La réforme de la formation professionelle et son application sur le terrain - the neverending story (Journal 5/2012) Jules Barthel

Introduction
Deux années après le lancement de la réforme de la Formation professionnelle, les problèmes continuent de s’accumuler. Et les enseignants sur le terrain sont loin d’être les seuls qui le pensent et le disent. Alors que, dans leurs discours officiels, les responsables du MENFP et des chambres professionnelles soutiennent toujours cette réforme bec et ongles et que les directeurs de lycées et autres membres des groupes curriculaires admettent tout au plus qu’il existe un certain nombre de problèmes d’organisation, beaucoup de ces mêmes personnes – off the record bien évidemment – avouent que cette réforme, dans ses grandes lignes, est tout sauf une réussite. Quelle hypocrisie que de continuer à promouvoir une réforme qui risque de nuire à toute une génération d’élèves, victimes de l’étroitesse d’esprit de nos décideurs et de leur peur d’avouer ouvertement qu’ils sont en situation d’échec.

Quel dialogue ?

Le SEW doit malheureusement constater que les responsables de la Formation professionnelle évitent le dialogue avec ceux qui contestent leur politique éducative. Le SEW continuera pourtant de réagir, dans la mesure des informations à sa disposition, contre les méfaits de cette réforme. Il souhaite toujours un dialogue constructif avec les responsables du MENFP, mais pour qu’il puisse avoir lieu, il faut que le partenaire en face y soit également ouvert.
Or cela n’est nullement le cas à l’heure actuelle. En effet, les courriers du SEW concernant certains aspects de la réforme de la formation professionnelle, adressés à Madame la Ministre et datés du 2 juillet 2012 et du 3 septembre 2012, sont restés sans réponse à ce jour. Et pourtant, ces courriers ne faisaient que rappeler aux responsables du MENFP des accords, pensait-on naïvement, trouvés avec eux lors d’une réunion en date du 25 avril 2012 et dont voici quelques passages.

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Le SEW demande instamment à Madame la Ministre et aux responsables de la Formation professionnelle dʼarrêter cette politique des faits accomplis et dʼengager une véritable concertation avec tous les partenaires scolaires concernés par la réforme de la Formation professionnelle. |
Le Lycée Schengen ne veut pas du technicien commercial
Le nouveau régime de la Formation professionnelle, selon les dires du MENFP tellement plus performant que l’ancien régime et préparant tellement mieux nos jeunes à la vie active n’a pourtant pas la cote au lycée transfrontalier de Schengen.
Pour ne pas exposer ce lycée-phare et porte-vitrine de la Ministre aux problèmes qui risquent de se poser,
- l’échec préprogrammé de la nouvelle formation du technicien administratif et commercial,
- la misère organisationnelle,
- la quasi-élimination des élèves fréquentant la formation, de l’accès aux études supérieures,
le Gouvernement a récemment adopté un projet de loi permettant une modification importante de l’accord de 2006 entre le gouvernement luxembourgeois et celui de la Sarre. Dorénavant, le lycée Schengen n’offrira plus à ses élèves la division administrative et commerciale dans la formation du technicien mais bien dans celle du régime technique. Ainsi on fait
subir la plus catastrophique réforme scolaire depuis des lustres aux lycées luxembourgeois, on alors qu’on change expressément les lois pour en dispenser un lycée-phare transfrontalier !


Menuisier ou menuisier-ébéniste – la différence est dans le détail
Une autre particularité – cette fois ci entre établissements scolaires publics et privés
– existe au niveau de la formation du menuisier-(ébéniste).
Alors que l’ancienne formation du menuisier comportait – à la satisfaction de tout un chacun – des classes de 10e et 11e plein temps et une classe de 12e pratique en régime concomitant, la nouvelle formation professionnelle propose pour une multitude de métiers – dont le menuisier – des classes pratiques concomitantes dès la classe de 10e.

