Déduction fiscale des frais d’ordinateur – le ministre campe sur ses positions

11.11.2010

Les antécédants

Depuis l’année fiscale 2006, l’Administration des contributions directes refuse de déduire les frais en relation avec l’ordinateur personnel comme frais d’obtention du revenu net des enseignant-e-s.

Une circulaire dans ce sens a été adressée à tous les bureaux d’imposition par le directeur des contributions directes.

Suivant l’argumentation de l’administration fiscale, l’ordinateur serait aujourd’hui un bien commun et les dépenses en question seraient effectuées dans l’intérêt du ménage du contribuable et pour l’entretien des membres de sa famille. Une déduction à titre de frais professionnels ne serait pas admissible puisqu’on ne pourrait différencier objectivement entre l’usage professionnel et l’usage privé.

Un recours contre cette pratique administrative a été introduit en date du 4 juin 2009 devant le Tribunal administratif et celui-ci a donné raison sur toute la ligne au réclamant (numéro 24908 du rôle). L’Etat luxembourgeois a fait appel, mais la Cour administrative a confirmé le premier jugement dans son audience du 11 février 2010 (numéro 25877C du rôle).

Malgré ce jugement en appel coulé en force de chose jugée, qui aura valeur de jurisprudence dans des affaires ultérieures similaires, le directeur des contributions directes continue d’adresser des lettres-type aux enseignant-e-s concemé-e-s faisant valoir que «l’achat d’un ordinateur et des accessoires constitue une dépense privée non déductihle au sens de l’article 2 de la loi de l’impôt sur le revenu», .les forçant ainsi à déposer un recours devant le tribunal administratif, s’ils veulent entrer dans leur droit.

Question parlementaire

Devant cet entêtement, le député André Hoffmann avait adressé en date du 31 mai 2010 une missive parlementaire au ministre des Finances soulevant les questions suivantes:

  • - Monsieur le Ministre estime-t-il que la direction des contributions directes peut ignorer les jugements du Tribunal administratif et de la Cour administrative?
  • Est-il admissible que les contribuables soient forcé-e-s à déposer à leurs frais des recours devant le Tribunal administratif pour voir respecter des droits reconnus par des jugements, et que les juridictions administratives soient encombrées par des affaires identiques à celles déjà jugées auparavant ?
  • Monsieur le Ministre voudrait-il instruire ses services à revenir sur les décisions de 2007 dans la matière et à accepter la déduction des frais d’ordinateur comme frais d’obtention pour les enseignant-e-s qui utilisent leur ordinateur exclusivement ou quasi exclusivement à des fins professionnelles?


Nous publions ci-dessous la réponse du ministre, qui montre qu’il campe sur ses positions.

Réponse de Monsieur Luc FRIEDEN, Ministre des Finances, à la question parlementaire no 670 du 31 mai 2010 de Monsieur le Député André Hoffmann

La question parlementaire soulève le problème de la déductibilité des frais d’un ordinateur personnel en tant que frais d’obtention dans la catégorie des revenus d’une occupation salariée et plus précisément de ceux des enseignants.
L’honorable député se réfère à l’arrêt de la Cour administrative du 11 février 2010, no 25877C du rôle, confirmant le jugement du Tribunal administratif du 4 juin 2009, no 24908 du rôle, à travers lequel les frais pour un ordinateur personnel ont été admis à la déduction et qui aurait valeur de jurisprudence. Il en déduit que la pratique administrative actuelle irait à l’encontre de cette jurisprudence de sorte à obliger les contribuables concernés de saisir les tribunaux de recours oiseux.

Il convient tout d’abord de suppléer d’autres extraits de l’arrêt précité dans lesquels la Cour a développé certains principes de base: la reconnaissance de l’utilisation professionnelle de matériel informatique n’a pas lieu, «d’une manière générale, (...) sur base de la simple affirmation du contribuable, mais (...) cette reconnaissance reste conditionnée par l’activité concrète du contribuable, en l’occurrence la nature et les modalités de l’enseignement dispensé, et par la présentation d’éléments précis et concordants qui étayent la nécessité de l’utilisation professionnelle du matériel informatique et l’affectationexclusive, sinon quasi exclusive dudit matériel à ces fins.»

II en découle que tout automatisme dans la déduction des frais en question est exclu.

L’arrêt de la Cour n’a donc pas valeur de jurisprudence dans le sens qu’il établirait le principe de la déduction certaine des frais de matériel informatique dans le chef des enseignants, mais dans le sens qu’il établit les critères d’après lesquels se fait l’analyse de la déductibilité. Dans la mesure où les conditions posées par l’arrêt ne sont pas vérifiées dans le chef du contribuable, la déduction ne pourra être admise.

Ce sont d’ailleurs les tribunaux même qui confirment cette interprétation.

