Projet-pilote Objectif réussite du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique, 6 mois après: Présentation et premières impressions (Journal 3/2004) Chantal Serres
Projet-pilote ^Objectif réussite^ du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique, 6 mois après
Présentation et premières impressions
Apprendre mieux, pour être mieux orienté-e-s. Voilà, pour les élèves, le but auquel tend ce projet-pilote, lancé de manière un peu trop précipitée à la dernière rentrée - mais élections obligent. Raisons principales qui ont conduit le ministère à ce projet-pilote: un nombre bien trop important d'échecs en 10e, toutes sections confondues, de 20 à 30%. De plus, les contenus et les méthodes d'enseignement n'ont pas été revus en profondeur depuis des décennies et ne correspondent plus aux besoins des élèves de l'enseignement technique d'aujourd'hui. Ce dernier constat, le SEW le partage depuis belle lurette, mais notre syndicat avait émis un avis très réservé au sujet du projet-pilote l'année passée, critiquant notamment la précipitation avec laquelle il a été introduit, son caractère flou - de nombreuses questions restent ouvertes -, l'absence d'analyse fondamentale de tout ce qui ne va pas dans le système scolaire luxembourgeois avant d'entamer de nouvelles réformes, la crainte que les moyens pour mettre en oeuvre et évaluer le projet fassent défaut, etc. (voir SEW-Journal n°1 et 2 de 2003).
Malgré leurs appréhensions, quatre lycées ont fini par participer au projet-pilote: le lycée technique de Bonnevoie (avec 8 septièmes), le nouveau lycée Josy Barthel de Mamer (8), le lycée agricole d'Ettelbruck (3) et le lycée Aline Mayrisch (4). Chaque établissement a un ou deux coordinateurs ou coordinatrices du projet qui gardent le contact entre les différentes classes de leur établissement, entre les quatre lycées ainsi qu'avec le ministère.
Dans les nouvelles classes de septième, les élèves sont encadré-e-s par une équipe d'enseignant-e-s réduite. Si possible, les titulaires enseignent donc plus d'une branche. En principe la classe reste la même de 7e à 9e tout comme l'équipe des enseignant-e-s. Il n'y a donc plus de différenciation entre voies de formation (théorique, polyvalente et pratique). De telles expériences ont déjà eu lieu au Luxembourg, au Lycée technique du Centre par exemple, avec les classes RIACCI. D'autres pays nous montrent en effet que différencier à l'excès n'apporte pas du tout les fruits escomptés.
Le groupe classe restera donc hétérogène - hétérogénéité toute relative cependant, puisque les élèves très fort-e-s continuent à être orienté-e-s dans l'enseignement classique et les élèves très faibles dans l'enseignement modulaire. Pour l'instant, l'hétérogénéité ne pose pas plus de difficultés que d'ordinaire puisque le groupe était toujours assez hétérogène en classe de septième technique. Il y a certes les élèves orienté-e-s dans une classe "adapt" qui sont mêlé-e-s aux autres élèves dans trois des lycées, mais les vraies difficultés surgiront probablement au cours des deux années à venir, quand la situation s'accentuera et que les un-e-s progresseront plus vite que les autres, l'apparition d'une troisième langue étrangère, l'anglais, renforçant sans doute cette tendance. Savoir gérer cette hétérogénéité est un vrai défi pour les enseignant-e-s engagé-e-s dans le projet, puisque nous ne sommes que peu habitué-e-s à ce type de situation et à de nouvelles méthodes d'apprentissage.
La formation continue revêt ici une importance capitale. Un autre terrain où les enseignant-e-s sont confronté-es à de nouvelles approches est l'évaluation. Pour les langues et les mathématiques, il n'y a plus une seule note, mais trois notes distinctes, selon les différentes compétences visées: écrit, oral et compréhension pour les langues, calcul, algèbre et géométrie pour les mathématiques.
Cette évaluation par compétences est nouvelle pour les titulaires et là encore la formation est indispensable.
Des conseillers et conseillères pédagogiques de l'université Notre Dame de la Paix de Namur accompagnent professionnellement le projet et aident ainsi notablement les enseignant-e-s concerné-e-s à parer au plus pressé. En plus, les titulaires d'une même branche des quatre lycées se rencontrent de temps en temps dans le cadre du projet pour discuter des contenus des programmes et de l'évaluation. Cette tâche me semble toutefois bien trop importante pour être accomplie lors de telles réunions, d'autant plus que les sciences naturelles et les sciences sociales ont du pain sur la planche: l'idée de départ était en effet de faire des différentes branches biologie, chimie, physique d'une part et géographie et histoire d'autre part des branches combinées, intégrées et non plus parallèles, enseignées, qui de plus est, par différent-e-s enseignant-e-s. À mes yeux, le ministère devrait se donner d'urgence les moyens nécessaires pour mettre sur pied une équipe qui ne s'occupe que de ce type de questions sous la direction d'expert-e-s, sinon le projet risque vraiment d'être de moindre qualité et très différent de lycée en lycée.
