OECD ante portas
11.02.2014
OECD ante portas
Les modèles de référence de l’OCDe apportent-ils des solutions aux problèmes du lycée luxembourgeois ?
-
prologue: communication verticale contre communication horizontale; deuxième révolution industrielle contre troisième révolution industrielle; pourquoi le Luxembourg ne fait pas exception.
Dans son livre de 2011 « La troisième révolution industrielle » l’auteur américain Jeremy Rifkin, né en 1945, s’attaque à Frederick Winslow Taylor (1856-1915) et son livre le plus connu et le plus influent, « Principles of Scientific Management » (1911). Rifkin est d’avis que les principes qui sont caractéristiques pour ce qu’il appelle la « deuxième révolution industrielle» des années 1920 et 1930, à savoir le travail à la chaîne, le taylorisme et le fordisme, le capitalisme calviniste à l’américaine, la communication verticale à sens unique, la façon autoritaire et anti-démocratique de gérer l’entreprise, mais aussi l’Etat, où les intérêts des lobbies l’emportent sur la volonté et les droits des citoyens, sont des principes d’un autre âge qui ne devraient plus avoir cours aujourd’hui. Selon Rifkin il est temps de passer à la « troisième révolution industrielle » dont les termes-clef sont le pouvoir latéral (qui remplacera le pouvoir hiérarchique), la démocratie, la transparence, la coopérativité, la communication horizontale, le débat citoyen, une réduction des inégalités qui ont explosé d’une manière indécente depuis la fin de la guerre froide. – En fait Rifkin emploie le vocabulaire qui était déjà celui de Hannah Arendt dans « Les origines du totalitarisme » de 1951, à savoir l’opposition radicale entre ‘communication verticale’ d’hier – qui chez Rifkin est notamment celle du capitalisme de la « deuxième révolution industrielle » - et ‘communication horizontale’ qui devrait être celle du futur, et de préférence déjà celle du présent depuis un bon bout de temps. Dans son livre le plus important et aussi le plus volumineux, à savoir « La théorie de l’agir communicationnel » de 1981 Jürgen Habermas dit exactement la même chose: alors que tout le monde avait espéré autre chose à la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945 nous constatons que nous vivons toujours à l’époque contemporaine dans l’aliénation et la prison du « système » - qui est celui si magistralement exposé et analysé par Niklas Luhmann (1927-1998) – alors que, face au fascisme omniprésent, le désir de pouvoir vivre plus humainement dans le « monde de la vie » (‘Lebenswelt’) plutôt que dans les contraintes du « système » avait été formulé par les auteurs les plus clairvoyants dès les années 1930. Même après l’emblématique année 1989 la transition du « système » vers le « monde de la vie » et donc de l’autoritarisme hiérarchique vers la démocratie et la transparence n’a pas eu lieu, bien au contraire, et pour cause: désormais rien ne pouvait plus freiner le modèle américain, si vétuste et fâcheux soit-il, et c’était donc parti pour la grande « mondialisation » et « globalisation » à l’américaine.
En fait les Etats-Unis avaient été les gagnants, au niveau mondial et sur le terrain aussi bien économique que politique, déjà la première guerre mondiale. Les Etats-Unis ont répété cette victoire après 1945, le GA TT, Bretton Woods, le Plan Marshall, l’OECC de 1948 qui devient OCDE / OEC D en 1961 sans oublier l’OMC / WTO en 1995 sont les instruments qui permettent la continuation de l’expansionnisme américain par toujours d’autres moyens, des instruments toujours renouvelés, mais en fait toujours les mêmes: autoritarisme et opacité, « communication » et désinformation, langue de bois et propagande, bourrage de crâne au lieu d’information véritable, transparence, loyauté envers les citoyens et démocratie. En 1951 Hannah Arendt avait passé au crible les systèmes autoritaires et à la fin même totalitaires du passé: d’abord l’impérialisme anglais, puis allemand au 19e siècle, ensuite le totalitarisme soviétique et nazi au 20e siècle. A la fin elle avait mis en garde contre les velléités des Etats-Unis de tout contrôler dans le monde après 1945, certes sans les moyens de contrainte grossiers et bien visibles du système stalinien ou nazi. Le contrôle et la contrainte allait en effet passer du niveau physique et militaire au niveau économique et psychologique, et les citoyens du monde entier ne se rendront même pas compte qu’ils ont une fois de plus été roulés.
Ces propos généraux sont illustrés dans nos années « post-crise de 2008 » aussi par Grand-Duché du Luxembourg, où le pouvoir (économique et politique) en place veut imposer des « réformes » qui n’en sont pas, sans dire le nom de ce dont il s’agit vraiment: à savoir ne rien changer à ce qui a déjà été le cas depuis le lendemain de 1945, et décrier comme des « réactionnaires corporatistes » ceux qui veulent de vraies réformes et dépasser l’intenable inertie qui dure depuis 30 ou 40 ans. Ces citoyens qui veulent enfin une réforme seraient attachés au passé et réfractaires à toute réforme et à toute « modernisation ». Voilà le discours officiel du pouvoir. – Mais nous vivons dans un monde à l’envers où il faut retourner tous les mots de la tête sur les pieds pour voir que le pouvoir en place qui vante sa volonté de « réforme » et de « modernisation » veut en fait ne rien changer au présent et continuer comme dans le passé. Et le mouvement citoyen – illustré par les 6000 enseignants et fonctionnaires qui étaient descendus dans la rue le 22 mars 2012 – accusé de vouloir bloquer la route aux réformes et à la modernisation veut au contraire la réforme, mais une vraie réforme et une vraie modernisation, et pas que des mots nouveaux collés sur les pots cassés d’hier. – Le débat qu’il faut mener doit être un vrai débat sociétal, car ce qui est en jeu, ce ne sont pas quelques bricolages accessoires qui permettraient en peu de temps et avec peu d’investissements de mieux faire fonctionner l’éducation nationale luxembourgeoise ou le service public luxembourgeois. Il s’agit au contraire de mener un débat de fond pour se poser la question quelle société et quelle « culture » nous voulons avoir au Luxembourg au 21e siècle et pendant les 50 années à venir, et en quoi et pourquoi la société luxembourgeoise est bloquée depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970, où la réflexion et la mise en question commencent certes, mais à part les éphémères années 1975-1979 elle ne s’est jamais fait entendre, jusqu’à aujourd’hui. – L’enjeu du Luxembourg en 2013 est donc s’il va rester – en termes de Rifkin – au stade de la deuxième révolution industrielle des années 1920, au stade de ce taylorisme toujours imposé par les Etats-Unis et ses réseaux tentaculaires, dont l’OCDE, ce qui est la volonté du gouvernement luxembourgeois, ou bien s’il va enfin passer à l’ère de la troisième révolution industrielle que la société civile attend depuis des décennies et exige toujours aujourd’hui.
C’est en effet bien de l’influence de l’OCDE qu’il s’agit, et derrière elle du modèle sociétal, politique, économique, mais aussi éducatif américain. Depuis 1945 les Etats-Unis cherchent à l’imposer de manière globale, mais les pays de l’est résistent. Suite à la disparition du bloc soviétique après 1989 et suite au tournant capitaliste en Chine les Etats-Unis ne se sont pas endormis ou reposés, mais ils ont décuplé leurs efforts pour soumettre le monde entier au formatage américain. Et le Grand-Duché du Luxembourg n’est pas resté une exception et une île au bout du monde que les ondes de choc de la mondialisation à l’américaine ne pourraient pas atteindre. Les «réformes » – qui n’en sont pas – que le gouvernement voudrait imposer au pays à un rythme accéléré depuis 2008 ressemblent comme une goutte d’eau à la déferlante dans les autres pays de l’OCDE. Privatisation, compression au maximum du service public (ou sa colonisation par le privé), hiérarchisation des carrières, réorganisation autoritaire des entreprises, y compris le service public et l’éducation nationale, mysticisme des « compétences »: voilà les slogans qui sont répétés jusqu’à plus soif dans certains pays OCDE depuis les années 1950 et 1960, dans d’autres depuis les années 1980, et au plus tard après la crise de 2008 ce discours essaye de submerger également le Luxembourg. Or pour remettre à flot ou tenir à flot le Grand-Duché et l’UE toute entière il faut d’autres remèdes que ceux de Frederick Winslow Taylor mort en 1915 qui avait exposé ses idées maîtresses en 1911. à plus soumettre le monde entiet s jusqu’ent blic et lp’s, mysticisme des «par l’t leurs efforts pour soumettre le monde entier.