Dans son jugement du 1 mars 2010, no 25656 du rôle, donc postérieurement à l’arrêt de la Cour du 11 février 2010 précité, le Tribunal administratif est arrivé, en application des principes posés par la Cour, à la conclusion de refuser la déduction du matériel informatique dans le chef de la requérante, enseignante, même en présence d’un second ordinateur qu’elle affirmait utiliser pour les besoins privés. «Le tribunal est amené à relever qu’en l’espèce, la demanderesse s’est contentée d’affirmer qu’elle aurait besoin d’un ordinateur pour préparer ses cours et pour communiquer avec le ministère de l’Education nationale, sans donner des explications plus concrètes tant sur la nécessité et l’intérêt de l’utilisation d’un ordinateur privé dans le cadre de son activité professionnelle, que sur la manière de laquelle cet équipement informatique est utilisé à des fins professionnelles.», et le tribunal de conclure: «II s’ensuit que le tribunal n’a pas à sa disposition d’éléments suffisants pour admettre que le matériel informatique litigieux sert exclusivement à des fins professionnelles.» Dans un autre jugement du Tribunal administratif, également postérieur à l’arrêt susvisé, les juges ont refusé la déduction des frais d’un ordinateur personnel dans le contexte global de frais de bureau exposés par un salarié de profession non enseignante (Trib.adm. du 22.02.2010, no 25665 du rôle) et ont retenu que «le demandeur est resté en défaut de lui (i.e. le tribunal) soumettre des éléments suffisants pour mettre en cause la décision directoriale, la seule affirmation, non autrement étayée ou expliquée, que l’utilisation d’un cabinet de travail serait indispensable, au regard des contestations de la partie étatique, étant insuffisante à cet égard.»

Il se dégage de l’arrêt de la Cour du 11 février 2010 et des jugements subséquents que la finalité de la dépense pour matériel informatique ne doit pas être dégagée par une analyse conceptuelle mais par l’appréciation des faits. Les bureaux d’imposition de l’Administration des contributions directes restent donc appelés à examiner la situation de fait du contribuable et ne sauraient accorder le bénéfice de la déduction des frais pour ordinateur à cause du simple fait que le demandeur fait partie du corps enseignant. C’est ainsi que leur mission s’inscrit dans la lignée des dispositions de la loi générale des impôts (99205 alinéa 2, 170 et 171 AD) qui impose au bureau d’imposition le devoir d’instruire, en cas de doutes sur la déclaration d’impôt, et au contribuable celui de collaborer en fournissant toutes les explications nécessaires et de présenter des éléments de preuve précis et concluants.

Les décisions prises par le bureau d’imposition dans le cadre de l’imposition sont matérialisées dans les bulletins d’impôt qui, loin d’être des lettres-types, constituent des décisions exécutoires individuelles et annuelles et sont l’aboutissement de la procédure d’instruction et d’imposition prévues par la loi générale des impôts.

Il ne peut donc être question d’ignorer des jugements et notamment l’arrêt de la Cour administrative du 11 février 2010, no 258770 du rôle mais, bien au contraire, d’appliquer, dans la pratique administrative, les critères de discernement retenus par cet arrêt.

Il n’y a pas non plus lieu de revenir sur les instructions données par le directeur des contributions aux bureaux qui imposent le devoir d’instruire individuellement les dossiers, sans a priori quant à la décision d’acceptation ou de refus des frais exposés pour matériel informatique.


La réponse du ministre et la réalité

Pour le ministre des Finances, tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes:
  • comme les autres citoyens, les enseignant-e-s ne bénéficieraient
    pas automatiquement de la déduction fiscale des frais d’ordinateur; les bureaux d’imposition de l’Administration des contributions directes resteraient appelés à examiner la situation de fait du contribuable suivant les critères de discernement retenus par l’arrêt de la Cour;
  • il appartiendrait aux contribuables de collaborer en fournissant toutes les explications nécessaires et de présenter des éléments de preuve précis et concluants. Or, la réalité ne correspond nullement à cette présentation; elle est même foncièrement différente !
  • La déduction fiscale des frais d’ordinateur des enseignant- e-s est refusée d’emblée, alors qu’elle est d’usage courant pour les membres des professions libérales (avocats, médecins, ... ) ainsi que pour les entrepreneurs individuels; or les enseignant-e-s ont tout aussi bien besoin d’un ordinateur pour exercer leur profession (ce qui par ailleurs n’est pas contesté par l’administration fiscale).
  • Quelles que soient les explications adressées par un-e enseignant-e à l’Administration des contributions directes, celle-ci reste sourde et aveugle aux arguments fournis et refuse systématiquement de prendre en compte comme frais d’obtention l’ordinateur et les charges afférentes lors de l’établissement du bulletin fiscal.
  • Si ledit enseignant veut défendre ses droits, il n’a pas d’autre choix que de s’engager dans une procédure judiciaire dont le coût dépasse largement le montant qu’il peut éventuellement récupérer.


Une telle façon de procéder de l’administration à l’égard des enseignant-e-s constitue d’une part une discrimination par rapport à d’autres professions et d’autre part un abus de pouvoir et une entorse aux droits du contribuable. Nous demandons que les enseignant-e-s soient traité-e-s de la même façon que d’autres catégories professionnelles et que l’Administration des contributions directes suive les arguments de la Cour, dont notamment les suivants:
... explications détaillées, qui sont plausibles et concordantes, tant sur la nécessité et l’intérêt de l’utilisation d’un ordinateur dans le cadre de [l’] activité professionnelle, que sur la manière de laquelle cet équipement informatique est utilisé à des fins professionnelles, ...
... matériel informatique utilisé exclusivement, sinon quasi exclusivement à des fins professionnelles.
… la preuve des déclarations ne peut … être exigée par le bureau d’imposition que dans la limite de ce qui est raisonnable (« soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet
werden kann « ). …
... une charge de preuve négative ... dépasse ce qui peut être considéré comme raisonnable ... .


Nous attendons un comportement raisonnable dans ce sens de la part de l’administration fiscale.

Guy Foetz