projet de loi sur l'IFEN

28.10.2014




Argumentaire pour un remaniement de l’avant-projet de loi portant création d’un Institut de formation de l’Education nationale et de l’avant-projet du règlement grand-ducal déterminant l’organisation et le déroulement du stage, la décharge du stagiaire, les modalités d’évaluation et les indemnités des évaluateurs et des membres du jury du stage des enseignants fonctionnaires de l’enseignement fondamental

 



La formation des enseignants du fondamental a par le passé fait l’objet de nombreuses analyses et discussions, lors desquelles une approche permettant d’alterner la théorie avec la pratique, afin de former un praticien réflexif a été retenue. Cette approche est judicieuse non seulement pour l’exercice de la profession qui demande une mise en relation permanente entre les connaissances théoriques et la pratique quotidienne qui se voit confrontée aux divers besoins des élèves dans une société en évolution constante. Elle permet également de répondre à certaines questions pertinentes concernant la sélection des futurs enseignants. Partant du fait que l’ancien numérus clausus sélectionnant les futurs enseignants du fondamental sur la base de leurs résultats à l’examen de fin d’études secondaires n’était pas le nec plus ultra, il devenait évident que le futur enseignant devrait être confronté à des expériences pratiques de sa future profession au début de ses études, afin qu’il puisse se confronter à la réalité du terrain pour continuer ses études en connaissance de cause. Il n’est en effet pas approprié d’effectuer des études théoriques approfondies en sciences de l’éducation, si l’on s’avère incapable d’appliquer son savoir dans son travail dans les écoles.

Il est irresponsable de demander à des jeunes de se préparer pendant 7 ans à une profession pour leur dire à la fin qu’ils ne sont pas faits pour ce métier, alors que leurs études ne leur ouvrent guère d’autres portes. La sélection doit absolument s’opérer lors des deux premières années, afin de permettre aux étudiants de s’orienter le cas échéant vers d’autres études. Il y a là une différence importante par rapport à la formation du professeur de l’enseignement secondaire qui étudie d’abord une discipline, avant de s’orienter vers la profession enseignante. Les futurs enseignants du secondaire ont tout à apprendre de leur métier d’enseignant en entrant au stage et il est évident que leur tâche d’enseignement doit être limitée à 12 leçons au cours des deux premières années et à 16 leçons au cours de la troisième, afin de leur permettre de se consacrer pour une large part à leurs études en sciences de l’éducation. Cette décharge importante d’une tâche d’enseignement normale pourrait par ailleurs justifier la limitation du salaire du stagiaire à 80% du salaire normal de début de carrière.