Pour pouvoir « lire » et « déchiffrer » plus facilement le cas du Luxembourg, si semblable à tant d’autres – même si le pouvoir en place affirme le contraire, pour cacher son jeu – lisons les extraits suivants de Jeremy Rifkin, de 2011 :
« Taylor en était persuadé: le meilleur moyen d’optimiser l’efficacité de l’ouvrier consiste à séparer la pensée de l’action. Il faut donner à l’encadrement le contrôle total de la façon dont chaque tâche doit être accomplie. « Si l’exécution par l’ouvrier est guidée par sa propre conception, il est impossible », selon lui, « de lui imposer soit une efficacité méthodique, soit les cadences de travail voulues par le capital. - Taylor reprend l’idée cruciale d’exercice d’une autorité rationalisée dans un système de gestion vertical et centralisé et la plaque sur chaque travailleur. « (p. 161 (…)
« Les principes d’organisation scientifique du travail sont vite passés de l’usine et du bureau à la maison et à la ville, ce qui a fait de l’efficacité la valeur temporelle cardinale du nouvel âge industriel. Maximiser la production avec le minimum de temps, de travail et de capital serait la condition sine qua non imposée à la quasi-totalité des aspects de la vie dans la société contemporaine. - Nulle part les nouveaux principes rationalisateurs de l’entreprise moderne n’ont été mieux accueillis que dans l’enseignement public, d’abord en Amérique et en Europe, puis dans le reste du monde. Débiter des ouvriers productifs est devenu la mission principale de l’éducation moderne. Les écoles ont assumé une double tâche :
créer une main d’oeuvre alphabétisée et la préparer à servir des entreprises despotiques et centralisées, où elle allait recevoir ses ordres d’en haut et optimiser sa production en bas le plus efficacement possible, sans jamais remettre en cause l’autorité sous laquelle elle allait peiner. - Les écoles sont devenues un microcosme des usines. » (p. 162) (…)
« Ce modèle d’éducation est resté en vigueur jusqu’à nos jours et ne commence à être remis en cause qu’aujourd’hui, avec l’émergence de la troisième révolution industrielle: distribuée et coopérative par nature, elle exige une démarche pédagogique qui lui corresponde. » (p. 163) (…)
« Dans le monde actuel, trois des quatre plus grandes entreprises sont des compagnies pétrolières: Royal Dutch Shell, Exxon Mobil et BP. Après ces géants de l’énergie viennent environ cinq cents sociétés mondiales représentant tous les secteurs et industries, dont le revenu cumulé (22 500 milliards de dollars) équivaut au tiers du PIB mondial (62 000 milliards de dollars) et qui sont indissociables et dépendantes des énergies fossiles pour leur survie même. » (p. 164) « En 2001, les PDG des plus grandes compagnies américaines ont gagné en moyenne 531 fois que le travailleur moyen, bien davantage qu’en 1980 où ils ne gagnaient que 42 fois plus. De 1980 à 2005 – chiffre encore plus stupéfiant -, plus de 80 % de l’augmentation des revenus aux Etats-Unis est allée dans les poches du 1 % le plus riche de la population. En 2007, les Américains de ce 1 % le plus riche ont gagné 23,5 % du revenu avant impôt du pays, contre 9 % en 1976. Pendant la même période le revenu médian des ménages américains hors personnes âgées a baissé et le pourcentage de ceux qui vivent dans la pauvreté a augmenté. » (p. 165)
« Nous restons donc avec un étrange paradoxe. Des millions d’Américains veulent que l’Etat n’intervienne pas dans l’économie, mais ils ne sont pas prêts à se mobiliser pour mettre fin au mécanisme qui permet à des intérêts économiques privés d’acheter des élections, puis de diriger l’argent des contribuables vers leurs projets favoris et les intérêts de leur secteur. (…) L’immense majorité des Américains ont avec les entreprises une relation qu’on pourrait qualifier de « parareligieuse ». Avec leur foi calviniste dans le marché et leur haine du big government – au point de l’assimiler au socialisme athée – ils ne voient pas la cupidité des entreprises, ce qui permet à celles-ci de créer, sans avoir à en payer le prix, un système de socialisme pour l’élite et de paupérisme pour le peuple. (…) Si les Américains persistent à croire que les marchés sont plus bénéfiques à la société s’ils ne sont pas limités par l’Etat, s’ils continuent à fermer les yeux sur un processus politique où les élus permettent aux associations patronales de rédiger des lois à leur profit et au détriment de la collectivité, il est probable qu’en tant que nation nous sommes condamnés. » (…) « il y a de précieuses leçons à tirer de la triste histoire des relations passées entre l’Etat et les grandes entreprises pour nous assurer que la troisième révolution industrielle sera d’une toute autre nature: une coopération ouverte et transparente entre l’Etat, les entreprises et la société civile, qui représentera les intérêts de toute la population et pas seulement ceux d’une élite affairiste. » (pp. 189-190)
« La lutte entre les vieux intérêts du pouvoir hiérarchique de la deuxième révolution industrielle et les intérêts naissants du pouvoir latéral de la troisième crée un nouveau clivage politique, reflet des forces rivales qui se disputent la maîtrise de l’économie. » (p. 197) Jeremy Rifkin
« La troisième révolution industrielle – Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde », 2011, isbn 978-2-918597-47-6 Déjà dans « Le rêve européen – ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire » (le titre américain est plus parlant: « The European Dream – How Europe’s Vision of the Future Is Quietly Eclipsing the American Dream ») de 2004 Jeremy Rifkin – qui est Américain, ne l’oublions pas – avait mis en lumière les déficits du modèle américain, avait d’autre part montré une grande admiration, mais aussi et surtout une grande connaissance de l’Europe et de l’UE – donc du processus d’intégration européen - et de sa différence et de ses avantages avec le modèle américain. Et avait finalement – en toute logique – recommandé à l’Europe de poursuivre dans sa voie et dans son originalité et de ne pas tomber dans l’erreur de continuer ou d’adopter le modèle américain.
Les propos de Rifkin ne sont pas restés sans écho en Europe, comme en témoignent les lignes suivantes :
« La tâche prioritaire de l’Union Européenne dans la première moitié du XXIe siècle sera – pour citer Jeremy Rifkin – d’ »ouvrir la voie à la troisième révolution industrielle ».
Discours de Hans-Gert Pöttering, président du Parlement Européen, à la deuxième Agora citoyenne de l’Union Européenne, 12 juin 2008 cité par Jeremy Rifkin à la p. 7 de « La troisième révolution industrielle »
L’OCDE est donc surtout – malgré l’intérêt que peuvent avoir dans certains domaines ses études et son engagement – un messager du modèle américain, un modèle qui relève du passé et pas du présent ou du futur, et l’Union Européenne et notamment le Luxembourg seraient mal avisés si la solution des problèmes qui sont de toute évidence le cas, depuis 2008 ou depuis 1973, était puisée du côté de l’OCDE, au lieu de faire confiance à la matière grise européenne et de développer des solutions propres, originales et surtout humaines et intelligentes. Car le modèle américain n’est ni l’un ni l’autre: ni humain, ni intelligent.
-
Les modèles de référence de l’OECD apportent-ils des solutions aux problèmes du lycée luxembourgeois?
