Une nouvelle «année de transition»

07.11.2017

Une nouvelle «année de transition»

Si au cours de la dernière décennie, chaque rentrée scolaire a amené son lot de nouveautés, la mise en place des directions de région en remplaçant cette année l’Inspecteur par un directeur et ses adjoints, entame une nouvelle ère de modernisation de l’enseignement fondamental.

 

Pour reprendre la métaphore utilisée dans les média, il s’agirait pour l’école luxembourgeoise de récolter le fruit des réformes passées, les résultats seraient enfin visibles et palpables. Dans ce contexte, Monsieur le Ministre parlait de la «Rentrée vum Vertrauen» dans un système scolaire innovant, orienté vers le futur et résolument décidé à renforcer l’école publique.

 

Rentrée vum Vertrauen vs Notes de Service

Lors de la dernière réforme de 2009, une certaine standardisation était attendue et aurait été utile mais son application fût négligée à l’époque.

La première action visible du nouveau collège des directeurs a consisté en l’édiction d’un ensemble de nouvelles procédures, formulaires et instructions, accompagnés de notes de services afférentes: le glas de la «Rentrée vum Vertrauen» avait sonné. En effet, l’ensemble de ces notes de service anéantit toutes les réflexions, négociations, ébauches et essais qui avaient été élaborés après la réforme et avaient finalement abouti à des modèles consensuels, compris et reconnus de la communauté scolaire et utilisés maintenant depuis des années par chaque école. Se référant à Hill et Bonan en 1990, force est de constater que «if school staff are to create a new culture of collaboration, they should be free to establish its basic terms. A single standard decision-making process for all schools once again gives the central office control, and it encourages the formality, not the substance, of collaboration.»

 

La reunion du bon sens

Partie intégrante de la tâche de l’enseignant, les réunions de concertation se voient nouvellement affublées de l’injonction de la signature d’une liste de présence. Si cette initiative semble de premier abord peu contraignante, elle s’avère inefficace et surtout inutile: depuis des années, le coordinateur de cycle (poste à responsabilité) cautionne par sa signature l’exactitude des présences aux réunions des enseignants de son cycle et du personnel de l’école. Cette nouvelle mesure instaure un climat de méfiance voire de perte de confiance en l’intégrité du personnel des écoles.

 

Si la nécessité de réunions de concertations ne saurait être remise en cause, le collège des directeurs aurait pu instaurer une réflexion sur leur régularité mécanique. Dans son rapport d’expertise sur le bilan de la réforme de l’enseignement fondamental, Tröhler (2013) constate: «Auffällig ist weiterhin, dass die obligatorischen wöchentlichen Sitzungen unabhängig vom Bedarf und in der vorgeschriebenen Dauer schematisch abgehakt oder „abgesessen“ werden, selbst wenn dies wegen fehlender Tagesordnungspunkte nicht erforderlich ist. Wünschenswert wäre eine Flexibilisierung der Versammlungs- und Sitzungsmodalitäten je nach Handlungsbedarf».

 

L’introduction par note de service et la mise en application d’une bonne partie de ces directives inhibe les aspirations visant à atteindre au sein des écoles un enseignant du type «reflective practitioner» (Schön 1983), réduisant ce dernier à un fonctionnaire d’une administration lambda. Hentig (1985) met en garde à ce propos: «Unterrichtsbeamte können nicht erziehen, sie können auch die Schule nicht reformieren. Ein Kollegium, das gemeinsam beobachtet und nachdenkt, kann eine gute Schule machen.» En résumé, au lieu d’une réduction à un carcan administratif rigide, il faudrait viser la promotion de l’utilité et du sens de ces réunions, afin de créer une réelle plus-value pour l’école.

 

Une conception de l’école comme une administration gérée par des fonctionnaires ne saurait correspondre à son statut si particulier. Rolff (1992) la considère plutôt comme une «besondere soziale Organisation», répondant à des règles qui lui sont propres, des processus qu’il est nécessaire de comprendre afin de pouvoir les influencer: Tyack & Tobin (1994) parlent dans ce contexte de «grammar of schooling».

 

Développement scolaire et Déprofessionalisation

Face à la complexité de cette organisation, une tendance internationale consiste en une relégation de la responsabilité du niveau macro au niveau micro, mettant en avant «die Einzelschule als ‘Motor der Schulentwicklung’» (Rolff, 1998). Instauré en 2009, un plan de développement scolaire, visant l’accroissement de la qualité des établissements scolaires, se base sur une analyse concrète de la situation de départ, des perspectives communes à développer au sein de l’école ainsi que des indicateurs de réussite à définir et une évaluation pour en mesurer les bénéfices.