En ce qui concerne la promotion, le conseil de classe a carte blanche. En cas de difficultés, c'est lui qui voit, en concertation avec les jeunes et leurs parents évidemment, quelles mesures doivent être prises. Les critères tels qu'ils existent pour le système actuel ne sont donc pas valables pour les classes pilotes: ni notes profil a,b,c, ni notes bilan de 40 ou 50, qui joueraient un rôle important dans l'orientation à la fin de l'année scolaire ou du cycle inférieur. L'attitude de l'élève par rapport au travail scolaire et son comportement social ne sont d'ailleurs plus exprimés par une note, mais par un texte écrit qui fait partie intégrante du bulletin.
Du point de vue de la grille horaire, il y a également des changements. Par rapport à l'ancienne grille, toutes les branches sauf l'éducation sportive et la formation morale, respectivement la morale chrétienne, ont perdu des leçons. Le plus durement touchées: l'éducation artistique qui n'existe même plus en tant que telle sur le bulletin, mais est devenue un "atelier" parmi d'autres, perdant ainsi les deux tiers (!) de ses leçons, les sciences sociales (histoire et géographie) qui en perdent presque un tiers et les ateliers à proprement parler (électro, bois, métal ...).
Les plages ainsi libérées sont au nombre de trois: une leçon de tutorat, pendant laquelle le ou la régent-e règle avec les élèves de sa classe toutes sortes de questions, les aide à s'organiser, à mieux apprendre, etc. Également au programme du tutorat: l'éducation des choix, par le biais de nouveaux manuels qui viennent d'être publiés. Les deux autres leçons apparaissent sous le nom d'"autonomie". Il faut entendre par là autonomie pour le lycée; chaque établissement peut en effet remplir ces leçons comme il l'entend, que ce soit par des activités d'appui dans certaines branches, des projets interdisciplinaires, du travail autonome du type "Wochenplan", etc.
Pour organiser au mieux le travail avec la classe et suivre la progression des élèves, pour être par conséquent à même d'assumer la grande responsabilité qui leur incombe, il faut une concertation sérieuse entre les différent-e-s titulaires de la classe. Les équipes enseignantes de chaque classe se réunissent donc une fois par semaine. Par ailleurs, il faut se familiariser en tant qu'enseignant-e avec de nouvelles méthodes d'enseignement, de nouveaux types d'évaluation, de nouveaux manuels ... Certain-e-s se sont chargé-e-s pour la première fois d'une branche qui ne correspond pas à leur spécialisation. Bref: les exigences sont nombreuses.
Pour l'instant, les enseignant-e-s reçoivent une légère décharge pour ce travail supplémentaire. En principe une décharge est seulement prévue pour les premières équipes qui mettent en oeuvre le projet sur le terrain. À mon avis, c'est cependant là une question-clé par rapport à la généralisation et au succès de ce projet: il est évident qu'une telle réforme peut seulement se faire si les différent-e-s titulaires de la classe collaborent très étroitement. Or pour garantir une telle collaboration, il faut la prévoir dans l'horaire des professeur-e-s et donc dans leur tâche officielle. En temps de pénurie de professeur-e-s, cela risque d'être difficile. C'est un problèmefondamental que devra résoudre le ou la prochain-e ministre de l'éducation nationale. Dans ce contexte, l'idée de passer de 50 à 45 minutes par cours me semble intéressante. Cette mesure permettrait de créer trois unités supplémentaires de 45 minutes pour les élèves et à peu près deux pour les enseignant-e-s. On pourrait très bien profiter d'une partie des unités ainsi libérées pour intégrer dans leur tâche les concertations du côté des professeur-e-s et réinvestir, sur le plan de l'horaire des élèves, dans des branches qui ont perdu beaucoup de leçons.
Une première évaluation du projet est entamée en cette fin d'année. Elle sera double: une évaluation interne assurée par une personne qui connaît l'enseignement secondaire technique à la perfection pour y avoir travaillé pendant de longues années et une évaluation externe. Objectif? Réussite! Celle du projet-pilote cette fois.
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