La question centrale est donc: est-ce que les modèles de référence de l’OECD apportent des solutions aux problèmes du lycée luxembourgeois ? La réponse est très clairement: Non ! Les idées et autres diktats en provenance de l’OCDE n’apportent pas du tout une solution aux problèmes du lycée luxembourgeois. Au contraire: les recettes et autres tentatives de néolibéraliser et transformer en un système hiérarchisé, autoritaire, arbitraire et traumatisant le lycée luxembourgeois créent l’essentiel des problèmes que nous avons actuellement et depuis que le gouvernement luxembourgeois a présenté ses projets de réforme en 2011. En d’autres termes: si depuis au moins 40 ans le problème non résolu de l’enseignement luxembourgeois consiste dans le refus ou du moins dans l’incapacité d’intégrer les enfants et les jeunes issus de l’immigration (que le Luxembourg a pourtant voulu avoir; que l’on se souvienne p.ex. de la politique active de rabattage que le gouvernement luxembourgeois a pratiquée au Portugal à partir de la fin des années 1960 lorsque l’immigration italienne a tari; et souvenons-nous que sans l’immigration le Luxembourg n’aurait pas pu atteindre à la richesse matérielle qui est le cas depuis plusieurs décennies), les velléités de réforme du MENFP (ainsi que du Ministre de la Fonction Publique) qui s’inspirent très largement de ce que l’OCDE veut imposer à l’ensemble de ses pays-membres n’apportent pas de solution à ce problème bien identifié, et au contraire l’accentuent et l’aggravent. De quoi s’agit-il donc ? Quel est le grand problème de l’enseignement luxembourgeois ? Que préconise l’OCDE ? Et pourquoi les « remèdes » de l’OCDE ou plutôt son idéologie (non avouée, mais évidente) passent-ils à côté des vrais problèmes de l’éducation luxembourgeoise et – si appliqués – ne feraient que les aggraver encore … ou n’ont fait que l’aggraver encore, dans ce qui s’appelle depuis peu non plus le « primaire », mais le « fondamental » où hélas, justement les « fondements » fondamentaux, classiques et si nécessaires, condition sine qua non pour pouvoir aborder le secondaire quelques années plus tard ne sont plus mis en place. Et la faute n’en incombe pas aux enseignants, volontiers dépeints par le pouvoir en place comme corporatistes et partisans du moindre effort. Mais ce n’est là que du populisme facile. La responsabilité de l’immense gâchis qu’est devenu l’ancien « primaire » au cours des dernières années incombe essentiellement au gouvernement, qui a succombé aux sirènes de l’OCDE et qui a plaqué sur le Luxembourg sans rien mettre en question et sans adapter les recettes ‘ready made’ que propose le ‘catalogue’ OCDE.
-
Quel est le grand problème de l’enseignement luxembourgeois ?
Quel est donc le grand problème de l’enseignement luxembourgeois? Pour une fois l’OCDE tape dans le mille. En effet les tests PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves / Program for International Student Assessment) organisés par l’OCDE en 2000, 2003, 2006, 2009 (et 2012, mais les résultats de 2012 seront publiés en décembre 2013 seulement) dans plus de 70 pays dont les 34 pays membre de l’OCDE ont à chaque fois donné un résultat sensiblement identique pour le Luxembourg: les différences sociales sont bien le cas au Luxembourg, et au lieu d’être réduites par l’enseignement – comme c’était p.ex. le cas grâce à l’école « républicaine » sous la IIIe République en France – l’enseignement les accentue. Par « différence sociale » il faut bien entendre la différence « autochtones / immigrés » qui est déjà bien là dans les années 1920 et 1930 au Luxembourg (voir notamment le livre de Lucien Blau, « L’extrême-droite au Grand-Duché de Luxembourg au XXe siècle », 22005 ). Au lendemain de la 1ère guerre mondiale la situation économique du Luxembourg est mauvaise (voir notamment le livre de Denis Scuto, « Sous le signe de la grande grève de mars 1921»; 1990), et c’est au plus tard à partir de la crise économique de 1929 que la crispation identitaire face aux travailleurs immigrés se fait jour. La même crispation identitaire se redéclare suite à la crise de 1973 et devient xénophobie montante après 2000, par ‘mimétisme’ de ce qui se passe dans d’autres pays de l’UE. – S’il ne sera pas possible de dire dans la suite beaucoup de bien de l’OCDE en raison de son idéologie néolibérale et autoritaire - bref: républicaine à l’américaine – il faut cependant concéder que le souci de surmonter la différence sociale et donc notamment les handicaps dus à la migration grâce au système éducatif est très net dans les publications de l’OCDE, même si les choses sont abordées de manière bien moins ‘humaine’ et ‘humaniste’ dans la suite, quand il s’agit de préciser le ‘ton’ qui doit régner en éducation, où les usines Ford ou Renault des années 1920 et 1930, mais aussi West Point ne sont pas loin. – De manière plus générale on peut dire que le score du Luxembourg n’est pas sensationnel: les résultat de l’enquête PISA de 2009 (publiés en 2010) placent le Luxembourg à la place 38 sur un total de 65, mais sur les 34 pays-membres de l’OCDE (essentiellement des pays occidentaux ou riches) le Luxembourg précède seulement l’Autriche, la Turquie, le Mexique et le Chili. Les autres pays de l’UE – à l’exception de la Lituanie, de la Bulgarie, de la Roumanie – et en plus Shanghaï, Hong Kong (la Chine n’a pas participé dans son ensemble), Singapour, le Liechtenstein, Macao, la Croatie et Israël sont mieux classés. Les pays que le Luxembourg arrive encore à devancer sont notamment la Russie, le Chili, la Serbie, l’Uruguay, la Thaïlande, la Colombie, le Brésil, le Monténégro, la Jordanie, la Tunisie, l’Indonésie, l’Argentine, le Kazakhstan, l’Albanie, le Qatar, le Panama, le Pérou, l’Azerbaïdjan, le Kirghistan; et puis donc la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, membres UE, mais pas OCDE. Le résultat de l’enquête PISA de 2009 est donc désastreux et dans la droite ligne des résultats des enquêtes de 2000, 2003 et 2006. – Le rapport PISA / OCDE sur l’enquête de 2009 indique certes que le taux d’immigrés dans l’enseignement luxembourgeois est de 40 %, mais révèle aussi que d’autres pays sont logés sensiblement à la même enseigne: le taux d’enfants et de jeunes issus de l’immigration est de 39 % à Hong Kong, de 46 % au Qatar, voire de 70 % à Macao et à Dubaï. Il est vrai que Dubaï se retrouve à la place 42 et le Qatar même à la place 61, mais Hong Kong est placée 4e et Macao toujours au rang 28. Le Canada et la Suisse – donc également des pays avec un taux d’immigrés assez élevé, qui se situe entre 20 et 25% - se retrouvent à la place 6 respectivement 14. Il ne semble donc pas y avoir une manière unique de gérer la question de l’immigration, et d’y échouer nécessairement. Des alternatives semblent exister. – Par ailleurs on peut lire dans un classement des pays selon leur revenu par habitant en 2012 (publié par yahoo fin 2012) que le Luxembourg se trouve une fois de plus à la première place avec 80.800 $, suivi par le Qatar (75.900 $), la Norvège (55.600 $), le Koweit (55.300 $), les Emirats Arabes Unis (55.200 $), Singapour (48.900 $), les Etats-Unis (46.000 $), l’Irlande (45.600 $), la Guinée Equatoriale (44.100 $), la Suisse (39.800 $). - De ces informations on peut donc déduire deux choses: d’abord qu’il n’y a aucun lien de cause à effet entre la richesse matérielle d’un pays d’une part et la qualité de son système d’éducation d’autre part. On peut être riche et avoir un enseignement médiocre. On peut être pauvre ou du moins modeste et avoir un enseignement de bon niveau, voire excellent. Le fatalisme universel n’est donc pas de mise. La liberté humaine, individuelle ou nationale, a donc encore sa place, et il y a donc aussi de la place à l’erreur humaine, au mauvais choix et donc à la liberté mal employée: le Luxembourg en semble une parfaite illustration. Dans le cas du Luxembourg, depuis une vingtaine d’années abonné au poste de pays le plus riche au monde selon le revenu par habitant (certes récemment concurrencé par le pétrole et le gaz du Qatar et de la Norvège): s’il y a richesse matérielle, il y a pourtant une grande pauvreté dans d’autres domaines. Des résultats catastrophiques au test PISA de 2000 à ceux de 2009 il y avait pourtant le temps de réagir. Cependant pratiquement rien ne semble avoir été réalisé: c’est ce que disent en tout cas les résultats de 2009, en attendant ceux de 2012. Ce qui faisait donc défaut, c’était soit la volonté de réagir, soit la faculté de réagir, faute d’avoir les idées adéquates, ou finalement les deux: à la fois la volonté et les idées. – Face aux paroles peu amènes et répétitives de l’OCDE à propos du Luxembourg suite à 2000, 2003, 2006 et 2009 le gouvernement en place semble avoir pensé que la seule chose à faire, c’était de suivre à la lettre les recommandations de l’OCDE ou encore – en d’autres termes - de se plier aux attentes de l’OCDE, c.à.d. du néolibéralisme républicain américain. Or rien n’est plus faux. Si le diagnostic de l’OCDE a été révélateur, la thérapie préconisée par l’OCDE – vantée comme « moderne » et à la pointe du « progrès » scientifique - va cependant tuer le patient. On y reviendra dans la suite.