Pourquoi, peut-on se demander, le MENFP change-t-il un système qui, pour la formation des menuisiers, a bien fonctionné jusqu’à présent ? Le Luxembourg possède depuis longtemps dans plusieurs lycées à travers le pays des ateliers de menuiserie équipés avec du matériel hautement professionnel et les élèves furent encadrés par du personnel enseignant très qualifié.
Mais depuis la réforme, malgré la présence d’ateliers et de personnel enseignant performants, les établissements publics n’ont plus d’élèves. Pour l’année scolaire 2012/2013, seul deux élèves se sont inscrits dans la formation de menuisier dans un établissement public alors que la classe de menuisier-ébéniste d’un lycée privé réputé à Luxembourg-Ville possède une classe de 10e bien remplie. Qu’est-ce qui explique cette situation étonnante ?
La réponse à cette question est simple: ce lycée privé a la possibilité de pouvoir offrir cette formation à plein temps pendant toute la durée de la formation, de la classe de 10e à celle de 12e. Nous nous demandons alors
- Pourquoi ce lycée privé a-t-il obtenu l’autorisation de continuer à offrir toute une formation en régime plein temps lycée alors qu’un des atouts proclamés de la réforme de la formation professionnelle serait la participation plus active du milieu professionnelle dès la classe de 10e ?
- Pourquoi la plupart des patrons menuisiers envoient-ils leur propre progéniture au lycée privé dans un régime à plein temps plutôt que de les faire profiter des avantages supposées de la nouvelle formation concomitante dans les lycées publics ?
Les bienfaits de la réforme au niveau du professionnel ne semblent donc pas être perçus comme tels, ni par les élèves, ni par le monde professionnel.
Notons par ailleurs qu’en France, la réforme de la Formation professionnelle qui a été lancée il y a quelques années et qui se base en partie sur les mêmes règles qu’au Luxembourg - pas de redoublement de classe, raccourci des études théoriques, début de l’apprentissage en entreprise le plus tôt possible - est de plus en plus contestée.
Le débat en France tourne notamment autour de la question de la maturité des élèves en classe de 10e. De plus en plus d’entreprises françaises refusent d’accueillir des apprentis à cause de leur manque de maturité. A peine âgés de 15 ans, la plupart des jeunes ne sont tout simplement pas encore en mesure de manier professionnellement les outils de travail mis à leur disposition.

La situation des élèves sans contrat dʼapprentissage au 1 novembre

Au 1 novembre 2012, date fatidique pour les élèves se trouvant dans une formation DAP/CCP du régime concomitant, la situation sur le « marché de lʼapprentissage » était la suivante :
Sur un total de 2121 élèves qui débutent cette année scolaire une formation pratique en entreprise, 434 n’ont pas trouvé de place d’apprentissage. Dans le même temps, 230 offres d’apprentissage n’avaient pas encore été satisfaites. Au 1 novembre, nous sommes donc face à une situation où plus de 400 jeunes se retrouvent sans contrat d’apprentissage. Sont surtout concernées les formations suivantes :
- agent et employé administratif et commercial (11e DAP + 12e CATP): 95 élèves
- auxilliaire de vie: 10 élèves
- coiffeur: 33 élèves
- commis de vente: 30 élèves
- conseiller de vente: 57 élèves
- cuisinier: 28 élèves
- dessinateur en bâtiment: 11 élèves
- électricien: 11 élèves
- installateur de chauffage-sanitaire: 14 élèves
- mécanicien d’autos et de motos: 10 élèves
- mécatronicien d’autos et de motos: 20 élèves
- peintre-décorateur: 20 élèves
- serveur de restaurant: 10 élèves
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: que va-t-il se passer avec tous ces élèves qui n’ont pas trouvé de places de stages ? Normalement, les lycées sont obligés par la loi de désinscrire les élèves de leurs listes. Les jeunes n’auront alors pas d’autres solutions que de s’inscrire à l’ADEM ou de recommencer une nouvelle formation ... qui leur sera refusée pour une majorité de formations puisque ces dernières commencent déjà dans le régime concomitant en classe de 10e et qu’il faut donc un contrat d’apprentissage qu’ils n’ont pas. L’avenir de ces jeunes ... pointer au chômage ? A moins qu’ils ne profitent d’une des solutions bouchetrou proposées par le MENFP en désespoir de cause: un contrat tout provisoire auprès d’une administration communale ou un service volontaire – tout aussi aléatoire - auprès du SNJ. Bien évidemment, ces contrats seront signés sur base d’un salaire d’apprentissage au rabais. Et dire qu’un des justificatifs de cette réforme - et des réformes à venir - est
de rendre plus équitable notre système scolaire et de réduire le décrochage scolaire.