Dans le cas de l’instituteur une décharge de 2 leçons d’enseignement ne saurait en aucun cas motiver une diminution du salaire d’un cinquième. Par ailleurs, cette décharge ne suffit aucunement à préparer les différentes épreuves prévues dans le déroulement du stage. L’instituteur ayant accompli un va et vient permanant entre la formation pratique sur le terrain et la formation théorique à l’université devrait être, à la fin de sa formation universitaire, parfaitement outillé pour exercer son métier. D’ailleurs, il est évident qu’il devient dans la majorité des cas titulaire de classe dès qu’il surmonte l’épreuve du concours de recrutement. Que les premières années dans la vie d’un jeune enseignant du fondamental soient difficiles, tout le monde en conviendra, et il est évident qu’il lui faut l’appui des collègues, beaucoup d’énergie et une bonne dose de sang froid pour tenir bon et pour acquérir la maîtrise nécessaire à aborder la profession avec bonheur. Or, que proposent le projet de loi et le règlement grand-ducal à cet effet ? Le jeune stagiaire suivra des cours sur la législation, la pédagogie et la didactique à raison de 108 heures ainsi que des cours sur la législation scolaire à raison de 24 heures. Il aura par la suite des épreuves sur les matières de ces cours et il devra y obtenir 2/3 du total des points. Par ailleurs, il suivra une formation à la pratique professionnelle avec 3 séances d’observation dans d’autres classes que la sienne (incluant préparation et suivi documenté) et 6 séances de regroupements entre pairs, une initiation dans l’établissement scolaire assuré par le président du comité d’école et il rédigera au cours de sa deuxième année de stage un mémoire associant une problématique pédagogique et didactique aux contenus de la formation générale et à l’expérience auprès des élèves. À la fin du stage, il fera valider son bilan de fin de stage par son inspecteur, son conseiller pédagogique et deux membres suppléants qui l’auront auparavant observé en classe tout en évaluant la préparation de ses cours. On voit mal comment le stagiaire puisse caser tout ce programme dans 4 heures de travail hebdomadaires correspondant à sa décharge de 2 leçons d’enseignement. Ici le législateur fait un amalgame avec le stage des enseignants du secondaire en oubliant que la disponibilité de celui-ci est beaucoup plus importante. Il est évident que le stagiaire aura beaucoup de mal à combiner sa tâche d’enseignement avec les différents éléments de formation exigés par le stage ne serait-ce que d’un point de vue purement formel d’emploi du temps. Le stagiaire n’aura alors que deux sessions pour réussir ou pour se faire écarter. Pendant ses trois années de stage, il aura tout intérêt à s’occuper des différentes épreuves ainsi que du mémoire à rédiger, s’il tient à exercer cette profession. Or, pendant tout ce temps, il occupera une tâche d’enseignement avec toutes les difficultés qu’une telle tâche pose à un débutant. Même si on lui accorde une décharge de deux leçons d’enseignement, ainsi que de l’appui pédagogique, celle-ci ne suffira guère à lui permettre de répondre convenablement aux exigences posées par le stage. Il existe alors un risque que le futur stagiaire privilégie sa carrière à sa tâche d’enseignement, ce qui n’est certainement pas favorable à son insertion professionnelle. Le stagiaire n’aura certainement pas le choix de réagir autrement et ceux qui malgré tout privilégieront leur travail avec les élèves feront les dindons de la farce à qui on dira toujours que ce sont de bons enseignants, mais à qui on ne permettra jamais d’entrer dans la fonction. Par ailleurs, les écoles qui accueilleront les stagiaires devront être conscientes qu’elles acceptent indirectement de disposer de moins de moyens pour guider les élèves de ces classes. Pour toutes ces raisons, il serait plus opportun de permettre au futur enseignant du fondamental de s’insérer dans la profession en se consacrant pleinement à sa mission et de revenir à une forme de stage, telle qu’on la connaissait auparavant où le stagiaire était contrôlé par l’inspecteur et où il pouvait bénéficier de formations à sa propre demande. Une telle insertion professionnelle permettrait au stagiaire de se consacrer à son futur métier en cherchant à trouver les meilleurs moyens à amener ses élèves à acquérir les compétences prévues par le plan d’études. Il serait plus disponible pour participer aux discussions au sein de son école et pour y trouver sa place. Le choix entre la carrière et le travail avec les élèves et les collègues est un choix malsain qu’il faut éviter à tout prix. D’ores et déjà il existe un proverbe disant que « l’enseignement mène à tout à condition d’en sortir », il ne faudrait pas qu’il s’avère plus pertinent que jamais pour ceux qui ont choisi d’en faire leur profession. Par ailleurs, le temps de réflexion si important à la tâche de l’enseignant, risque de manquer complètement à la posture du stagiaire. Or, il s’agit là d’un élément indispensable au praticien réflexif qui ne saurait adapter sa pratique à l’évolution de la société, sans réfléchir aux évolutions des comportements de ses élèves. Une insertion professionnelle sans temps de réflexion risque d’être complètement contreproductive pour l’évolution professionnelle du futur enseignant. Pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, le stage, tel que prévu dans le projet de loi et dans le règlement grand-ducal, nous semble complètement contre-indiqué pour préparer le stagiaire à son entrée dans la vie professionnelle d’instituteur. Par ailleurs, il nous faut attirer également l’attention sur les coûts générés par la création de l’institut de formation avec ses différents postes de directeur, directeur adjoint et chefs de division, par le recrutement de formateurs, par les décharges accordées aux conseillers pédagogiques, par les indemnités payées aux évaluateurs et aux membres du jury du mémoire.

Alors que bon nombre d’écoles subissent de plein fouet les mesures d’austérité à travers la diminution de leçons d’enseignement mis à leur disposition, il serait complètement contre-indiqué de dépenser de l’argent pour financer un stage non seulement inutile, mais néfaste à l’exercice de la profession de l’instituteur.

SEW/OGBL, le 28 octobre 2014



Zeréck



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