Une autre conclusion que l’on peut tirer est qu’un si fort pourcentage d’immigrés au pays et donc parmi les clients de l’éducation nationale n’est pas un cas unique au monde dont le Luxembourg aurait le monopole, mais une situation partagée au moins par des pays aussi divers que le Canada, la Suisse, Hong Kong, Macao, le Qatar … Force est de constater que certains pays s’en tirent très bien ou du moins assez bien, et d’autres pas du tout: notamment le Luxembourg et le Qatar sont des pays à montrer une incapacité quasi complète à gérer le problème de l’immigration. Certes la question n’est pas une simple question technique ou «pragmatique».
Savoir ou vouloir gérer l’immigration est une question de société, une question de choix sociétal. On ne peut donc gérer la présence de 40 %, voire dans certains cas 50 % d’enfants immigrés dans les écoles luxembourgeoises par des simples ajustements au cas pour cas, donc par du simple « bricolage » pragmatique, d’autant plus que le problème était prévisible dès le début des années 1960 (et donc dès la dernière vague d’immigration italienne) ou en tout cas dès la fin des années 1960 (où le pouvoir en place avait choisi l’immigration portugaise, refusant en effet d’opter pour des immigrés dont la langue véhiculaire serait plutôt l’allemand et la religion l’islam).
Il faut ou il faudrait donc prendre une décision « politique » au sens fort, la « politique » étant ce volet de la « praxis » dont le but est de gérer avec talent et sagesse la cohabitation pacifique et heureuse (aujourd’hui on parlerait de « indice de développement humain ») des gens dans la cité. Or le pouvoir en place au Luxembourg pense que de petits arrangements techniques et pragmatiques (critères de promotion, avancement automatique, réduction du nombre de sections, évaluation par compétences …) suffisent. La volonté de prendre enfin cette décision politique qui s’impose depuis 40 ans est absente. Un débat politique, philosophique, idéologique de fond sur la société que nous avons et celle que nous voulons (ce qui n’est pas la même chose: il faut donc un vraie réforme) est considéré par le pouvoir en place comme superflu, voire ridicule et aberrant. Cette paralysie – semblable à celle qui a été constatée en France depuis les années 1950 et qui dans les années 1970 n’a toujours pas bougé – ne résout pas le problème, mais au contraire lui fait prendre de l’ampleur, jusqu’à ce que soit enfin atteint ce point de non-retour qu’a exprimé la mobilisation du corps enseignant luxembourgeois le 1er décembre 2011 et le 22 mars 2012.
-
Qu’est-ce que l’OCDE ?
L’OCDE a son siège à Paris, à l’orée du Bois de Boulogne, a été fondée en 1961, dispose de 2.500 collaborateurs et d’un budget annuel de 350 millions d’euros, compte 34 pays membres et s’active sur une quinzaine de terrains dont l’agriculture, la pêche, la concurrence, la corruption, la croissance verte et le développement durable, le développement, l’économie, l’éducation, l’emploi, l’environnement, la fiscalité, la gouvernance, l’industrie, l’innovation, les migrations, la santé etc.; ses actions consistent en « accords, normes et recommandations ». L’OCDE produit surtout chaque année un volume impressionnant de statistiques, qui sont intéressantes et utiles; l’OCDE fait certes bien de s’engager contre la corruption ou en faveur des migrants, apparemment aussi en faveur de la démocratie et de la durabilité, mais il ne faut pas se faire d’illusions: le paradigme de tout ce que pense et recommande l’OCDE reste toujours le paradigme de la croissance, de l’expansion et donc du bénéfice pour les grandes multinationales privées. La grande finalité de l’OCDE dans le monde entier depuis 50 ans est de faire entendre la voix conservatrice et républicaine américaine qui est celle de la « protection » de la « propriété privée », et donc de la liberté de l’entreprise et du patron, du marché libre sans contraintes sociales, de la réduction de l’Etat et du service à son strict minimum. Rien ne doit limiter la croissance de l’économie et donc l’explosion des bénéfices de l’entrepreneur et des propriétaires. Le but visé est la totale économie de marché et non pas une trop européenne, coûteuse et humaine économie sociale de marché. Si l’on se pose la question – au niveau mondial - de cette étonnante apparition d’oligarchies suite à 1989, mais aussi de l’étonnante précarisation et disparition de la classe moyenne, on trouvera des éléments de réponse dans les «stratégies» de «développement» de l’OCDE. Dans les années 1990 la nouvelle Russie sous Eltsine avait si bien appliqué les stratégies OCDE et américaines que le chaos et un dénuement matériel ahurissant de la population avaient été le résultat, rappelant la famine programmée par Staline en Ukraine dans les années 1930.
Malgré un certain nombre d’opérations cosmétiques et de «communication » à la surface le paradigme OCDE reste donc la croissance, ce qui implique un certain type de retombées dans le domaine de l’éducation. De manière générale l’ »humanisme » qu’avaient véhiculé les systèmes d’enseignement occidentaux dès la mise en place de systèmes d’éducation nationale – obligatoires et gratuits – à la fin du 19e siècle est considéré comme superflu, voire nuisible: un salarié encombré de savoir superflu, voire cultivé et donc critique, capable de prendre de la distance et de réfléchir par lui-même, est une nuisance pour l’entrepreneur et son entreprise, et il faut donc se limiter aux choses immédiatement et économiquement exploitables et ne pas favoriser l’autonomie du salarié et du citoyen. D’une manière cynique la « lettre » de certaines idées du philosophe et pédagogue humaniste américain John Dewey (1859- 1952) – en éducation une sorte de Pestalozzi, Rousseau, Montaigne ou Comenius américain – est gardée, mais leur « esprit » est perverti en son contraire, si bien que Dewey apparaît à la fin comme ‘petit frère’ et perroquet de Taylor, alors que l’exact contraire est le cas. Le concept de « compétences » en est un flagrant et triste exemple: formulé au début du 20e siècle dans un esprit proche de Rousseau nous le retrouvons aujourd’hui dans les « recettes » de l ‘OCDE et dans les velléités de réforme du gouvernement luxembourgeois avec un sens utilitariste et marchand qui est aux antipodes des intentions de Dewey. – L’OCDE préconise ensuite une entreprise – et explicitement aussi une école – fortement hiérarchisée, une direction autoritaire qui dicte ses ordres et contre laquelle le corps enseignant divisé se retrouve sans défense: l’enseignement est donc vu selon le modèle militaire. Le but de cette militarisation de l’école n’est pas tellement une optimisation du rendement et une amélioration des « compétences » (le contraire devrait être le cas en raison du climat détestable qui désormais empeste les institutions d’enseignement) qu’en fait essentiellement la mise en place et la pérennisation du pouvoir, qu’il n’est plus possible de mettre en question et de contester: des sanctions et la répression étouffent toute tentative de réfléchir ou du moins de se prononcer. Dans le modèle américain notamment les syndicats et les syndicalistes ne sont pas bien vus … Les « stratégies » de l ‘OCDE sont donc: réduction des programmes et des contenus enseignés aux seules matières immédiatement exploitables par l’économie et plus précisément par l’entreprise privée; organisation hiérarchique et autoritaire de l’enseignement et des écoles, passage à l’enseignement par compétences et surtout à l’évaluation par compétences, qui introduit le flou et l’arbitraire et remplace les anciennes « qualifications » certifiées par des diplômes nationaux garantis par l’Etat; de manière générale et sous de multiples aspects « privatisation » de l’enseignement au même titre de tout le service public – ce à quoi nous assistons un peu partout dans le monde depuis le début des années 1980: transports d’abord, énergie ensuite, puis sécurité sociale, assurance vieillesse, soins médicaux, enseignement à la fin: nous reconnaissons la mélodie et en devinons la suite. Pour pouvoir prouver aujourd’hui que l’on maîtrise la langue anglaise il ne suffit plus d’avoir en main p.ex. un diplôme de bac ou de fin d’études secondaires ou de Abitur et Matura où l’Etat garantit (gratuitement) que les connaissances en anglais sont bien le cas. Il faut en effet et depuis quelques années d’abord payer près de 200 euros pour ensuite se faire remettre par un organisme privé le papier (qui déclare que j’ai un certain niveau en anglais, et surtout que j’ai payé la taxe d’entrée) qui seul me donne accès à certaines universités dans certains pays. C’est donc en effet la « privatisation » du service public, le lent et imperceptible assassinat du service public par la mondialisation à l’américaine, et l’entrée d’agences de notation de type Standard & Poor’s, Moody’s ou Fitch dans l’éducation nationale. On croit rêver ! Mais comme les choses se passent très lentement et comme les arbres cachent la forêt, comme le regard à partir d’une certaine distance nous manque, sursaturés par le harcèlement médiatique au service du pouvoir économique et politique en place que nous sommes, nous finissons par avaler la couleuvre, et souvent la couleuvre passe même inaperçue. Et quand nous nous en rendons compte il est trop tard …
Cependant: le corps enseignant a pris conscience et n’est pas dupe.