Les projets intégrés intermédiaires (PII)
Selon le MENFP, les PII « visent à contrôler si l’apprenti a développé, au-delà des compétences ponctuelles, les compétences complexes nécessaires pour résoudre une situation professionnelle réelle ou simulée ». Après le succès plus que mitigé des premiers projets intégrés intermédiaires dans les différentes classes des formations phares, nous assisterons cette année scolaire aux premiers projets intégrés intermédiaires pour les autres formations. Comme le règlement prévoit que le PII se fasse au milieu de la scolarité, tous les PII du régime du DAP seront réalisés entre fin janvier et mi-février.
L’un des problèmes qui se posent aujourd’hui concerne l’organisation des PII dans les formations qui fonctionnent en régime plein en classe de 10e. En effet, au moment du PII, ces élèves n’ont commencé leur apprentissage pratique qu’à peine depuis 4 mois. Malgré l’appel de certains groupes curriculaires demandant le recul du PII pour ces formations vers la fin de l’année scolaire, le MENFP persiste à ne pas vouloir faire d’exception, même si elle serait de bon sens. Comme compromis, il a été proposé d’organiser les PII pour ces formations au sein des lycées. Alors que cela ne pose pas problème pour un DAP administratif et commercial, cela s’avère nettement plus complexe pour une formation plus pratique comme l’auxiliaire de vie.
En effet, ces élèves travaillent dans des secteurs très diversifiés comme les crèches, les maisons de retraite, le secteur social, etc. Comment alors organiser un PII respectant la réglementation en vigueur ? Comment mettre l’élève dans une situation professionnelle réelle (voire simulée) si son activité principale consiste à s’occuper d’enfants en bas âge ou de personnes âgées nécessitant des soins particuliers ?

Comment demander à l’élève de réaliser des tâches précises, nécessaires dans son milieu professionnel, alors qu’il/elle a effectué à peine quelques semaines d’apprentissage pratique ? Parions que ce seront encore et toujours les enseignants qui vont devoir improviser pour sauver ce qui peut l’être, tandis que le MENFP va essayer, comme il en a l’expérience, de minimiser le problème.
Les modules préparatoires dans la division du technicien
Alors que les premières formations du nouveau régime professionnel fonctionnent à
présent depuis trois ans, ce n’est que maintenant que le MENFP vient de proposer une première ébauche pour l’organisation des modules préparatoires dont la réussite sera, à l’avenir, le seul moyen d’accès du technicien aux études supérieures. Contrairement à toute logique pédagogique, le MENFP a « décidé » les règles générales suivantes – à nouveau sans aucune concertation avec les syndicats enseignants :
« Les modules préparatoires sont accessibles uniquement aux élèves qui n'ont pas de modules à rattraper au moment de l'entrée en classe de 12e2.
Cette décision est totalement contraire à toute la politique passée et récente du MENFP, qui justifie notamment les réformes des dernières années par le fait qu’il faut donner plus de chances aux jeunes, en permettant à chacun de réussir et de se construire une carrière. Combien de fois le MENFP n’a-t-il répété qu’il n’est pas normal que des jeunes soient éliminés de certains ordres d’enseignement ou de certaines formations, simplement pour des raisons de faiblesses ponctuelles. C’est tout le contraire de ce qu’ils décident aujourd’hui pour les élèves du régime de technicien où dorénavant, seul(e)s les meilleur(e)s, celles et ceux qui n’ont aucun rattrapage à leur passif, celles et ceux qui ont tout réussi sans montrer la moindre faiblesse, pourront profiter dune préparation spécifique aux études supérieures.

