Faut-il des I-EBS?

Faut-il des I-EBS?
Parmi tous les postes nouvellement créés dans l’Education nationale, celui de l’I-EBS (instituteur spécialisé pour enfants à besoins spécifiques et particuliers) attaché directement à une école et appelé à travailler au sein d’une équipe pédagogique avec les enfants en difficulté scolaire pouvait apparaître comme ayant une certaine utilité.
Face à la diminution des leçons d’enseignement mises à la disposition des écoles par le contingent, les cours d’appui disparaissaient peu à peu au cours des dernières années et pour certaines écoles la constitution de classes avec moins de 20 élèves ne devenait possible que grâce à des regroupements temporaires pour certaines disciplines. Dans ce cas il devenait difficile de refuser la ressource supplémentaire que pouvait constituer un poste de 23 leçons pour le travail avec les enfants à besoins spécifiques et particuliers. Même s’il était évident qu’un seul poste pour une école de plus de 300 élèves qui auparavant avait 4 à 5 postes d’appui ne constituait qu’un pis aller, mieux valait un poste que rien du tout.
C’est dans ce contexte, que j’ai postulé en 2017 pour un poste d’I-EBS. J’ai dû effectuer un certain nombre de formations obligatoires dont notamment une qui me permettait d’enseigner au cycle 1 et d’autres formations en relation avec la pédagogie de soutien aux élèves en difficultés. À côté de ces formations, j’ai pris part à 3 journées de regroupement des I-EBS au Centre de Marienthal. Malheureusement 2 journées de regroupement et la plupart des journées de formation étaient situées dans l’horaire scolaire ce qui laissait mon travail avec les élèves en friche. L’I-EBS n’étant pas remplacé, ni lors des formations, ni lors d’un congé de maladie, ces leçons font donc automatiquement défaut aux élèves.
Etant bien intégrée dans l’équipe pédagogique de mon école, j’avais établi dès la semaine du 18 septembre un horaire provisoire avec différents ateliers où plusieurs élèves travaillent en petits groupes pour l’acquisition de différentes compétences en mathématiques en allemand ou en français, ainsi que d’autres prises en charge plus individualisées pour des élèves en grande difficulté, mais il était clair dès le début que je n’arriverais pas à répondre à toutes les demandes de prise en charge. L’école étant répartie sur 3 sites différents, il a fallu s’organiser de façon à ne pas perdre trop de temps entre les différentes prises en charge, si bien que les collègues du plus petit de ces sites ont tout de suite signalé qu’ils renonceraient à signaler des élèves, de même que les collègues du précoce, malgré la présence d’enfants à besoins spécifiques. J’ai ensuite réparti mes leçons de présence entre les 2 sites restants en concertations avec les titulaires de classe des enfants à besoins et de façon à ne pas changer d’école entre les leçons. Cela a évidemment constitué un certain nombre de contraintes à la fois pour l’organisation des cours dans les différentes classes et pour la constitution de groupes avec des élèves provenant de différentes classes. Certains enfants n’ont pu bénéficier que d’une leçon de prise en charge par semaine, la plupart pouvaient bénéficier d’une prise en charge de 2 leçons par semaine et 4 enfants d’une prise en charge plus étendue allant de 3 à 6 leçons par semaine. Au cours de l’année, je m’occupais ainsi de 25 à 35 élèves simultanément et j’ai travaillé avec 43 élèves différents sur l’année scolaire. Il était évident qu’en dehors de ces 43 enfants il y en avaient d’autres qui avaient besoin d’un accompagnement individualisé et j’ai travaillé en concertation avec les éducatrices gradués pour voir comment nous pouvions au mieux répartir nos interventions auprès des élèves afin de répondre aux besoins les plus pressants.
À l’heure des bilans, force est de constater que certains résultats ont pu être obtenus, mais que pour le gros des enfants pris en charge au cours de cette année scolaire, il reste encore bien des compétences à acquérir avant qu’ils ne puissent bénéficier pleinement des apprentissages proposés dans leurs classes respectives.