-
Pourquoi les « remèdes » de l’OCDE passent-ils à côté des vrais problèmes de l’éducation luxembourgeoise ?
Depuis septembre 2012 et en fait depuis avril 2012 déjà la DNL Délégation Nationale des Lycées a fait le travail que le MENFP n’a pas fait depuis des années: consulter la base, les électeurs, les citoyens, les concernés, les victimes et prendre la température, étudier la réalité, cerner les vrais problèmes, identifier les vrais besoins urgents, prendre la mesure des destructions laissées par les récentes « réformes » du MENFP déjà mises en place et entrevoir aussi quelle serait l’ampleur des destructions si les « réformes » qui n’en sont qu’au stade de « projet » pouvaient avoir l’aval du pouvoir législatif et devenir catastrophique réalité quotidienne. C’était l’occasion de constater que le MENFP ne situe pas les problèmes là où ils sont, voudrait monter en épingle quelques problèmes accessoires et fermer les yeux sur les très gros problèmes qui crèvent l’écran depuis des décennies. Les « réformes » envisagées apparaissent dans ce contexte comme un emplâtre sur une jambe de bois, et le MENFP a l’allure d’un médecin qui pense qu’arracher une dent pourrie peut guérir un cancer généralisé. – D’ailleurs les syndicats avaient déjà commencé cette consultation de la base et des citoyens dès automne 2011 au plus tard, ce qui avait mené à la journée du 22 mars 2012, dont la DNL a été la suite logique. Il n’y a d’ailleurs pas que les enseignants qui ont été consultés. Les résultats de cette consultation sont très clairs et se résument de la manière suivante :
- la mise en pratique de l’enseignement par compétences est difficile, voire impossible avec des effectifs d’élèves supérieurs à 15 élèves
- il n’y a aucun atout réel à l’évaluation par socles de compétences qui est jugée encore plus subjective que l’évaluation par note chiffrée; le message envoyé aux élèves et aux parents est vague et brouillé
- il faut refuser la promotion automatique; le travail de révision n’est pas une mesure de remédiation pertinente
- les actuels critères de promotion conduisent à un nivellement vers le bas généralisé et aux orientations « cul de sac »
- les compensations répétées d’une même matière conduisent à l’impossibilité pour l’élève de combler ses lacunes; il faut donc supprimer de la compensation d’une même branche pendant deux années consécutives.
- il n’y a aucun avantage marquant au système PROCI; le système PROCI ne permet notamment pas de stimuler les élèves forts, il conduit à la dévalorisation de la notion d’effort et donne à l’élève l’illusion néfaste de toujours progresser; il faut refuser la généralisation du système PROCI
- la réforme de l’enseignement professionnel n’a généré aucune amélioration réelle; elle devrait être soit abrogée, soit subir des adaptations fondamentales
- l’enseignement par modules n’est pas viable à long terme et est peu pertinent
- la réduction du nombre de sections représenterait des désavantages considérables
- le Cadre Européen commun de référence pour les langues (CECR) ne présente pas d’avantage réel; en revanche il comporte de nombreux désavantages tels que le morcellement excessif des différents domaines de compétences, la réduction de la langue à sa dimension utilitariste, la négligence de la dimension culturelle et littéraire d’une langue, l’inadaptation du CECR à l’enseignement des deux langues officielles au Luxembourg; il faut donc que le CECR ne soit pas inscrit dans la loi comme base des programmes luxembourgeois
- l’enseignement de la culture générale et de la littérature doit garder une place importante aussi bien à l’ES qu’à l’EST
- en matière d’organisation et d’évaluation du lycée une « gestion par objectifs » est refusée parce qu’elle n’est pas appropriée dans le cadre de l’enseignement
- la mise en concurrence des lycées produira des effets pervers
- il y a incompatibilité entre les visées généralistes et idéalistes de l’école publique d’une part et les méthodes de gestion issues du monde économique d’autre part
- il faut refuser la mise en place d’une Agence de qualité et des Cellules de développement scolaire
- il faut refuser l’explosion de la dimension administrative et bureaucratique de l’école et la hiérarchisation artificielle entre les gestionnaires-experts-penseurs et les enseignantsexécutants
- l’évaluation externe des acquis scolaires des lycées n’est pas appropriée pour mesurer la qualité de l’enseignement
- l’école publique doit rester une instance d’évaluation et de certification, reconnue pour sa qualité, fiabilité et neutralité
- il faut refuser une instance extérieure qui juge selon des schémas prédéfinis, poursuivant des visées diamétralement opposées aux idées humanistes et aux ambitions généralistes de l’école publique
Le désaveu des stratégies OCDE est donc total: sont refusés le système des compétences, la réduction de l’enseignement à ce qui est économiquement exploitable, la réduction de l’élève à un simple futur agent économique ou salarié précarisé, la transformation de l’éducation en un marché libre où tout le monde est le concurrent et l’ennemi de tout le monde, dans une lutte pour la survie sans merci, l’organisation des écoles en entreprises hiérarchisées despotiques, la tentative de subversion du service public par des agences de notation extérieures et privées, finalement la disparition du service et l’éducation nationale qui s’ajoute au tableau de chasse déjà riche de la privatisation depuis le début des années 1980. Sont au contraire affirmées les valeurs humaines et un enseignement humaniste qui ne fait pas que produire des exécutants pour l’économie privée, mais donne une vraie éducation aux jeunes, qui doivent devenir autonomes et sortir des années passées à l’école comme citoyens libres et responsables, outillés pour trouver un sens et le bonheur dans la vie. Ces buts ont été formulés il y a 2.500 ans dans la Grèce antique, au début de ce qui est devenu notre modèle de civilisation européenne et notre démocratie européenne actuelle. Ce n’est pas le moment – et n’en déplaise aux oligarques de l’économie et au pouvoir politique qui a des difficultés à trouver une voix autonome – à s’en moquer, à dire que ces idéaux sont dépassés et que de toute façon, vu la crise matérielle que nous vivons (engendrée par qui ?) actuellement, paradoxalement depuis la fin de la guerre froide … nous ne pouvons plus nous payer le luxe de rêver à ces vieux idéaux qui ont simplement été les idéaux de la bourgeoisie montante au 19e siècle, et que rien ne justifierait plus au début du 21e siècle. – Face à cela il faut simplement dire que les idéaux « éternels », mais bafoués pendant de longs siècles, ont été formulés par les « Lumières » et ont mené à 1789 – à savoir donc les « valeurs républicaines» et les libertés fondamentales que la nouvelle ONU et ce qui est devenu l’UE ont réaffirmés après 1945.
En matière de service public les pays européens ont cédé depuis 30 ans. On a privatisé transports, énergie, services postaux, télécommunications etc. soi-disant pour comprimer les dépenses de l’Etat, mais en réalité pour permettre de nouveaux profits aux entrepreneurs alors que la qualité des services a diminué et que les tarifs ont explosé. Certains services restent cependant par définition déficitaires (la santé, l’enseignement) et tout Etat qui se veut ‘moderne’ (au sens fort de ce terme: les Temps Modernes par opposition au Moyen Age) devrait garantir à tout citoyen l’accès à ces services, qui doivent donc rester publics, de bonne qualité, de préférence gratuits, ou du moins abordables. Et pourtant l’enseignement public gratuit, aux Etats-Unis, en Angleterre, en France, en Belgique et maintenant au Luxembourg a subi une perte de niveau si vertigineuse qu’à un certain moment les parents ont été prêts à dépenser des sommes consistantes, voire exorbitantes pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées – qui deviennent ainsi un nouveau « marché » - qui seules garantissent dorénavant des diplômes de poids et un avenir assuré; alors que les diplômes des écoles et universités d’Etat ne valent plus rien et ne mènent à rien. Le monopole des diplômes d’Etat est balayé. Dans ces écoles privées qui délivrent des diplômes de poids les droits d’inscription sont hors de portée du commun des mortels: tout le monde n’a pas les 100.000 francs suisses annuels nécessaires pour inscrire son enfant au Collège Alpin International Beau Soleil et la presque-totalité des citoyens même au Grand-Duché, pays le plus riche au monde, se contentera ainsi d’inscrire ses enfants à l’enseignement public gratuit, avec les risques – voire l’absence de résultat - que cela comporte.
