Faut-il détruire le travail de l’enseignant pour mieux pouvoir le mesurer?

D’après des questions émanant de certains de nos membres, il y aurait des inspecteurs exigeant des rapports indiquant le temps exact des concertations, des consultations pour parents, ainsi que de l’appui pédagogique. Il y en aurait même qui voudraient interdire les déjeuners de travail. Ce faisant, ces inspecteurs méconnaissent complètement la nature du travail des enseignants qui sont confrontés chaque jour à des situations insolites résistant aux savoir-faire et aux connaissances et exigeant l’invention de nouveaux moyens d’agir et une opiniâtreté à la tâche pour surmonter les obstacles du réel. Si aucun travail réel ne peut se limiter au travail prescrit, il en va à coup sûr ainsi du travail de l’enseignant qui a besoin de fonder son autorité sur son expérience personnelle et la réflexion sur sa pratique.
Le travail de l’enseignant estimée à partir des minutes de travail qu’il déclare et non à partir de la difficulté de sa tâche et de l’engagement qu’il manifeste pour la mener à bien conduit à l’affairement et à l’activisme accompagnés d’un engourdissement de la pensée et de l’affectivité. Le travail de culture, qui nécessite une pensée en éveil pour éveiller à la pensée les jeunes qui lui sont confiés, ne peut se limiter à un travail prescrit.
Malheureusement nous en sommes arrivés là et ceux qui font les meilleurs comptes sont ceux pour qui le travail se définit comme un temps aliéné qu’on vend à son employeur. Ce travail de prolétaire ne devrait en aucun cas être celui de l’enseignant.
Si la coopération au sein d’une école ou d’une équipe pédagogique fait évidemment partie du travail de l’enseignant, il s’agit de fédérer les intelligences et les savoir-faire singuliers dans une dynamique collective. Faire œuvre commune en s’appuyant sur l’inventivité de chacun pour affronter les difficultés rencontrées au jour le jour demande des espaces formels et informels pour délibérer. Il faut de la confiance et de la solidarité et dans le meilleur des cas une certaine convivialité qui fait que le travail en commun est sous-tendu par un savoir-vivre ensemble. Ce savoir-vivre est même souvent perçu et imité par les élèves.
Or, la coopération dans le travail collectif est remise en question par la mise en concurrence visant à déstructurer les solidarités. Le management par la menace vise à faire des enseignants des exécutants en méconnaissant la part d’ingéniosité permettant de surmonter les difficultés. Cette gestion autoritaire et bureaucratique détruit le travail de l’enseignant dans son essence même qui est la transmission d’une culture vivante.
Monique Adam