Ce que PISA raconte aux parents des élèves qui passent le test

Cette année, PISA enquête sur les compétences en sciences chez les élèves âgés de 15 ans, mais l’enquête sonde également les opinions, non seulement celles des élèves, mais également celles de leurs parents. Et par ailleurs PISA suggère de par les questions qu’elle pose une certaine attitude à adopter face à l’école.
Constatons tout d’abord que pour les enquêteurs de PISA la SCIENCE se définit au singulier avec une majuscule et ceci jusque dans des affirmations comme « la science est utile à la société » ou « en général, les avancées de la science et de la technologie sont porteuses de progrès sociaux »1
Force est de se demander si les enquêteurs désirent se renseigner sur les compétences scientifiques des parents ou ne serait-ce que connaître leur attitude générale face aux avancées scientifiques des dernières décennies ou s’ils ne cherchent qu’à repérer ceux qui ont une foi aveugle dans la SCIENCE en allant jusqu’à affirmer que les 7 problèmes environnementaux majeurs s’atténueront au cours des 20 prochaines années2.
Il est donc clair, PISA y insiste, que l’adhésion des parents au storytelling sur l’école et les contenus qui importent, établi par la pensée dominante, est indispensable à la réussite des élèves
PISA voudrait savoir ensuite, si cette attitude favorable aux sciences s’explique éventuellement par l’exercice de professions scientifiques par des membres de la famille et si cet engouement s’est transmis à l’élève qui a passé le test.
Mais, et c’est un des points sur lesquels le questionnaire commence à devenir très suggestif, on veut également savoir ce que les parents ont fait pour transmettre cela. Ainsi faut-il indiquer la fréquence (entre jamais et chaque jour) avec laquelle on fait les choses suivantes avec son enfant : aider mon enfant à faire ses devoirs de sciences (p.ex. sciences naturelles, biologie, chimie, physique, discuter avec mon enfant de ses résultats en sciences (idem), trouver du matériel de sciences (p.ex. des programmes, des logiciels, des guides d’études, etc.) pour mon enfant, discuter avec mon enfant de l’utilisation des sciences dans la vie de tous les jours, discuter avec mon enfant des possibilités de professions à caractère scientifique) 3.
Viennent ensuite toute une série de questions sur l’implication des parents dans la réussite scolaire de leur enfant. Ces questions concernent le choix de l’école de même que les critères à l’origine de ce choix. La gamme des critères possibles va de la proximité et du coût en passant par l’ambiance, la sécurité, les convictions religieuses, les matières enseignées et les méthodes pédagogiques, vers la renommée et les résultats des élèves qui fréquentent l’établissement de leur choix.
Mais, au delà du choix de l’école, l’implication des parents a intérêt à se montrer par des actions plus concrètes. Dans une rubrique destinée à connaître l’opinion des parents sur l’établissement fréquenté par leur enfant, ils doivent juger la compétence et la motivation des professeurs, le contenu des cours et les méthodes d’enseignement, les moyens de communication avec les familles, ainsi que toutes les mesures mises en place pour les impliquer eux-mêmes jusque dans les prises de décision.
Cependant il ne suffit pas de juger l’établissement sur les moyens mis en oeuvre pour impliquer les parents, encore faut-il dire si on a participé à ces diverses activités et sinon ce qui a empêché une telle participation. Parmi ces activités on est quand même étonné de retrouver des énoncés comme : « me porter volontaire pour des tâches manuelles ou des activités parascolaires (p.ex. travaux de menuiserie, de jardinage ou d’entretien des bâtiments ou de la cour, pièce de théâtre, sports, excursion), me porter volontaire pour participer à des activités scolaires (travailler à la bibliothèque, à la médiathèque ou à la cantine, aider un professeur, donner une conférence). 4
Les excuses pour non-participation peuvent consister en des horaires de travail, des problèmes de transport, la garde d’enfants, des problèmes linguistiques ou on peut rejeter la faute sur l’établissement en disant qu’on s’y sentait mal accueilli.
L’accent est également mis sur la petite enfance avec de nombreuses questions sur la fréquentation d’une crèche et/ou de l’école. Parfois le questionnaire méconnaît cependant les réalités au Luxembourg qui rendent la fréquentation de l’école fondamentale obligatoire à partir de 4 ans. De même, il n’est pas tenu compte du fait que les parents qui travaillent à plein temps ont besoin d’une structure d’accueil, même si leur enfant fréquente le précoce ou le préscolaire.
Ce qui est clairement suggéré, c’est que les parents ont intérêt à se préoccuper des études de leurs enfants, non seulement en leur fournissant une discipline de travail et des conditions favorables à l’apprentissage, mais encore en les stimulant dès leur plus jeune âge, en contrôlant le travail réalisé par l’école et en y participant.