Face à l’envergure du travail de concertation et de rédaction de rapports que mon intervention auprès des différents enfants a nécessité de ma part et surtout de la part des titulaires de classe, je me demande encore si ce n’était pas faire de façon compliqué, ce qui aurait pu être fait de façon beaucoup plus simple.
Ce que j’ai appris au cours des formations, c’est qu’il faut effectivement faire une analyse détaillée des difficultés des élèves pris en charge et leur proposer alors des activités très ciblées pour leur faire acquérir différentes compétences pas à pas, fixer des objectifs restreints pour pouvoir les atteindre dans des périodes déterminées. C’est très difficile quand il faut prendre en charge une trentaine d’enfants simultanément. Faut-il alors réduire le nombre d’enfants à prendre en charge ? Faut-il permettre une prise en charge plus étendue (5 à 6 leçons par semaine) pour obtenir des résultats plus tangibles ? Faut-il limiter les objectifs à l’acquisition de compétences très partielles ? Les réponses à ces questions ne sont jamais satisfaisantes.
Ce que j’ai appris dans le travail avec les enfants au cours de cette année, c’est que la plupart des enfants qui sont en difficulté ont besoin d’un adulte qui prenne leurs difficultés au sérieux et qui dispose du temps nécessaire pour expliquer et montrer comment ils peuvent faire pour comprendre. C’est un travail qui demande beaucoup d’empathie et de patience, une bonne connaissance des démarches intellectuelles à mettre en oeuvre et encore et toujours le temps nécessaire qui nous fait si souvent défaut dans notre monde trop pressé.
Est-ce qu’un instituteur plus spécialisé aurait réussi à mieux faire avancer les enfants pris en charge? Je ne dis pas non. Est-ce qu’il aurait fait mieux en moins de temps? J’en doute fort. Je me demande surtout si on n’obtenait pas de meilleurs résultats avec des personnes moins spécialisées, mais plus disponibles.
Au lieu de prévoir des fonctions spécialisées pour lesquelles il faut alors développer des concepts et un cadre d’intervention particulier, ne ferait-on pas mieux d’attribuer un nombre suffisant de leçons aux écoles, afin que les équipes disposent en leur sein de postes d’appui en nombre suffisant permettant de venir en aide à tous les enfants qui en ont besoin ?
Même s’il reste directement attaché à une école, l’I-EBS, en tant que fonction spécialisée, est tiraillé entre la direction et notamment la Commission d’Inclusion et le directeur adjoint chargé des enfants à besoins spécifiques d’un côté et l’équipe pédagogique et le comité d’école de l’autre.
Cela s’exprime dans de nombreux petits détails comme les comptes à rendre à la direction d’un côté et au comité d’école de l’autre. Les réunions régulières avec le directeur adjoint et les autres I-EBS de la région. Le fait de ne plus participer au programme des surveillances organisées au sein de l’école. Le fait de ne plus figurer sur les listes d’envoi des informations provenant des instances communales.
Pour en revenir à la question initiale, il faut se demander cependant si la création de ces fonctions spécialisées n’est pas susceptible de compliquer le travail en équipe et si les comités d’école ne sont pas de plus en plus mis sous tutelle par les directions de région, si bien que l’autonomie des écoles ne constitue qu’un leurre. Pour limiter les dégâts, il vaut donc mieux que l’I-EBS provienne de l’équipe pédagogique et lui reste pleinement attaché.
Créer des fonctions à part dans le corps enseignant n’a jamais constitué une revendication du SEW/OGBL, bien au contraire. Le ministre a cependant préféré écouter ceux qui plaidaient pour une hiérarchisation de la carrière. Les écoles n’ont pas le choix, elles doivent se débrouiller avec les moyens qui sont mis à leur disposition pour s’occuper le mieux possible de leurs élèves. La tâche des comités d’école n’en devient pas plus facile.