CDS et PDS, contrôle-qualité, profil du lycée et autres abominations (Journal 1/2013) Guy Foetz

23.05.2013

CDS et PDS, contrôle-qualité, profil du lycée et autres abominations



La Délégation nationale des enseignants des lycées et lycées techniques (DNL) a récemment organisé une vaste enquête pour connaître l’opinion de leurs collègues au sujet de la réforme du lycée prévue par le MENFP.
28 lycées sur 31 ont répondu. Parmi les questions posées il y a celles qui portent sur la future organisation des lycées prévue par le MENFP dans sa « Proposition de texte d’une loi sur l’enseignement secondaire ». Le résultat est parlant: 71% des lycées s’expriment contre le profil du lycée, 86% contre les Cellules de développement scolaire et l’Agence de qualité et 89% contre l’évaluation externe des acquis scolaires.Or, tous ces éléments constituent la transposition à l’enseignement, des principes de gestion par objectifs et d’évaluation qui figurent dans le projet réforme de la Fonction publique. Ils se concrétisent dans les articles 56, 57 et 58 de la « Proposition de texte d’une loi sur l’enseignement secondaire » du MENFP.


Les visées des articles 56, 57 et 58 de la proposition de réforme du lycée



D’après l’argumentaire de la proposition de réforme du lycée, dont la remise à plat a été décidée en mars 2012, « la qualité scolaire est définie par un cadre de référence national et s’exprime par un ensemble de dimensions, de descripteurs et d’indicateurs ». A l’intérieur de ce cadre, les différents lycées et lycées techniques sont appelés à « rechercher l‘efficacité et l‘optimisation de leurs structures organisationnelles » et à « fixer de manière autonome des objectifs qu‘ils entendent réaliser ». Chaque lycée « ... concevra son profil ... et définira, tous les trois ans, un plan de développement scolaire, avec des objectifs précis. Une cellule de développement scolaire regroupera, autour de la direction, les enseignants plus directement impliqués dans le pilotage du lycée ». Dans cette optique, « le profil du lycée et le développement scolaire constituent le cadre auquel s’inscrit la démarche autonome de la communauté scolaire d’un lycée ... ». Une « Agence de qualité » externe est appelée à fournir un accompagnement méthodologique et scientifique.
Enfin l’argumentaire précise que « l’autonomie ... doit aller de pair avec une évaluation externe régulière qui met en relation les performances scolaires et les facteurs sociaux. La collecte de données est indispensable si l’on veut que la démarche de l’école se fonde davantage sur des faits étayés.»

Face à ces visées se posent deux questions essentielles.

Peut-on combattre les inégalités via une gestion par objectifs ?



L’école doit évidemment mettre en oeuvre tout ce qui est possible pour combattre les inégalités sociales. Il faut s’engager pour améliorer la qualité scolaire, offrir un enseignement adapté, tirer vers le haut les élèves et avoir des contacts réguliers avec les parents.

L’argumentaire ci-dessus vise une « gestion par objectifs » orientée vers les résultats (output) et non plus une gestion basée sur les moyens à mettre à disposition (input). Le texte des articles 56 et 57 de la proposition se trouve en rupture avec les méthodes de gestion traditionnelles des services publics et il épouse celles utilisées dans les entreprises privées.. Or, un lycée (et l’enseignement en général) n’est ni une entreprise, ni une administration à proprement parler et à ce titre, la pédagogie et l’instruction ne peuvent être appréciées à travers des règles issues de la gestion des affaires. L’ application des tels préceptes – même à leur plus simple expression - est même
nuisible à l’enseignement du fait qu’ils détournent l’attention des enseignants et qu’ils mènent à une bureaucratisation injustifiée qui n’apporte rien aux élèves.

Si les répondants aux questionnaires de la DNL (taux de retour de 95 %) sont unanimes pour rejeter l’introduction de la gestion par objectifs dans l’enseignement, ils savent bien qu’une bonne formation des élèves est avant tout tributaire des visées de l’école publique et des moyens mis à sa disposition, dont en premier lieu la présence d’enseignants qualifiés.

L’autonomie améliore-t-elle la qualité scolaire ?



La proposition de texte veut étendre le champ d’autonomie des lycées et lycées techniques tout en reliant autonomie et qualité scolaire: « Les études internationales témoignent: dans les systèmes éducatifs performants et équitables, les établissements disposent d’une large autonomie. » (Argumentaire p. 28). Or une telle relation de cause à effet n’a pu être établie jusqu’à présent de manière scientifique.
Il s’agit là de pures allégations idéologiques. Sans vouloir rejeter l’autonomie, il faudra analyser notamment – avant de l’étendre

  1. si la part d’autonomie accordée par la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques a effectivement été mise en oeuvre avec succès et quelles en ont été les répercussions positives
    et négatives;
  2. si le modèle d’« extension de l’autonomie » que le ME NFP projette de mettre en oeuvre apporte effectivement un degré de liberté plus élevé aux lycées et lycées techniques;
  3. si ce degré de liberté supplémentaire profite à l’ensemble du système.


  1. Une prétendue autonomie contredite par la réalité



    D’une part, l’autonomie financière partielle des lycées et lycées techniques inscrite dans la loi de 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques se révèle dans la pratique comme un miroir aux alouettes. Si le ministre des Finances demande que chaque établissement dépense 75 % des crédits alloués au cours d’une année budgétaire, ceci met évidemment en échec toute tentative de gestion financière plus indépendante des lycées et lycées techniques.

