Avis du SEW sur le projet de loi 7206

11.04.2018

Avis du SEW/OGBL sur le projet de loi 7206

 

 

Tout d’abord, le SEW/OGBL tient à souligner la fréquence des projets de loi du Ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse visant à modifier un projet de loi voté récemment. Dans le présent cas, il s’agit d’amendements à un projet de loi déposé le 7/11/17 visant à réagir dans les plus brefs délais à une situation de pénurie dans le recrutement d’enseignants du fondamental, mais risquant de détériorer de façon durable la formation initiale des instituteurs et des institurices.

Tout en reconnaissant que l’école a besoin d’adapter son fonctionnement à de nouveaux défis, le SEW/OGBL est d’avis que ces changements doivent se faire en analysant les besoins nouveaux auxquels il faut répondre et en définissant clairement les évolutions souhaitables. Or, ce n’est pas ce qui est en train de se passer et les changements fréquents des textes législatifs donnent plutôt l’impression d’une gouvernance affolée et sans boussole. Cette situation a créé une certaine insécurité auprès des acteurs du terrain qui se voient confrontés chaque jour à des injonctions nouvelles et souvent contradictoires. L’exercice serein de la profession d’instituteur sachant guider les élèves dans l’acquisition des connaissances et des compétences indispensables à la poursuite des études et de la vie en société en devient impossible. Par ailleurs, la création d’une hiérarchie de plus en plus lourde, s’efforçant à asseoir son autorité à travers des contrôles tatillons n’est pas de nature à renforcer l’autorité dont les enseignants ont absolument besoin dans l’exercice de leur profession.

Si la pénurie d’enseignants était souvent due dans le passé à des barrières érigées de façon délibérée (numerus clausus, examen-concours de recrutement) pour prévenir une pléthore, il s’agit cette fois-ci bel et bien d’un manque d’attractivité de la profession qui fait que les candidats se font rares.

Dans ce sens, il faudrait réfléchir à nouveaux frais sur les conditions nécessaires permettant un exercice serein et efficace de cette profession. Rien dans les amendements du gouvernement ne laisse présager d’une telle réflexion. Il s’agit ici tout au plus de pallier à un manque d’instituteurs pour la rentrée prochaine, sans réfléchir aux conséquences à long terme pour l’exercice de la profession.

 

Le SEW/OGBL est tout à fait conscient de la menace que fait peser la pénurie sur la rentrée prochaine et il est prêt à accepter des solutions qui loin d’être optimales cherchent au moins à limiter les dégâts. Dans ce sens il pourrait consentir au recrutement de détenteurs d’un diplôme de bachelor en lien avec un des objectifs de l’enseignement fondamental tel que proposé à l’article III 3° où il s’agit de modifier l’article 6 de la loi modifiée du 6 février 2009 concernant le personnel de l’enseignement fondamental par un point 4) si et seulement s’il s’agit d’une mesure transitoire pour les années 2018/2019 et 2019/2020.

Dans ce contexte, il s’agit d’accepter un pis aller pour éviter de recruter encore plus de chargés de cours sur base d’un stage de 4 semaines, ce qui était toujours pensé comme une mesure pour les remplacements de courte durée, mais non pour des titulaires de classe sur toute une année scolaire. La mesure préconisée par les amendements gouvernementaux pourrait en effet éviter la catastrophe dans l’immédiat en faisant appel à de nouveaux candidats potentiels en leur garantissant un accès facilité à la professsion. Cependant, si cet accès facilité était maintenu sur une plus longue période, il détournerait irrémédiablement les futurs candidats à la professsion des études en sciences de l’éducation. Si l’accès à cette profession peut être obtenu par un bachelor pouvant par ailleurs mener à d’autres professions et si cette voie d’accès est en plus un peu moins onéreuse en années d’études dépourvues de salaire, cette voie sera certainement privilégiée par les futurs candidats à la profession. Ceci d’autant plus si les conditions d’exercice de cette profession se détériorent de plus en plus, si bien qu’il est préférable d’avoir plus d’une corde à son arc et de disposer d’un plan B pour le cas où les conditions deviendraient trop pénibles.

