LA CMPP : LE SERVICE SECRET DE L'ÉDUCATION NATIONALE ? (Journal 1/2005) Patrick Arendt

08.02.2005

LA CMPP : LE SERVICE SECRET DE L'ÉDUCATION NATIONALE ?


Par la loi du 14 mars 1973 portant création d'instituts et de services d'éducation différenciée et le règlement grand-ducal du 9 janvier 1998 concernant la composition et les attributions des commissions médico-psycho-pédagogique nationale et régionales ou locales lesdites furent créées avec une CMPP régionale dans chacun des arrondissements du primaire.

Les attributions de la CMPP nationale sont les suivantes: le dépistage des enfants devant bénéficier de mesures préventives ou d'appui, l'assistance à toute personne ayant la garde d'un enfant présentant de telles difficultés ou étant responsable de son éducation ainsi que les recommandations des mesures préventives et des mesures d'appui pédagogique dans l'intérêt d'enfants susceptibles d'éprouver ou éprouvant des difficultés d'ordre scolaire et la surveillance de l'exécution de ces mesures. La CMPP fait constituer un dossier pour chaque enfant concerné, des rapports renseignant sur le handicap spécifique, un bilan psychologique, des rapports émanant de services ayant assuré une prise en charge de l'enfant, un rapport de l'assistant social, un rapport sur l'audition des parents et un bilan scolaire. Ensuite la CMPP émet une proposition d'orientation et la transmet aux parents qui gardent la dernière décision pour les mesures à entreprendre. Les membres de la CMPP sont nommés par le ministre de l'Edu cation Nationale, le ministre de la Santé et le ministre de la Famille.

Les attributions de la CMPP régionale sont les suivantes: faire examiner les enfants susceptibles d'être soit inscrits dans une classe spéciale ou de devoir bénéficier de mesures d'appui pédagogique, soit d'être réintégrés dans une classe de l'enseignement ordinaire, recevoir les demandes motivées d'examen en vue de telles mesures de la part des enseignants, de l'inspecteur et des parents, procéder à l'examen de l'enfant après y avoir été autorisée par les parents et, le cas échéant, proposer d'inscrire l'enfant dans une classe spéciale ou de le faire bénéficier de mesures d'appui, recueillir les renseignements qu'elle juge nécessaires, notamment les avis des parents, du titulaire de la classe, de l'inspecteur, du service de guidance de l'enfance ou services spécialisés et proposer une solution qui est communiquée à ceux dont l'avis a été sollicité au préalable, aux enseignants concernés et à l'administration communale en cas de besoin.

La CMPP comprend l'inspecteur d'arrondissement, comme président, un instituteur, le psychologue du Service de guidance de l'enfance concerné, le responsable du Service rééducatif ambulatoire concerné, un médecin spécialiste en neuropsychiatrie ou en neurologie ou en psychiatrie ou en pédopsychiatrie ou un médecin scolaire, le professeur d'enseignement logopédique concerné, l'assistant social ou l'assistant d'hygiène sociale concerné de l'équipe médico-socio-scolaire et le responsable d'un centre ou institut de l'Education différenciée concerné. Notons que l'instituteur est nommé par la commune, siège de la commission. Les membres de la commission nationale et des commissions régionales et locales sont tenus au secret professionnel tant pour les délibérations des commissions que pour toutes les informations qu'ils obtiennent à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

La CMPP doit donc être sollicitée et donner son avis pour chaque enfant nécessitant des mesures d'appui spéciales. Comme la commission ne se réunit que tout au plus mensuellement, il s'agit d'un instrument très lent. Il faut dire qu'un des objectifs à la base de la création des CMPP consistait à dresser un obstacle bureaucratique aux enseignants pour faire inscrire leurs élèves dans une classe spéciale ou des classes d'intégration. L'image de l'enseignant qui fuit sa responsabilité reste donc omniprésente. Après le dépistage de difficultés scolaires nécessitant des mesures spéciales autres qu'une différenciation en classe, l'élève devra donc en sorte attendre quelques semaines voire des mois avant que son dossier soit constitué et traité par la CMPP. Au lieu d'une intervention rapide et efficace, notre système scolaire se retranche derrière ses procédures
bureaucratiques très lourdes. On fait semblant de s'occuper de l'élève, mais en fait il semble qu'on veuille surtout gagner du temps.