 

Cette amélioration qualitative est donc remise à l’entière responsabilité de l’école. Mais au Luxembourg, ne sont définis au niveau national ni standards de qualité, ni critères de référence, ni indicateurs de réussite, ni mesures d’évaluations. A chaque école de se fixer ses propres objectifs, une route pour les atteindre et des outils de mesure, sans possibilité de référence à un cadre-qualité déterminé et connu de toute la communauté scolaire, qui permettrait une validation substantielle et objective de la démarche de développement, en vue d’analyse, de compréhension et finalement d’éventuelle reproduction.

 

Actuellement, on relève d’une part l’exigence de l’accroissement de la professionnalisation de l’enseignant, qui au quotidien fait face à une gestion de classe de plus en plus complexe et adjointe de multiples travaux administratifs, ainsi que l’engagement individuel et collectif dans un  développement de démarche qualitative à issue floue et incertaine, faute de critères communs définis.

D’autre part, et ne prenant comme exemple que l’émergence récente des nombreuses notes de services, on assiste à de manoeuvres flagrantes  de déprofessionnalisation de l’enseignant noyé dans une marée de procédures et formulaires.

 

Plus qu’une incohérence structurelle, cette manifeste incompatibilité génère tensions, frustrations, résignation et risque d’engendrer le décrochage du personnel enseignant. Si les bénéfices d’une certaine uniformisation sont indéniables et même souhaités dans certains cas spécifiques - il y va de l’équité des chances, mais aussi de la cohésion de notre société (MENEJ, 2017) - le centre des attentions des responsables éducatifs et politiques devrait être à l’heure actuelle axé sur la clarification, et l’implémentation de prémisses et structures nécessaires à un développement scolaire fondé, soutenu par un accompagnement scientifique.

 

L’école de demain

Construire l’école de demain est un vaste défi, qui nécessite un apport de confiance envers les acteurs de terrain et ne saurait se faire à leurs dépens. Dès lors, il est impératif de réinstaurer des bases saines, indispensables au bon fonctionnement des écoles. Un modèle d’enseignement axé sur la compétence des professionnels de l’éducation, leur responsabilité voire leur responsabilisation et la promotion d’une large part d’initiatives, d’innovations et d’autodétermination pourrait contribuer à réaugmenter l’attractivité du métier, en érosion constante depuis quelques années.

 

Le sentiment profond de malaise ressenti par un grand nombre d’enseignants montre la nécessité d’engager une reflexion de fond, et de se demander, si «Politik und Erziehungswissenschaft - nicht ein Moratorium anstreben sollten, um darüber nachzudenken, welche (nicht -intendierten) Effekte die Reform bewirkt und was Schule eigentlich leisten soll.»

 

Olivier Jentges


 

 

Böttcher, W. (2013): Das Monitoring-Paradigma. Eine Kritik der deutschen Schulreform. In: Empirische Pädagogik 27, H. 4, S. 497–509.

Hill, P.T. / Bonan, J. (1990): Decentralization and Accountability in Public Education. Santa Monica, CA. Rand Corporation

Ministère de l’Education Nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (2017):

http://www.men.public.lu/fr/actualites/grands-dossiers/enseignement-fondamental/01-ef-modernisation/index.html) (22.10.2017)

Rolff, H-G. (1992): Die Schule als besondere soziale Organisation. Eine komparative Analyse. In: Zeitschrift für Sozialisationsforschung und Erziehungssoziologie. Frankfurt am Main. Dipf

Rolff, Hans-Günter (1998): Entwicklung von Einzelschulen: Viel Praxis, wenig Theorie und kaum Forschung. Ein Versuch, Schulentwicklung zu systematisieren. In: Jahrbuch der Schulentwicklung (10), S. 295–326.

Schön, D. (1983): The reflective practitioner: How professionals think in action. London: Temple Smith.

Tröhler D. et al. (2013): Rapport d’expertise sur le bilan de la réforme de l’école fondamentale. Luxembourg

Tyack, D.; Tobin, W. (1994): The ´grammar´ of schooling: Why has it been so hard to change? American Educational Research Journal.

Von Hentig, H. Interview (1985): „Die Schritte können klein sein, wenn die Gedanken groß sind“ In: DIE ZEIT, 40. Jg. Nr. 39, vom 20.9.1985, S. 49 - 51.