 

Dans ce cas de figure l’Université du Luxembourg devrait rapidement cesser d’offrir la formation de bachelor professionnel en sciences de l’éducation, comme elle n’aurait guère de candidats. Ceci mènerait inévitablement à un recrutement à bac+3 avec une formation en forme de stage à l’IFEN, ce qui ramènerait la formation de l’instituteur aux jours de l’Institut pédagogique d’il y a près de 40 ans. Cette formation critiquée à juste titre pour sa vision trop étroite des enjeux de l’enseignement risque d’être remise en place aujourd’hui. S’il a fallu un certain temps à la nouvelle Université pour mettre en place une formation combinant les théories sociologiques et éducatives avec des analyses didactiques et la pratique de la mise en œuvre de ces théories, il faut se demander pourquoi on tente d’abroger cet enseignement au moment où il a enfin trouvé son équilibre entre recherche académique, théorie scientifique et pratique pédagogique. Le Luxembourg avec sa situation liguistique très particulière et ses choix d’enseignement des langues tout aussi exceptionnels a certainement besoin du potentiel de recherche offert par l’Université et il est tout aussi évident que cette recherche doit influer sur la formation initiale des futurs enseignants. En ramenant la formation spécifique de l’enseignant du fondamental à une formation sur le tas accompagnée par un stage à l’IFEN on abolit tout simplement pour cette profession la perspective réflexive, telle qu’elle existe pour d’autres professions dans le domaine éducatif.

 

A cet effet les amendements gouvernementaux suivants doivent être amendés dans le sens de limiter le recrutement des détenteurs d’un diplôme de bachelor en lien avec un des objectifs de l’enseignement fondamental aux années 2018 à 2020 et de prévoir une formation en cours d’emploi digne de ce nom pour ces candidats.

 

Par ailleurs, il faut veiller à rendre la profession à nouveau attractive pour des candidats futurs. À cet effet il faut réformer le stage profondément en en supprimant la rédaction d’un mémoire de même que les examens. Pour les candidats potentiels, il est en effet risqué de se lancer sur une voie où ils peuvent être écartés lors d’un stage, alors qu’ils ont suivi avec succès une formation de 4 ans. Ceci est d’autant plus inquiétant quand on sait que le bachelor professionnel en sciences de l’éducation ne connaît guère d’autres débouchés sur le marché du travail que la profession de l’instituteur.

 

A cet effet il faut :

Amendement 2 concernant l’article III nouveau devrait être amendé au point 3° lettre b :

L’alinéa 1er est complété par le point 4 suivant : Au cours des années 2018 et 2019 le détenteur définis dans le chapitre 1er, section 3, de la loi modifiée du 6 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental ou de son équivalent qui a réussi une formation en cours d’emploi visée à l’article 20 bis

Amendement 2 concernant l’article III nouveau devrait être amendé au point 8° lettre c :

Pendant une période transitoire allant de 2018 à 2020 des chargés de cours détenteurs d’un diplôme délivré par un établissement d’enseignement supérieur reconnu par l’Etat et sanctionnant l’accomplissement avec succès d’un bachelor en lien avec un des objectifs de l’enseignement fondamental définis dans le chapitre 1er, section 3, de la loi modifiée du 6 février 2009 portant organisation de l’enseignement fondamental ou de son équivalent.

Amendement 2 concernant l’article III nouveau devrait être amendé au point 10° :

Art.19bis. Au cours des années 2018 et 2019 il est créé une commission de recrutement (…)

Art.20bis.Les chargés de cours membres de la réserve des suppléants, occupant un des emplois définis à l’article 16, point 2, suivent les formations théorique et pratique en cours d’emploi offertes par l’Université du Luxembourg en vue de l’obtention du bachelor en sciences de l’éducation.

 

Au lieu d’augmenter le budget de l’IFEN comme il est prévu dans la fiche financière jointe au projet de loi, il faudrait évaluer les coûts d’une formation en cours d’emploi offerte à l’Université du Luxembourg.

 

Par ailleurs, il faudrait revoir toute l’organisation du stage des instituteurs, loi et règlements grand-ducaux, afin d’en faire une aide pour l’entrée dans la fonction et non un instrument de sélection supplémentaire. Le SEW/OGBL est d’avis qu’il serait dangereux de former dans le futur des instituteurs ne pouvant se prévaloir d’une formation universitaire en sciences de l’éducation. Cela risque de déconnecter le Luxembourg des recherches en sciences de l’éducation menées dans d’autres pays européens.