Prenons un exemple pour démontrer l'inefficacité de cette procédure. Après avoir identifié un certain nombre d'élèves éprouvant des difficultés à suivre les cours de leur classe dans une ou plusieurs branches, une classe d'intégration et d'appui est créée sur proposition des enseignants pour ces élèves. Le titulaire de cette classe rassemble lesdits élèves représentant des lacunes (par exemple après une période d'absence due à une maladie ou suite à un événement perturbant ne dépendant pas de l'école) ou ne sachant pas suivre les cours communs, dans de petits groupes. Ces élèves sont inscrits dans cette classe pour une ou plusieurs branches ou ne fréquentent cette classe que pendant un certain nombre de leçons hebdomadaires. (On pourrait bien sûr installer un cours d'appui intégré à l'intérieur de a classe d'attache de l'élève.) L'expérience a démontré que certains élèves ont pu réintégrer rapidement leur classe d'attache et suivre les cours ensemble avec leurs camarades. L'objectif n'est donc pas de garder les élèves (et de les stigmatiser !), mais de fournir une aide rapide de préférence limitée dans le temps. Il est clair qu'une collaboration avec les parents soit indispensable. Les parents sont informés et donnent leur accord pour toute mesure spéciale. En suivant la procédure prévue par la loi, les élèves en questions devront attendre parfois quelques mois avant que les choses bougent. C'est surtout la promptitude de la mise en place de l'aide ainsi que la collaboration et la concertation du titulaire de la classe et de l'enseignant chargé de la classe d'appui qui garantissent une efficacité. Le modèle de fonctionnement des CMPP, avec des spécialistes externes qui n'ont pas de rapport avec les écoles de leur arrondissement et n'entrent que très rarement en contact direct avec les enseignants, ne favorise certainement pas l'esprit d'ouverture et de coopération dans nos écoles.

Les élèves risquent en même temps de rester très longtemps dans cette classe d'intégration. Rappelons que la CMPP se chargera de rediriger les élèves vers leur classe d'origine. Rappelons aussi que, dans de très nombreux cas, les élèves des classes d'intégration seront orientés d'office vers le modulaire, après la sixième année d'études, ce qui rend toute aide au cours de leur passage dans le primaire plus ou moins absurde.

Les délibérations, rapports et dossiers de la CMPP sont soumis au secret professionnel c. à d. ils ne sont pas communiqués aux enseignants des élèves. Voyons de plus près un cas concret. Les parents sollicitent la CMPP et demandent des mesures d'appui pour leur enfant. Un membre de la CMPP prend alors contact par téléphone avec l'enseignant. Celui-ci est d'avis que des mesures d'appui ne s'imposent pas. D'autres élèves de cette même classe, éprouvant plus de difficultés dans cette branche, ne bénéficient pas de mesures spéciales. De plus l'élève en question n'a pas de note insuffisante. Dans sa réunion, la CMPP, sans avoir invité l'enseignant, décide de faire inscrire l'élève dans une classe d'intégration avec effet immédiat. L'information de cette délibération est communiquée par lettre au titulaire de la classe d'attache et au titulaire de la clase d'intégration. La proposition ou plutôt la décision (rappelons que l'inspecteur de l'arrondissement est président de la CMPP régionale) est à réaliser avec effet immédiat.

A la lettre du comité des enseignants de la commune, demandant des informations sur les lacunes et difficultés détectées et répertoriées chez l'enfant et les mesures à prévoir, la CMPP n'a pu répondre. Les délibérations et les dossiers sont strictement confidentiels, à tel point que même les mesures restent confidentielles. On entre vraiment dans le domaine kafkaïen.

Ces anecdotes montrent l'inefficacité de la CMPP pour réagir rapidement et efficacement.

Le SEW ne conteste pas l'utilité des CMPP pour des élèves présentant de graves difficultés scolaires ou des troubles du comportement et devant éventuellement être intégrés dans l'Education différenciée.
Il demande cependant que la communauté des enseignants d'une école soit associée aux procédures de la CMPP. Les enseignants sont responsables de la réussite scolaire de leurs élèves. Le titulaire d'une classe a le droit et le devoir d'examiner les dossiers et rapports concernant les élèves de sa classe. Il n'est pas efficace d'avoir de telles structures fonctionnant en dehors des écoles. Les spécialistes des CMPP doivent être intégrés dans la communauté scolaire d'une commune ou d'une région et collaborer activement avec les enseignants. L'organisation de la classe avec toutes les mesures d'appui nécessaires restera toujours sous la maîtrise du titulaire qui coordonnera tous les efforts des intervenants dans sa classe.


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Patrick Arendt