelle? Encore heureux que le SCRIPT ait pleinement soutenu les lycées en matière de formation continue et qu'il y ait eu le groupe des coordinateurs et coordinatrices des lycées qui se sont réunis régulièrement avec le responsable du ministère. Quant à savoir pourquoi les lycées se sont jetés la tête la première dans le projet: c'était une question de politique. Ou démarrer le projet avant la fin de la période de législation d'Anne Brasseur ou risquer qu'il ne disparaisse dans un tiroir et que rien ne bouge dans un cycle inférieur qui mettait les élèves en échec.
Les véritables problèmes se situent pour moi à ce niveau-là: comment faire une politique éducative innovatrice à long terme, si les ministres changent tous les cinq ans et ne peuvent pas approuver à haute voix des projets initiés par leurs adversaires politiques? Car il est clair que ce projet ne peut pas vraiment être évalué après seulement un trimestre ou même une année: il faudrait voir comment se développent la 2e et la 3e cohorte et quels seront les résultats en 13e. Nous n'en avons pas le temps car déjà la fin de la période de législation de Mady Delvaux s'annonce. Maintenant le PROCI tel qu'il a été conçu est pratiquement bouclé. Et les coordinateurs et coordinatrices se cassent la tête pour trouver les moyens de sauver le plus possible l'esprit PROCI tout en rentrant au bercail du système.
D'accord, on en tire quelques conclusions positives: l'apprentissage par compétences en langues et en mathématiques sera généralisé, même si on ne retient pas les différentes notes sur le bulletin. Mais l'idée fondamentale, celle de donner aux élèves la chance d'apprendre un maximum dans un environnement stable, sans être sans cesse confronté/es à des notes insuffisantes et à une orientation négative est laissée tomber, comme l'idée d'une plus-value de l'hétérogénéité. Même au sein du SEW. Pour moi le PROCI a le mérite d'avoir prouvé que la différenciation interne est possible. Mais le projet a montré aussi les limites d'une politique d'éducation innovatrice au Luxembourg.
Membre du Comité secondaire