Et en matière d’éducation le Luxembourg a si bien réformé et progressé qu’actuellement nous sommes de nouveau arrivés avant 1789 et à l’époque de l’Ancien Régime. La croissance économique – depuis Calvin tel que le voit Max Weber – a certes dépassé l’imagination, et les besoins artificiels que nous a inculqués le consumérisme néolibéral à l’américaine ont certes de loin dépassé les besoins réels (alors que la nature est détruite et les ressources sont épuisées), mais au niveau de la civilisation, de la socialisation pacifique du genre humain et en matière de progrès éthique et politique nous n’avons plus avancé d’un millimètre depuis 1973, alors que les années 1945-1973 avaient pourtant été prometteuses. A la relecture des ‘Origines du totalitarisme’ de Hannah Arendt (1951) nous pouvons nous rendre compte que l’ »après 2008 » pourrait rapidement ressembler à l’ »après 1929 », sauf que le totalitarisme est économique. Mais la ‘désolation’ existentielle (‘Verlassenheit’ en allemand) est la même. Au lieu de « réformer » notre enseignement pour que dans le futur il ne fournisse que des robots pour l’économie continuons à former des humains complets et autonomes, des citoyens libres, critiques et responsables. C’est le ministre de l’éducation Fischbach qui a le premier – il y a bientôt 25 ans – proclamé qu’en matière d’éducation le Luxembourg doit s’aligner sur l’Union Européenne – en fait: écouter l’OCDE. Ce fut le début de la fin de la qualité de l’enseignement luxembourgeois qui entra dès lors en chute libre, et en l’année 2013 il ne reste rien de ce qui fut encore la valeur d’un diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois dans les années 1960 et 1970. A la fin nous sommes donc amenés à faire le choix fondamental entre l’une ou l’autre des alternatives suivantes :
L’économie au service de l’humanité, ou les humains au service de l’économie? Travailler pour vivre ou vivre pour travailler? Voire vivre pour se faire exploiter et rendre les riches plus riches encore, pendant que la classe moyenne disparaît au niveau européen et mondial, et que les pauvres deviennent plus pauvres encore? La question se pose depuis la crise de 2008 et en fait depuis les années Thatcher et Reagan, sans oublier 1989 - le début de la fin du bloc soviétique - ou 1995, où l’ancien GATT devient OMC/WTO. “L’être humain mesure de toutes choses” - depuis la Rennaissance “humaniste” au 16e siècle et bien plus encore depuis les “Lumières” et la “Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen” au 18e siècle - semble céder le pas à une nouvelle religion révélée à certains: la préséance de l’économie sur tout, d’où cet “économisme” “néolibéral” qui nous inquiète.
Depuis la fin du Moyen Age - où les décisions concernant tout le monde étaient encore prises par une élite autoproclamée à laquelle Dieu en personne avait révélé sa volonté - s’était mis en place un processus de sécularisation, d’émancipation, d’autodétermination qui a mené l’Occident de l’”autonomie du sujet” chez Descartes en 1637 et de la “théorie du contrat”, de la politique faite “au nom du peuple”, de la soumission du pouvoir spirituel et religieux au pouvoir politique et de la “république” chez Hobbes en 1651, à la “démocratie” dans le contexte de la lutte pour le suffrage universel autour de 1900, où il s’agissait d’abolir le vote censitaire d’une part et d’étendre le droit de vote aux femmes d’autre part. Mais sommes-nous encore en démocratie aujourd’hui?
Le “peuple” – en démocratie représentative et électorale – ne décide plus de grand chose notamment en économie, où l’Ancien Régime féodal et théocratique du Moyen Age semble restauré sous forme d’oligarchies (la nouvelle noblesse d’argent) et sous forme de ‘marché(s)’ (le nouveau Dieu transcendant, omniscient, toutpuissant et impénétrable du 21e siècle). Ce sont “les marchés” qui décident de tout et non plus les citoyens, pendant que la grande majorité du genre humain, précarisée, en appelle à plus de protection, à plus d’Etat, donc à davantage d’humanité, à davantage d’humanisme, toujours ou de nouveau au nom de Marx, ou bien encore – en Amérique latine – au nom du Christ, voire au nom de Keynes, devenu la version “politiquement correcte” du marxisme à l’heure de la mondialisation à l’américaine.
Il faudra donc un nouveau mouvement de Renaissance, de sécularisation, d’émancipation et de démocratie, le « pouvoir latéral » et la « communication horizontale » de la « troisième révolution industrielle » de Rifkin pour nous sortir d’un nouveau Moyen Age dans lequel nous a plongé une bien regrettable nouvelle religion économique. L’économisme néolibéral – qui, et n’en déplaise à Adam Smith, n’a rien de “naturel” – système inégalitaire et générateur de violence mis en place par une toute petite minorité de puissants, n’a rien de “divin”, et rien d”’humain” non plus.
Citons une fois de plus, pour terminer, Jeremy Rifkin, qui dit dans son livre « La fin du travail » (« The End of Work ») dès 1995 (pp.313-315) :
« De même que disparaît le besoin de travail humain, le rôle de l’Etat s’épuise. Des entreprises d’envergure planétaire commencent à éclipser et à s’accaparer le pouvoir des nations. Elles usurpent de plus en plus le rôle traditionnel de l’Etat et exercent aujourd’hui un contrôle sans précédent sur les ressources, les réservoirs de main d’oeuvre et les marchés de la planète. Les plus grandes entreprises mondiales disposent d’actifs dépassant le PNB de bien de pays. ( …) L’Etatnation, avec son assise matérielle et géographique, est bien trop lent pour agir ou réagir au rythme accéléré du marché mondial. (…) La mutation des relations entre l’Etat et l’économie est de plus en plus patente avec l’émergence des nouveaux accords commerciaux internationaux qui soustraient de plus en plus de pouvoir politique aux nations au profit des entreprises transnationales. (…) Le rôle géopolitique de l’Etat-nation s’efface, de même que son rôle d’employeur de la dernière chance. »
Ce dont « Florange » a été une récente illustration. Nous avons donc compris que le gouvernement luxembourgeois, dans ses « réformes » de l’enseignement soit récentes, soit imminentes (mais il faut les empêcher) ne fait qu’étendre au Luxembourg que ce que l’OCDE a déjà réussi à faire mettre en place ailleurs. Mais nous avons compris aussi que la voix de l’OCDE – sous des apparences trompeuses – n’est pas celle de l’autonomie du citoyen, de la qualité de vie, du progrès de l’indice de développement humain, des droits inaliénables, des libertés fondamentales, des Droits de l’Homme, de la démocratie véritable.
Il faudrait aussi que le pouvoir en place au Luxembourg réapprenne à gérer le pays pour le bien non seulement des seuls électeurs, mais pour le bien de l’ensemble des résidents, ce qui n’est pas le cas actuellement; l’enseignement public luxembourgeois, depuis des décennies, l’illustre ou le prouve de manière évidente. La loi de 2008 a certes marqué un début de changement d’attitude, mais timide et ambigu seulement.
Le grand problème de l’enseignement luxembourgeois n’est ainsi pas celui que veut nous vendre le MENFP, et les solutions du catalogue OCDE ne sont pas les bonnes.
-
épilogue: culture générale vs apprentissage de compétences fonctionnelles
-
Le concept de « compétences »
Depuis qu’il est utilisé de façon quasiment ubiquitaire dans le domaine de l’enseignement, le concept de « compétence(s) » prête à toutes sortes d’impostures intellectuelles et à la mise sur pied de pseudologies parfois hilarantes. Les chantres de cette soi-disant nouvelle approche dont les avantages seraient légion et qui serait la via regia vers une école plus performante et plus juste ne cessent de mettre en relief l’atout principal d’un enseignement par compétences: Ce serait, selon ces chantres, la scientificité qui découlerait des grilles descriptives pour toutes les situations didactiques et pédagogiques. Qu’on ne se comprenne pas de travers: déjà avant toute empirie en classe, ces grilles décrivent de façon a priori tous les résultats, tous les savoirs et savoir-faire des élèves dans toutes les situations imaginables. D’aucuns diraient qu’un tel concept tient de la magie, car nul enseignant n’est en mesure de prédire avec une telle précision chirurgicale le développement de ses élèves au centimètre respectivement à la grille près.