Par ailleurs, alors qu’on commence déjà à s’approcher de la fin du premier semestre,
aucun élève du régime professionnel n’a encore été informé de ces décisions. De ce
fait, beaucoup de techniciens qui fréquentent actuellement la classe de 11e risquent,
en l’état actuel des choses, d’être écartés de tout accès à une carrière supérieure du
fait qu’ils sont en totale méconnaissance des conditions d’accès aux modules
préparatoires.
Et dire que, selon les propres statistiques du MENFP, 78,1 % des techniciens informatiques, 63,2 % des techniciens en électromécanique et 41,3 % des techniciens administratifs et commerciaux ayant obtenus leur diplôme en 2009/10 et 2010/11 sont actuellement inscrits dans une formation supérieure. Combien en restera-t-il dans quelques années ? On peut craindre le pire !
« L'offre comprend 4 leçons de langues par semestre (au choix de l'élève avec niveau B2/C1 à atteindre) et 2 leçons de mathématiques par semestre (haute technicité et basse technicité) avec éventuellement une mise à niveau au 5e semestre. Les élèves qui suivent les modules préparatoires seront dispensés des cours de l'enseignement général de la langue correspondante. Les modules de langues et de mathématiques seront élaborés par le MENFP. Les équipes curriculaires compétentes peuvent décider d'offrir 2 leçons supplémentaires de modules préparatoires dans un domaine spécifique à la formation. Les leçons nécessaires à l'enseignement de ces modules sont enlevées des leçons de l'enseignement professionnel (réduction de 22 à 20 leçons). Les modules supplémentaires sont élaborés par l'équipe curriculaire ou la commission nationale compétente »3.
Une offre de modules préparatoires ne tenant pas compte des énormes différences dans les finalités des différentes formations du technicien, voilà la solution prônée par le MENFP. Que l’on se spécialise dans le domaine de l’informatique, de l’électromécanique ou de l’administratif et du commercial, peu importe. Les mêmes fautes qui ont été réalisées pour l’enseignement général sont reproduites à l’identique pour les modules préparatoires. Au moins, s’il y a une chose que l’on ne peut pas reprocher aux responsables du MENFP, c’est qu’il y a un fil rouge dans leur système.
Et que dire des niveaux de langues pour les futurs techniciens. L’enseignement des langues, réduit à peau de chagrin dans les classes de 10e et 11e, est supposé reprendre en 12e avec des modules préparatoires qui visent un niveau B2, voire C1. C’est totalement illusoire.
Même incohérence au niveau des mathématiques. On élimine, et notamment dans la division administrative et commerciale, tout module de mathématiques dans les classes de 10e et 11e pour exiger ensuite des élèves de suivre des modules de mathématiques d’un niveau tel qu’ils doivent leur permettre de poursuivre des études supérieures. Rien que de la poudre aux yeux.
Conclusion
Il faut le dire franchement: globalement, la réforme de la Formation professionnelle est une mauvaise réforme qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il faut donc arrêter d’assister passivement à la folie réformatrice du MENFP et d’accepter la situation actuelle comme une fatalité. Tous ensembles, crions partout, haut et fort, que cela suffit, que les responsables du MENFP doivent nous écouter et qu’il faut changer de fond en comble le système actuel avant qu’il ne soit trop tard. Il y va de l’avenir de milliers de jeunes chaque année.
1 Les spécialistes du métier vont répliquer que la formation de “menuisier-ébéniste” est fondamentalement différente de celle du “simple” menuisier. Même si nous ne nions pas le fait que des différences de formation peuvent exister, elles sont pourtant minimales et ne justifient aucunément ce traitement de faveur.
2 Réunion d’information du MENFP avec les présidents et secrétaires des groupes curriculaires en date du 15 novembre 2012.
3 Réunion d’information du MENFP avec les présidents et secrétaires des groupes curriculaires en date du 15 novembre 2012.
Professeur des sciences écomomiques et sociales au LNW
Membre de la direction syndicale