Evidemment cela se reflète aussi dans l’argent qu’on est prêt à dépenser pour les études d’un enfant. À 15 ans, on demande aux parents de chiffrer les dépenses au cours des derniers 12 mois pour l’enfant ayant passé le test en dehors des manuels et d’autres matériel nécessité lors des études soit entre 1 et 100€ ou entre 100 et 800€ entre 800 et 1.600€ entre 1.600 et 2.400€ ou supérieur à 2.400€. Et l’on précise qu’il s’agit bien de frais de scolarité ou d’honoraires payés pour des cours particuliers. 5
Il devient donc tout à fait clair que PISA suggère aux parents de s’engager activement dans le choix de l’école et dans les différentes activités que celui-ci propose aux parents d’élèves et de ne pas lésiner sur les moyens à investir dans les frais de scolarité et les cours particuliers.
Même si certains parents sont a priori d’accord pour s’investir dans l’éducation de leurs enfants et s’ils consentent en principe à y investir de l’argent, il faut y voir clairement un début qui emmènera les parents de plus en plus loin sur cette voie de l’investissement et de l’engagement dans les études de leurs enfants. Ceux qui n’arriveront plus à suivre les exigences se sentiront coupables, même si les enjeux étaient truqués dès le début.
D’ailleurs les derniers numéros (51 et 52) de la publication de l’OCDE « PISA à la loupe » analysent les questionnaires de PISA 2012 et observent que les parents accordent une très grande importance aux résultats scolaires, mais sont souvent encore plus attachés à la sécurité, à la qualité de l’environnement et à la réputation de l’établissement. Et ils constatent évidemment: « Lorsque les parents jugent la qualité de l’établissement très importante, leurs enfants tendent à obtenir de meilleurs résultats scolaires ». Tableau à l’appui pour les scores en mathématiques de PISA 2012 : les élèves dont les parents jugent très importants «la réputation de l’établissement, les résultats scolaires, l’environnement dynamique et agréable et la sécurité de l’établissement» obtiennent des scores supérieurs en mathématiques, tandis que ceux dont les parents jugent très importants « la proximité par rapport au domicile, la philosophie religieuse particulière, l’approche pédagogique particulière, les coûts peu élevés et la possibilité d’accès à une aide financière » obtiennent des scores inférieurs en mathématiques.Est-ce que ce choix de l’établissement selon les bons critères va en définitive améliorer le système scolaire? La conclusion du numéro 51 de « PISA à la loupe » laisse perplexe : « Si au bout du compte, le choix de l’établissement entraîne les creusement des inégalités entre les riches et les pauvres, c’est le système d’éducation dans son ensemble qui en sort perdant. Ce n’est que lorsque les décideurs pourront garantir que les parents ne se trouveront plus contraints de sacrifier les critères de réussite scolaire pour des raisons financières ou autres que chaque enfant sera en mesure de bénéficier pleinement de tous les avantages que peut offrir le choix de l’établissement »
Ainsi donc, même si le choix de l’établissement scolaire par les parents peut entraîner le creusement des inégalités et nuire ainsi au système d’éducation dans son ensemble, la promotion du choix n’est pas remise en question.
Et la réponse vient dans le numéro 52 de juin 2015 qui analyse l’évolution des établissements d’enseignement au cours des 10 dernières années et qui constate que si les ressources des établissements se sont généralement améliorées (sauf dans quelques pays comme le Luxembourg qui manque d’enseignants qualifiés et de locaux scolaires adéquats), « le degré d’inclusion des établissements d’enseignement n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 10 ans ». Et de constater que « gérer le choix de l’établissement d’enseignement et les politiques éducatives afin qu’ils n’entraînent pas de ségrégation entre les élèves, voilà le grand défi que doivent relever les systèmes d’éducation ces 10 prochaines années »
Et à nouveau, ce n’est pas le choix en soi qui est remis en question, car en conclusion on estime « qu’il est possible de renforcer, à l’avenir, le degré d’inclusion socioéconomique et académique des établissements d’enseignement en garantissant que les élèves défavorisés et en difficulté ont accès à des établissements d’enseignement de qualité (par exemple grâce à des incitations financières, à l’amélioration de l’accès des familles défavorisées aux informations, ou à d’autres mécanismes ».
En résumé, PISA nous propose de faire compliqué au lieu de faire simple. Au lieu de garantir de bonnes écoles publiques pour tous les élèves, il faut favoriser le choix des écoles par les parents, mais afin d’en diminuer les conséquences en matière de creusement des inégalités sociales, il faut aider les familles défavorisées de différentes façons.
Est-ce que tous ceux qui croient que cette voie est la meilleure et qu’ils sont en droit de choisir la meilleure école pour leur progéniture, convaincus qu’ils en auront toujours la possibilité, sont conscients qu’ils sont en train d’alimenter un marché de l’éducation qui exigera de plus en plus de sacrifices de leur part ? Ils feront ces sacrifices puisque leurs enfants sont leur bien le plus précieux et puisqu’ils ont commencé à adopter le raisonnement qui fait dépendre de leur choix la réussite de leurs enfants. Dès que l’on en accepte le mécanisme, il n’y a plus d’échappatoire.
C’est ce qui fait la force de la logique de la concurrence.

Monique Adam
1 Questionnaire parents p.30
2 Questionnaire parents p. 32
3 Questionnaire parents p. 7
4 Questionnaire parents p.14
5 Questionnaire parents p.35