    D’autre part, l’autonomie dont disposent actuellement nos lycées et lycées techniques sert souvent de prétexte au ME NFP pour fuir ses responsabilités et pour faire porter le chapeau pour des activités non financées, aux établissements. L’ exemple typique est celui des voyages scolaires que la ministre de l’Education nationale préconise et que les lycées doivent financer par leurs propres moyens – très limités.


  2. L’autonomie proposée par le MENFP- un carcan de contrôle administratif



    Le modèle proposé par le ME N se révèle être un carcan administratif étroit, dans lequel les lycées et lycées techniques seraient enfermés.

    Au-delà de la logique néfaste de la gestion par objectifs déjà commentée précédemment, les représentations élues prévues par la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques seraient court-circuitées.

    C’est bien la cellule de développement scolaire (CDS), constituée du directeur et des « enseignants plus directement impliqués dans le pilotage du lycée », qui, accompagnée par l’Agence pour le développement de la qualité de l’enseignement dans les écoles (ADQ), devrait élaborer les objectifs du plan de développement scolaire (PDS) et les soumettre pour évaluation à l’ADQ. Un représentant du Comité des professeurs dans la CDS n’y ferait certainement pas le poids et il est peu probable que la Conférence du lycée ou le Conseil d’éducation fasse couler le PDS, élaboré par la CDS.

    Il faut comprendre aussi que le PDS et l’exécution de ses objectifs constitueraient des bases d’évaluation de l’établissement et de ses enseignants et que la participation à la CDS formerait un élément de carrière et donc de convoitise. Qui - au-delà des carriéristes calculateurs - sortirait gagnant de cet embroglio? Certainement pas l’enseignant qui voudrait se concentrer sur ses cours et ses élèves !

    Ce que le modèle du ME NFP néglige, c’est l’élément central de l’enseignement, c’est-à-dire l’acte d’enseigner lui-même. Or, c’est bien là – et nulle part ailleurs - qu’on pourraIt juger de l’amélioration de la qualité !

    L’expérience négative des institutrices et instituteurs de l’enseignement fondamental avec le plan de réussite scolaire, inscrit en 2009 dans la loi sur l’enseignement fondamental est parlante.

    Ce plan, qui est l’équivalent au fondamental, du PDS des lycées et lycées techniques vise lui aussi l’amélioration de la qualité de l’enseignement.

    Les enseignants du fondamental dénoncent notamment que l’élaboration et l’évaluation des PRS imposent aux comités d’école constitue un travail bureaucratique d’envergure, qui va souvent au détriment de la réalisation des activités avec les élèves.

    Un autre élément fatal de la proposition du ME NFP est l’évaluation des lycées par un organisme externe. Or il faut souligner que la qualité scolaire et les efforts entrepris pour l’améliorer doivent être évalués par les partenaires du terrain et qu’il ne peut s’agir de faire intervenir un organisme externe, qu’il s’agisse de l’Agence pour le développement de la qualité scolaire ou d’un autre organisme. La divulgation des données confidentielles internes conduira en effet tôt ou tard à un ranking des écoles et de là au tourisme scolaire.

  3. Profil du lycée – attention danger !



    La possibilité pour chaque lycée de se donner un profil particulier doit être considérée avec précaution. Les différents établissements doivent garantir aux élèves des savoirs et savoir-faire équivalents au niveau national. Les élèves doivent pouvoir poursuivre une carrière scolaire correspondant à leurs capacités et la fréquentation de tel ou tel lycée ou lycée technique ne doit en aucun cas hypothéquer leur progression scolaire ultérieure.




Concluons :



  • la part d’autonomie accordée par la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques n’a pas été mise en oeuvre correctement; notamment la faible autonomie financière qui existe est bafouée;
  • le modèle d’« extension de l’autonomie » que le ME NFP projette de mettre en oeuvre constitue en réalité une camisole de force inspirée des idées promues par l’OCDE, et cela tant pour les lycées que pour les enseignants et les élèves;
  • le profil du lycée est problématique, puisqu’il risque de miner le caractère unitaire de l’enseignement et des diplômes ainsi que l’égalité des chances des élèves suivant le lycée qu’ils fréquentent.


Nous pensons que dans leur quête d’une meilleure qualité scolaire, les lycées devraient être libres de s’organiser à leur guise tout en promouvant la coopération démocratique. Dans leur livre bien connu « Schule leiten und gestalten »au sujet des, W. Fischer et M Schratz soulignent que d’un point de vue pédagogique, ce sont surtout « die kollegiale Zusammenarbeit, ein stimmiges soziales Regelsystem, die Transparenz der Leistungsanforderungen, die Berechenbarkeit der Organisationsabläufe, die Mitgestaltung durch Eltern und Schüler, sowie die Freiheit und die Autonomie der Lehrer » qui permettent de promouvoir la qualité scolaire. C’est juste le contraire de ce que la proposition de texte sous revue envisage.

Pour l’instant, avec la loi de 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques, les directions peuvent « gouverner » à leur guise en recourant à des cercles d’initiés ni mandatés, ni contrôlés par la communauté enseignante. C’est cela qu’il faut combattre en inscrivant dans le futur texte de réforme du lycée le renforcement des structures démocratiques, l’information et la participation régulière des partenaires scolaires à la prise de décisions et notamment des droits de participation et de représentation réels pour le comité des professeurs.

Guy Foetz