Une telle méthode idéaliste ou plutôt spéculative et a priorique – qui relève donc du domaine de l’idéologie détachée de toute réalité empirique - est une chimère qui en pratique se heurte à mille obstacles situés à différents niveaux. L’enseignant contraint de quantifier chacun des pas de chacun de ses élèves voit sa tâche reléguée à un chronométrage didactique. Cette obsession évaluative, ironiquement qualifiée d’ « évaluationite », fait que l’enseignant doit retracer et « évaluer », et donc justifier dans un climat de soupçon général et permanent chacun de ces propres gestes et tous les progrès des élèves dans des intervalles très petits. Cela est synonyme d’un morcellement des cours et des situations d’apprentissage, dans la droite ligne du taylorisme déshumanisant des années 1920. Par peur de manquer à sa tâche, l’enseignant est malgré lui contraint – par manque de temps également - de ne plus veiller à ce que les élèves fassent des progrès pour s’adonner à l’étude de descripteurs factices et stériles.
Cette façon de procéder rappelle le lit de Procruste, beaucoup trop grand pour les personnes de petite taille, trop petit et suffoquant pour les grands. En effet, les élèves et les enseignants se voient plongés dans un flou total quant à la description de savoirs préétablis dans des dossiers comptant parfois trente pages et plus.
La plupart des parents d’élèves et les élèves eux-mêmes attendent qu’on les renseigne sur le niveau réellement acquis de façon synoptique, au moyen d’une note chiffrée, à la limite augmentée d’un complément au bulletin comme cela est le cas dans les classes du cycle inférieur ES et EST.
-
Culture générale et compétences fonctionnelles
Le mot « école » vient du grec « scholé » signifiant avant tout « loisir, repos, occupation studieuse, étude ». N’en déplaise aux adeptes du néolibéralisme et des concepts savants alambiqués mis en avant par l’OCDE: l’école n’est pas une forge servant à livrer une maind’oeuvre munie d’un minimum de savoirs et d’un maximum de compétences fonctionnelles, bien au contraire. Les élèves ont droit à un enseignement qui les rende capables de déchiffrer le monde qui les entoure. Cette approche utilitariste de l’école va à l’encontre des concepts dits « classiques » visant à développer tous les talents de l’élève :
« Die Bildungsidee der Goethezeit erwuchs […] aus dem Protest gegen den Utilitarismus des Vernunftzeitalters. Durchaus im Sinne Rousseaus galten ihren Anhängern nicht Fortschritte in der materiellen Kultur als höchstes Ziel, sondern die Humanität, ein sowohl sittliches als auch ästhetisches Ideal menschlicher Vollkommenheit, und entsprechend sollte es für den Einzelnen nicht so sehr auf berufliche Tüchtigkeit und ökonomische Erfolge ankommen wie auf eine ganzheitliche Entwicklung zu sich selbst, d. h. auf die Entfaltung der in ihm ruhenden Anlagen und Kräfte.
Fuhrmann, Manfred: Bildung. Europas kulturelle Identität.
Reclam-Verlag. Stuttgart 2002, p. 49/50
Ces quelques lignes montrent que le conflit qui fait l’objet de ce chapitre est vieux comme le lycée et que les lignes de démarcation de ce conflit sont plus ou moins restées les mêmes. Dans ce contexte il y a lieu de souligner l’importance d’un enseignement d’histoire et des sciences humaines en général si le mot même de « culture générale » ne doit pas tourner à la farce :
« Die Geisteswissenschaften haben nach wie vor die Aufgabe, zwischen Vergangenheit und Gegenwart, zwischen der Überlieferung und je neuen Gegebenheiten zu vermitteln. […] Solange wir die Vergangenheit nicht kennen, werden wir nolens volens von ihr beherrscht.“ idid., p. 88. La dernière phrase est elle-même une citation de A. Morkel: Die Universität muss sich wehren, Darmstadt 2000, p. 152
Adrien Barrot formule parfaitement à quel point l’enseignement dit de « compétences fonctionnelles » finit par devenir un simple contenant sans contenu aucun :
« Les professeurs d’histoire ont appris et savent de l’histoire, […] il en
va ainsi dans toutes les disciplines. Eh bien, ce scandale doit cesser, et il
cessera. Demain, aujourd’hui hélas pour ceux qui sont déjà victimes de
la rééducation nationale (sic), les professionnels de l’enseignement ne
sauront rien, mais ils sauront l’enseigner, et leurs élèves n’apprendront
rien, mais ils l’auront appris. Et ce sera formidable, car tous les clignotants
seront au vert, et ce sera le meilleur des mondes. »
Barrot, Adrien: L’enseignement mis à mort. Essai.
Librio. (2000), p. 73
Discuter l’enseignement de la culture générale est un exercice très stérile si l’on ne s’est pas donné un objectif, un « télos » auquel devra aboutir toute sorte d’enseignement digne de ce nom. A côté de l’autonomie – terme banalisé et surdéterminé de nos jours et dépouillé de toute clarté sémantique – il serait plus opportun de parler de ‘maturité’ et de ‘responsabilité’ qui implique à son tour que l’élève devra assumer les conséquences de ses actes.
„Man kann vielleicht das Problem der Unmündigkeit heute noch unter einem anderen Aspekt sehen, der vielleicht gar nicht so bekannt ist. Man sagt im allgemeinen, dass die Gesellschaft, nach dem Wort von Riesman, „von außen her gesteuert“, das sie heteronom sei, und man unterstellt dabei einfach, dass die Menschen mehr oder minder widerstandlos schlucken, was das überwältigende Seiende ihnen vor Augen stellt und außerdem ihnen noch einbleut, als ob, was nun einmal ist, so sein müsste.
Theodor W. Adorno, „Erziehung zur Mündigkeit“, Vorträge und Gespräche(1971) isbn 978-3518365113 „Bildung hat einen zweifachen Auftrag: Sie hat Nützliches und Verwendbares zuvermitteln, und sie hat persönliche und kulturelle Identität zu fördern. Beide Zielsetzungen sollen sich die Waage halten. Tun sie aber nicht. Das Gleichgewicht zwischen […] Verwertungsdenken und Bildungsauftrag, zwischen Ökonomie und Kultur, zwischen Zielstrebigkeit und Entschleunigung ist verloren. […] Mit solchen Denkansätzen aber droht eine planwirtschaftliche Verarmung von Bildung: Bildung ist das, was PISA misst, die OECD an sogenannten Akademikerquoten vorgibt und was schnell geht. […] Angesagt sind dementsprechend für das derzeitige Verständnis von Bildung: Marketing, didaktische Hyperlinks, Download-Wissen, Just-in-time- Knowledge usw. Vor allem aber ist Controlling und nochmals Controlling angesagt: TIMSS I, TIMSS II, TIMSS III, PISA 2000, PISA 2003, PISA 2006, PISA-E 2003, PISA-E 2006; IGLU, VERA usw. […] Gegen Bilanzen ist grundsätzlich nichts einzuwenden. Aber allein vom Puls- und Fiebermessen wird man nicht gesund, außer man ist ein Hypochonder.“
Kraus, Josef: ist Bildung noch zu retten? Eine Streitschrift.
München 2009, p. 161-162
Il faut donc rétablir cet équilibre entre les compétences fonctionnelles et la culture générale - la « BILDUNG » - équilibre parti en fumée sous la « testeritis » et l’idéologie du pragmatisme ?
-
Bibliographie thématique
Audier, Serge: Néo-libéralisme(s) – une archéologie intellectuelle,
628 p. (2012), isbn 978-2246736615
Dubet, François: “Le déclin de l’institution” (2002), 421 p.,
isbn 978.2.02.055163.2. L’”Etat”, la ‘République’, les ‘valeurs républicaines’ liberté, égalité, fraternité, les ‘institutions’ qui y correspondent sont en déclin. Sont concernés: les métiers de l’enseignement (instituteurs, lycée, université ...), mais aussi les métiers médicaux et sociaux, qui accomplissent un “travail sur autrui”. Au lieu de ‘déclin’ on peut aussi parler de décadence ou de crise.
Laval, Christian: “L’école n’est pas une entreprise – Le néo-libéralisme à l’assaut de l’enseignement public”, 345 p., (2003) isbn 978.2.7071.4402.7. - Depuis le début des années 1980 l’OCDE, l’UE, l’OMC ont mis en place des contraintes néolibérales qui transforment l’être humain (et notamment l’élève) en chose et en quantité. Dorénavant société et école sont au service de l’économie de plus en plus mondialisée sur le mode néo-libéral, au lieu que le contraire soit le cas: une économie au service des gens et de la société. Apparaît la notion de ‘capital humain’ dont il s’agit de comprimer le coût. C’est la marchandisation de l’éducation; l’élève, l’étudiant, finalement le salarié deviennent des marchandises, qu’il s’agit d’”évaluer” et donc de déstabiliser et précariser par des techniques managériales.
Del Rey, Angélique: “A l’école de la compétence – De l’éducation à la fabrique de l’élève performant’, (2010), 286 p., isbn 978.2.7071.5938.0. Mise mal à l’aise par des notions “tendance” comme “capital humain”, “socle” ou “compétences” annoncées comme les termes-clé de cette nécessaire réforme en vue d’une école “plus démocratique” Angélique del Rey part à la recherche du sens profond et des origines de cette nouvelle mentalité ou nouvelle pédagogie, et se retrouve ainsi aux Etats-Unis des années 1950 (“competency-based education and training”; en 1952: “International Association for the Evaluation of Educational Achievement”), mais aussi au Québec, au Mexique, en Belgique, en Argentine, dont le dénominateur commun est que ces pays sont tous membre de l’OCDE. “Une tendance mondialisée” est ainsi le titre du premier chapitre. L’OCDE en 1997, la stratégie de Lisbonne en 2000, le projet pour une Constitution Européenne de 2005 mettent en place le “new speak” que depuis peu le gouvernement nous sert aussi au Grand-Duché. – Ainsi l’ancienne “qualification” certifiée par un diplôme national et garanti par l’Etat devient “compétence” et donc “performance” et ainsi “chiffre d’affaires”, “productivité” ou “rentabilité”, qui peut être « évaluée » et « réévaluée » à tout moment selon les humeurs et besoin du patron et de l’entreprise. C’est la privatisation de l’éducation nationale et la lente érosion du service public. C’est l’entrée des organismes privés de notation de type Moody’s, Standard & Poor ou Fitch dans l’enseignement public. C’est la marchandisation de l’éducation et de l’individu. “Compétence” et “enseignement par compétences” veulent surtout dire le contraire de ce que cela semble vouloir dire à première vue. « Enseignement par compétences” veut donc dire réduction des potentialités de l’élève et de la personne humaine aux seules ressources exploitables par une entreprise privée, en vue de produire du bénéfice, qui ne sera cependant pas “socialisé”. Après 1989 le “progrès” de tous est devenu simple “croissance” au profit de certains.
Bruno, Isabelle; Clément, Pierre; Laval, Christian: “La grande mutation – néolibéralisme et éducation en Europe” (2010), 135 p., isbn 978-2-84950-269-3, Le “back to basics” en éducation que l’on a entendu au Luxembourg depuis 2000 n’est qu’un vieux slogan des milieux républicains aux Etats-Unis qui remonte au lendemain de la 2e guerre mondiale. Ce petit livre regorge d’informations intéressantes sur les « modernisations » récentes dans les pays OCDE, notamment en France, et qui ne sont qu’autant de régressions au capitalisme industriel des années 1920, époque du taylorisme et du fordisme, ou 1950, au lendemain du plan Marshall, du GATT et de Bretton Woods: à s
avoir l’impact des politiques de concurrence et de dérégulation notamment européennes sur les destins des enseignements nationaux, et notamment les catastrophes engendrées depuis 2007 dans l’éducation en France par les “réformes” du président Sarkozy.
Généreux, Jacques: “A la recherche du progrès humain” (trois volumes, 2006, 2009, 2010): d’abord un tableau de la société du moment, puis l’esquisse de la société de demain si nous voulons éviter la catastrophe sous ses différentes formes: mondialisation du modèle économique néolibéral, disparition de l’Etat, épuisement des ressources et suicide écologique. – C’est le premier volume, 600 p., isbn 978.2.7578.2289.0, de 2006, qui a comme titre “La dissociété”, qui touche de plus près au deuxième volet de la “réforme” qui nous intéresse actuellement: la réforme du service public et du statut du fonctionnaire au Luxembourg. L’idée essentielle – en termes de Hobbes - consiste à constater une rechute à partir de la civilisation et de l’état de société vers l’état de nature et homo homini lupus en raison de la société qui devient “dissociété”: une grande masse informe d’individus atomisés et isolés, plus ou moins perdus et finalement dressés agressivement l’un contre l’autre par le modèle économique agressif et prédateur qui s’installe dans tous les rapports humains. Etat et service public – ou la solidarité et la paix - ne pourront plus survivre dans un monde déshumanisé.
Slama, Alain-Gérard Slama: “La société d’indifférence” (2009), 236 p., isbn 978.2.262.03368.2: les valeurs républicaines sont abolies et perverties en leur contraire, la démocratie est minée, l’Etat est subverti, la France est “privatisée” et la politique est instrumentalisée par l’économie. La société française est engagée sur une pente dangereuse et glissante. – Tout cela vaut aussi pour le pays voisin de la France qu’est le Luxembourg.
Bonelli, Laurent; Pelletier, Willy: “L’Etat demantelé – Enquête sur une révolution silencieuse”, (2010), 323 p., isbn 978.2.7071.6019.5,: c’est le roman noir de la privatisation de l’Etat depuis le début des années 1980 ans, du rôle de l’Union Européenne, de l’”impérialisme de la compétence”, et c’est aussi la chronique des événements (français) peu réjouissants à France Télécom, à la Poste, à l’ancienne ANPE, à la culture, à la défense, à la police nationale, à l’hôpital, à la justice, à l’Université, à l’Education Nationale. Au fil des pages nous retrouvons de si nombreux cadeaux empoisonnés, à savoir les actuelles “réformes” au Grand-Duché dont le gouvernement qui restera en place jusqu’aux élections de juin 2014 voudrait nous gratifier depuis 2011 et toujours en 2013.
OCDE: Comment apprend-on ? La recherche au service de la pratique. (2010) isbn 978-9264086937
OCDE: Resserrer les liens avec les migrants. Panorama des compétences des migrants (2013), isbn 978-9264178052
OCDE: Michel, Jean-François; Chalvin, Marie-Joseph: Les 7 profils d’apprentissage, (2005) isbn 978-2708134232
Brunel, Valérie: Les managers de l’âme: le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique de pouvoir ? (2008), isbn 978-2707156235
de Gaulejac, Vincent: La société malade de la gestion, (2009) isbn 978-2757813256
Dejours, Christophe: L’évaluation du travail à l’épreuve du réel: des critique du fondement de l’évaluation, (2003) isbn 978-738011084
Dejours, Christophe, Bégue, Florence: Suicide et travail: que faire ? (2009) isbn 978-2130576488
Dejours, Christophe: Souffrance en France: la banalisation de l’injustice sociale, (2009) isbn 978-2557812624
Pezé, Marie: Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés –La souffrance au travail, (2010), isbn 978-2081231665
Pezé, Marie; Saada, Rachel; Sandret, Nicole: Travailler à armes égales, (2011), isbn 978-2744064289
Le Goff, Jean-Pierre: La barbarie douce: la modernisation aveugle des entreprises et de l’école (2003), isbn 978-2707140616
Le Goff, Jean-Pierre: La démocratie post-totalitaire, (2003) isbn 978-2707142528
Reboul, Olivier: La philosophie de l’éducation, (2010) isbn 978-2130580874
Steiwer, Jacques: De la démocratie en Europe, (2008) isbn 978-2296053359
Pena-Ruiz, Henri: Qu’est-ce que l’école ? (2005) isbn 978-2070318803
Dubet, François: L’école des chances: qu’est-ce qu’une école juste ? (2004), isbn 978-2020685795
Gauchet, Marcel; Blais, Marie-Claude; Ottavi, Dominique: Conditions de l’éducation, (2010) isbn 978-2818500040
Felouzis, Georges; Charmillot, Samuel: Les enquêtes PISA, (2010) isbn 978-2130594574
Felouzis, Georges; Liot, Françoise; Perroton, Joëlle: L’apartheid scolaire, (2007), isbn 978-2557805244
Mons, Nathalie: Les nouvelles politiques éducatives: La France fait-elle les bons choix ? – La montée du néo-libéralisme éducatif, (2007), isbn 978-2130562030
John Wecker